Jusqu’à l’an passé encore, l’île de Wight, au large de la Manche était uniquement connue auprès des fans de Rock pour son mythique festival de l’été 70, qui avait réuni, entre autres pointures, les Doors, les Who, Joni Mitchell et l’électrique Jimmy Hendrix (qui en tira d’ailleurs un album Live resté dans les annales).
Il aura fallu attendre l’été 2021 pour qu’on reparle de ce petit bout caché d’Angleterre, via un phénomène rock local, qui allait conquérir la planète rock indé en un éclair.
Wet Leg, duo féminin (mais pas que) formé trois ans plus tôt et emmené respectivement par Rhian Teasdale et Hester Chambers, lâchait alors, en pleine période de confinement, un single-bombe complétement génial, ‘Chaise longue’, ravivant la flamme rock du girl-power alternatif en un claquement de buzz.
Très vite emboité par un premier album éponyme catchy, confirmant l’héritage indy et post-punk des nineties du groupe ( rappelez vous les Breeders, Elastica et Veruca Salt ) en y ajoutant une forte dose de second degrés faisant toute son originalité.
Et c’est ce petit travail d’orfèvre underground qu’est venu défendre le combo britannique sur la scène d’un Point Éphémère plein à craquer ce samedi 14 mai.
En guise d’entrée en matière, c’est le trio féminin français Ottis Coeur qui assure généreusement et rageusement la première partie avec une classe folle. Un choix cohérent, au diapason même, puisque ces dernières distillent un punk enjoué et efficace qui regorge de subtilités harmoniques, notamment grâce à la complémentarité vocale de ses deux chanteuses. Une très bonne pioche !
C’est ensuite dans un décor brumeux et bleuté qu’arrive les deux maitresses de cérémonie, sortant timidement de l’ombre sur une partition espiègle du ‘Seigneur des anneaux’.
Clin d’œil amusant car on croirait voir débarquer les héroïnes complices du film ‘Créatures Célestes’ de Peter Jackson : Rhian, dans une tenue proche de l’uniforme scolaire et Hester, habillée d’une nuisette blanche en soie vaporeuse.
Mais ce sont leur deux acolytes masculins (Ellis Durand à la basse et Henry Holmes à la batterie) qui lâchent les premiers accords de l’intro rallongée de ‘Being in love’, titre d’ouverture à l’explosivité Live avérée.
La voie sautillante de Rhian surfant sur une cascade de guitares chromées très shoegaze. Au synthé, Joshua Omead Mobaraki amène quelques touches Dandy Warholiennes du plus bel effet.
Esther prend le relais chant sur ‘convicing’ une balade popisée anecdotique où le tempo se ralentit quelque peu.
Heureusement le single ‘Wet Dream’ lui emboite rapidement le pas, avec son refrain cadencé et fédérateur.
Ondulant du bassin avec sensualité, Rhian contamine alors la fosse, incitant le public à la danse. Multiples regards et sourires lancés mutuellement entre les deux meneuses de bal; on comprend vite que la connivence est ce qui fait leur force et leur symbiose scénique.
Ca enchaine sur le génialement bête ‘Supermarket’ et ses montées lyriques proche du yodel: ‘ We got too high, high, high, high, high’ … les rires se lèvent et le concert de prendre son envol.
La suite ( ‘Piece of shit’ , ‘Too late now’ ) est un cortège de guitares rapides et entrelacées qui prouvent qu’en live WetLeg se pose en digne héritier de cette vague de rock alternatif anglais d’il y a presque 30 ans, celle qui aura vu naitre Placebo et PJ Harvey, à une époque post-grunge où les frontières entre pop et punk n’étaient plus vraiment définies.
Idem pour ces titres à la structure musicale anachiste, ‘Oh No’ et sa cadence militaire ou encore l’excellent ‘Ur Mum’ qui laisse littéralement éclater les hurlements nourris de ses deux protagonistes, chamboulant toute une fosse criant à l’unisson.
Rhian et Hester virevoltent sur elles-mêmes, sautillent, se cambrent jusqu’à littéralement se plier en deux; on voit que la fragilité affichée en début de show a laissé place à une assurance et une frénésie libératrice, comme si la confrontation scénique était cette chrysalide nécessaire à leur éclosion.
Cette mutation par la scène rappelle beaucoup celle d’une autre formation anglaise du milieu des années 90, du même acabit, plutôt confidentielle, malgré un excellent succès critique à l’époque : Pooka (Sharon Lewis et Natasha Lea Jones pour les nommer), duo de songwritteuses d’apparence farouches mais qui, en Live, déployaient une vraie flamboyance.
Une flamboyance qu’on retrouve également ici dans des morceaux plus soft comme ‘Obvious’ où la ligne vocale de Rhian se fait envoutante, relayée par un synthé imitant le thérémine, instrument d’un autre temps, d’une autre sphère.
Le temps d’un morceau inédit, suivi de près par l’entrainant ‘Angelica’ qui fait jumper tout l’auditoire que voici déjà arriver le morceau phare, celui qui sera également l’apothéose finale du set : ‘chaise longue’ le tube qui met tout le monde debout (et c’est son comble) voir même à l’envers puisque ça pogotera sur les trois premières lignes de front.
Super, mais trop court ! C’est le sentiment de frustration qui restera au bout d’une heure bien tassée de show, mais soyons honnêtes, c’est souvent le lot de ces groupes outsider à l’album unique.
On compte donc sur les festivals d’été à venir (notamment les Eurokéennes de Belfort) pour que WetLeg mette encore plus à l’épreuve du feu son excellent premier album . Et pour les malchanceux qui se seraient pris la porte au nez de ce concert rapidement complet, sachez que le groupe repassera à l’Elysées Montmarte le 9 novembre prochain.
Olivier LESCROEL