Vendredi 24 juin 2022 – Par Fred
Après la pluie, le beau temps dit-on. La réciproque est toute aussi vraie : après les grandes chaleurs du week-end dernier, ce sont des trombes d’eau (j’exagère à peine) qui vont s’abattre sur le site ce vendredi en soirée… Pas longtemps, mais bien assez pour gâcher la fête. La programmation du jour mettra l’accent sur les musiques industrielles : certaines formations parmi les plus emblématiques de ces scènes se succèderont ainsi tout au long de la journée sur la Mainstage 1 (et à la Valley dans une moindre mesure) avec, en point d’orgue, la promesse d’un impressionnant « son et lumière » : celui de Nine Inch Nails.
Nous voulions commencer cette journée au son du black chaotique de Neige Morte à la Temple à 10h30. Les Lyonnais ont déjà remballé leurs affaires lorsque nous arrivons sur le site… j’essaierai de les voir en novembre aux Passagers du Zinc à Besançon.
Qu’à cela ne tienne : Portrayal of Guilt qui prend place sur cette même scène à 11h40 va nous gorger tout notre soûl de noirceur et de dissonance ! Originaire d’Austin (Texas), le trio, formé en 2017, pratique un mélange extrêmement efficace de noise, de hardcore et de black metal, sale et urbain. Les vocaux de Matt King me font même penser, parfois, à ceux du frontman de Watain. Tout juste regretterai-je un petit manque de présence scénique, les musiciens, très concentrés sur leurs instruments, donnant un peu l’impression de ne pas être très à l’aise sur les planches : il me tarde de les revoir dans une paire d’années, avec quelques dizaines de concerts de plus au compteur ! Quoi qu’il en soit, la demi-heure de Portrayal of Guilt passe beaucoup trop vite.
12h15 : nous enchaînons directement avec Okkultokrati à la Valley. Après quelques mesures du titre « Today » de Jefferson Airplane en guise d’introduction (c’est l’appli Shazam qui me l’a dit), le sextet s’installe et balance la purée ! J’aime être instantanément embarqué par la musique d’un groupe dont je ne connais que peu de choses (seulement quelques vidéos visionnées sur YouTube lors de la découverte de la programmation). Le gros rock d’Okkultokrati m’évoque, du plus punk au plus black, Turbonegro, Kvelertak et Darkthrone. Les gars d’Oslo sont charismatiques sans en faire des caisses. Le clavier, omniprésent tout en restant discret, apporte une touche supplémentaire de cohésion à l’ensemble. Gros coup de cœur en ce qui me concerne !
Nous ne sommes présents sur le site que depuis une heure et demie et nous avons déjà assisté à deux très bons concerts. Je découvre en faisant une petite recherche que Portrayal of Guilt et Okkultokrati se produiront le lendemain dans le cadre du festival Rock in Bourlon, dans le Pas-de-Calais : je n’avais jamais entendu parler de cette manifestation qui en est à sa dixième édition et qui se déroule cette année sur trois jours avec une programmation au top (… et très tendance Valley) !
Il est 13h lorsque débute le set des Portugais de Gaerea à la Temple ornée d’un backdrop représentant l’artwork de « Limbo », leur dernier album en date. Je les ai vu en première partie de Numenorean à Colmar en 2019 : j’avais apprécié sans être transcendé. Le line up a changé, le groupe évoluant à l’époque sous forme de quintet. Leur black metal moderne est impeccable d’intensité et d’exécution mais ne me convainc pas beaucoup plus qu’il y a trois ans. Je crois aussi que mon « problème » avec les masques et les uniformes ne s’arrange pas…
Direction la Valley à 13h45 pour le stoner de… Stöner. Formé en 2020 par Nick Oliveri (Kyuss, Dwarves, Queens Of The Stone Age…), Brant Bjork (Kyuss également, Fu Manchu, Mondo Generator…) et Ryan Gut, la formation a déjà pondu deux albums studio et un live ! Bon, avec le CV de ces vieux briscards de la scène « desert rock », on se doute que ça va jouer net et précis. Et c’est le cas. Je n’arrive pourtant pas à me départir de l’impression d’assister à un bœuf entre potes se connaissant depuis des décennies et ne cherchant plus à innover dans un genre dont ils sont, en partie, du moins, les inventeurs.
Sorti à la moitié du set de Stöner, je décide d’aller faire un tour du côté de la Mainstage 2 où les Suédois de Blues Pills balancent leur blues rock énergique et intemporel ! Il fait encore beau à ce moment de la journée : assis sur la pelouse, je m’abandonne durant un bon quart d’heure à la voix soul et généreuse d’Elin Larsson. La dame a récemment collaboré avec The Picturebooks dans le cadre de leur album « The Major Minor Collective ». Blues Pills est un groupe « grand public », ça ne fait aucun doute. Il n’en demeure pas moins que leur musique déborde d’authenticité : très plaisant.
Je retrouve Éric à la Warzone un peu avant 14h3O : que de monde pour assister au set de Pogo Car Crash Control dont c’est la seconde participation au festival (si l’on excepte sa live session lors du Hellfest From Home en 2021). Le groupe affiche une belle assurance sur scène, le show est parfaitement rodé. Je ne donne pas longtemps avant que le punk frénétique de PCCC ne soit au programme d’une Mainstage !
Nous quittons la Warzone au bout de quelques titres pour aller prendre une bière au VIP. Alors que nous nous rapprochons de la Temple nous sommes étonnés d’entendre en sortir une musique festive et sautillante d’inspiration… balkanique, genre Emir Kusturica & the No Smoking Orchestra qui aurait bouffé du Finntroll. Un coup d’œil sur l’appli nous apprend qu’il s’agit de la troupe roumaine (ils sont très nombreux sur scène) Dirty Shirt & Transylvanian Folkcore Orchestra : un petit côté « fête au village » mais tout de même, grosse ambiance sous le chapiteau !
Human Impact est sans doute le groupe que j’ai le plus hâte de découvrir ce jour. Chris Spencer (chant/guitare), Jim Coleman (claviers), Phil Puleo (batterie) et Chris Pravdica (basse) jouent ou ont joué dans des formations parmi les plus cultes de la scène noise indus new-yorkaise, à savoir Unsane, Swans et Cop Shoot Cop ! A 15h20, le quatuor prend place à la Valley. Phil Puleo et Chris Pravdica ne seront manifestement pas de la partie. Ils sont respectivement remplacés par Jon Syverson (Daughters) et Eric Cooper (Made Out Of Babies) : c’est d’ailleurs avec ces derniers que Chris Spencer fera renaître Unsane pour une tournée européenne prévue en fin d’année (et qui passera par l’Antonnoir à Besançon le 9 novembre !). Pendant trois quarts d’heure le groupe lamine l’audience d’une série d’uppercuts sonores imparables : la noise de Human Impact est massive et surpuissante ! Spencer donne l’impression d’exulter… et la joie, c’est communicatif. Sensationnel !
16h10 : l’EBM de Nitzer Ebb à la Mainstage 2 ? Le black thrash de Witchery à la Temple ? Les reprises de variétoche à la sauce punk d’Opium du peuple à la Warzone ? Nous opterons pour une bière au VIP…
Retour à la Valley à 17h00… cette scène est sans nul doute celle qui propose la programmation la plus variée du festival : on y passe du mur de décibels de Human Impact à la pop mélancolique et soyeuse de la Londonienne A.A. Williams en un changement de plateau. Moyennement emballé, je me rends compte que les patrons du grind death français Benighted occupaient l’Altar au même créneau horaire… zut !
Double ration de Killing Joke pour cette XVe édition du Hellfest : tête d’affiche de la Valley cinq jours auparavant, les Anglais vont avoir les honneurs de la Mainstage 1 à 17h55. J’aurais pu aller les revoir mais priorité à la découverte : à la même heure, Ihsahn est programmé à la Temple. Avant de se lancer en solo, en 2005, Vegard Sverre « Ihsahn » Tveitan a été le cœur battant du groupe référentiel de la scène black metal symphonique Emperor, dont les quatre (fabuleux) albums m’ont durablement marqué : pour autant, je ne connais rien de ce qu’il a sorti en dehors de ce groupe, exception faite d’un album de Peccatum (que je n’avais pas spécialement apprécié à l’époque). Arrivé un peu en avance, j’entends les derniers morceaux de Benighted en provenance du chapiteau voisin : ça masse ! Un peu avant 18h, Ihsahn et ses trois acolytes s’installent et balancent pendant cinquante minutes leur magistrale leçon de metal progressif extrême : le contraste entre la sobriété de la prestation et la maestria instrumentale est saisissant. Preuve de l’éclectisme du monsieur, nous aurons droit aux reprises de « Rock’n’Roll Is Dead » de Lenny Kravitz et « Wrathchild » d’Iron Maiden. Il y a des similarités, je trouve, entre la démarche artistique d’Ihsahn et celle de Devin Townsend.
Aux abords de la Mainstage 1, Eric shoote Killing Joke…
… puis Frank Beard et Billy Gibbons… ou tout du moins leurs (presque) sosies ! Nous les avions déjà croisés plusieurs fois en 2018 : leur pote, (presque) sosie de Dusty Hill, était présent alors…
Le concert d’Ihsahn terminé, je fonce me positionner à la Valley pour celui des Anglais de Godflesh. J’ai beau savoir à quoi m’attendre, les ayant déjà vu en 2015, leur quintessence de metal industriel va littéralement me clouer sur place une heure durant. Le set délivré ce jour est d’une lourdeur abyssale, le son, titanesque ! Que ce soient les vocaux, aboyés ou hurlés, de Justin Broadrick, les riffs de guitare, stridents et dissonants, la basse marteau-pilon de G.C. Green : tout semble avoir été savamment mis en place dans le seul but de tétaniser l’auditoire. La boîte à rythme, martiale à l’extrême ainsi que l’absence d’interactions avec le public renforcent encore la sensation d’inhumanité du moment. Le groupe termine avec « Like Rats » issu de « Streetcleaner », leur premier album (1989), des détails de toiles de Bosch, entre autres, défilant sur l’écran vidéo en arrière-plan : apocalyptique !
Nous décidons de nous accorder une petite heure pour nous restaurer et nous désaltérer… et puis aussi parce que nous avons le sentiment qu’aucun groupe ne peut succéder immédiatement à Godflesh sans faire pâle figure… dommage pour Moonspell qui s’apprête à jouer à la Temple.
Il et 20h45 et nous sommes de retour à la Valley : le set instrumental des Américains de Earth est sur le point de commencer. Le groupe se produit pour l’occasion en trio : Dylan Carlson à la guitare, Adrienne Davies à la batterie et Bill Herzog à la basse. Les morceaux sont longs et lents (un ou deux riffs tournent indéfiniment en boucle) et s’enchaînent pour donner l’impression d’une seule et même pièce musicale. Le jeu d’Adrienne Davies, tout en amples mouvements, est superbe de sensibilité, sa frappe tantôt appuyée tantôt retenue, son utilisation des cymbales apportant vie et nuances au lancinant monologue guitaristique de Carlson. Beau et hypnotique, tout simplement…
Au bout d’une demi-heure, je décide pourtant de sortir du chapiteau pour me rendre à la Mainstage 1 où se produit Ministry. Quelle erreur ! Je me rends compte qu’il tombe des cordes. Tant pis, j’assume et me fraye un chemin vers la sortie, le public agglutiné à la Valley se refermant derrière moi, m’interdisant toute possibilité de retour. Et bien sûr, en bon festivalier du dimanche que je suis, je n’ai prévu ni cape de pluie ni chaussures de rechange. En quelques secondes je me retrouve trempé comme une soupe et la Temple voisine, où se prépare le concert à venir de Marduk, est archi bondée. L’abri le plus proche ? Le VIP : je ne suis manifestement pas le seul à avoir eu cette idée. Je vais y rester une bonne heure pendant laquelle il va pleuvoir à verse. Et cette heure passera finalement plus agréablement que prévu, un drôle de zigoto, je pense qu’il s’agissait de Michel Mercury, improvisant un numéro de karaoké bien poilant.
Éric, plus prévoyant et donc mieux équipé, s’est rendu à la Mainstage 2 pour photographier Alice Cooper. La file « photographes » est blindée : opération shooting depuis le public.
Il pleut encore un peu et la température a significativement chuté lorsque je quitte le VIP à 22h15. Je reste un bon moment devant l’écran de la Temple : le black guerrier des Suédois de Marduk bat son plein devant un large public. Les pelouses sont complètement détrempées, je vais donc rester sur les chemins goudronnés pour ne pas pourrir mes godasses. A partir de 22h30, j’observe un flux continu de festivaliers quittant le site. Comme je le craignais, les abords de la Valley sont de véritables champs de boue et ce chapiteau est le seul dont le sol n’a pas été bitumé (j’espère malgré tout qu’il restera tel quel…). C’est donc depuis l’extérieur que j’assiste à une partie du set de New Model Army qui débute un peu avant 23h00.
A 23h20, je tente de me rapprocher de la Mainstage 1 qui affiche complet pour Nine Inch Nails. Je suis trop éloigné de la scène pour distinguer autre chose que des flashs de lumière stroboscopiques. J’écoute tout de même avec plaisir l’enchaînement « Wish », « Last » et « March of the Pigs » avant d’aller me poser à la Temple. Nous assistons à la première moitié du set d’Enslaved et décidons, la fatigue aidant, de nous diriger vers la sortie. A tout prendre, je crois qu’en condition festivalière, je préfère encore la chaleur à la pluie.