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Greta Van Fleet, The Battle at Garden’s Gate

A l’heure où l’intelligence artificielle est capable de générer de nouveaux titres à sauce Nirvana (!) on serait tenté de ressortir une énième fois le vieil adage disant que le rock est mort. Cette ébauche numérique aurait enfin eu la peau de cette musique qui a perverti pendant des décennies la société et en premier lieu sa jeunesse… Fin de l’histoire. C’est sans compter sur Greta Van Fleet, le pendant humain de cette initiative, capable d’étoffer au XXIe siècle le catalogue du monumental Led Zeppelin.

Greta Van Fleet, une formation clivante. Sont-ils des pourvoyeurs ou des continuateurs du style élaboré il y a plus d’un demi-siècle par Page-Plant-Jones et Bonham? Attention, le simple fait de rapprocher les noms de ces deux formations dans une même phrase a la fâcheuse tendance à échauffer les esprits ;  les bons – et les mauvais surtout – mots « fuzzent »… Ici pas de parti pris, en tout cas, on va essayer d’esquiver le conflit intergénérationnel.

GRETA VAN FLEET, Black smoke rising (2017)
GRETA VAN FLEET, From the aires (2017)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après 2 EPs en 2017 suivi quelques mois plus tard par Anthem of the peaceful army, un 11-titres largement porté au pinacle et présent à des places honorables dans plusieurs classements de voisins européens (3e outre-Rhin), la fratrie Kiszka et consort décident de retourner la table en ce printemps 2021. Ce sera The Battle at Garden’s Gate, un album plus grand, plus grandiose, plus sophistiqué et plus libre que son aîné.

 

GRETA VAN FLEET, Anthem of the peaceful army (2018)

2018, Greta Van Fleet déboule enfin avec un Anthem of the peaceful army. Tout comme Rival Sons et bien d’autres, la jeune formation pratique une musique de type heavy blues rock. Du revival de (très) bonne facture, reprenant les codes (slide guitar sur le solo de Moutain of the sun) et bien sûr des rythmiques et sonorités ad hoc, telles la grosse fuzz (Brave new world). Ajoutant à cela un mimétisme vocal flagrant (avec le timbre de Robert Plant), des riffs familiers et une signature soliste reconnaissable parmi la multitude (le jeu de guitare de Jimmy Page), ce premier disque posait le débat sur Greta Van Fleet : plagiaires éhontés ou lointains épigones ? La mayonnaise avait pris, les articles se multiplièrent, les couvertures se parèrent des minois des quatre Michiganais. Les dates aussi au-delà de l’Amérique du Nord. Mais bien trop peu en France, 5 sur 3 ans et toutes « parisiennes » (considérons le Download Français comme tel). Bref, je reprends mon propos liminaire : oui le rock est mort, en France. Voilà le vrai débat.

 

(…) Trois ans plus tard, le groupe est toujours là et s’emploie à tracer son sillon malgré les mécontents. Un premier single, My way, soon était donné à entendre dès le 09 octobre 2020. Porté par un riff heavy metal efficace, ce titre n’a pas fait taire les gloseurs, bien au contraire ! De toute évidence le groupe s’enferrait un peu plus dans son statut de meilleur LZ tribute band. A tort peut être car à bien écouter, ce morceau sonne davantage américain que britannique. D’ailleurs, avec cette bande-son on se verrait bien dans un restaurant routier US en plein cœur du Wolverine State ! En tout cas, le groupe semblait bien décontracté dans ce clip – sorti bien en amont de la parution du second effort -, oscillant entre temps de pause durant les enregistrements, images de concerts (non datées !) et autres feux de camps, etc.

 

Un titre suivi début décembre par Age of machine. Cette fois-ci la composition est plus complexe, réfléchie, inquiétante avec cette récurrente corde à vide qui gronde longuement comme un avertissement, sentiment prolongé par la vidéo qui l’accompagne et qui renvoie partiellement à celle de Foals, A knife in the ocean (on connaît l’engagement de Josh Kiszka en matière d’environnement). Age of machine, morceau à la lente évolution du thème principal et qui flirte dans son dernier mouvement instrumental avec l’orient, peut être appréhendé comme la preuve que les GVF ont poussé plus loin la recherche créative que pour le premier opus, sclérosé dans un style blues rock et à 400% zeppelinien.

 

Durant un peu plus d’une heure de musique enregistrée, The Battle at Garden’s Gate vise le grandiose ! Mais cela à un prix : ces 12 titres très travaillés, enregistrés au Henson Recording Studios de Los Angeles, ne s’apprécient pas à leur juste mesure à la première écoute, il faut y revenir plusieurs fois notamment pour appréhender l’élégance des nombreuses ruptures au sein d’un morceau (Stardust chords et Caravel sont peut être les exemples les plus notables). Ces chansons très léchées rompent avec le caractère linéaire de Anthem of the peaceful Army. Toutefois, de Heat above jusqu’aux lamentations conclusives de The Weight of dreams, la divine voix de Josh demeure un phare céleste. Cette flamme vibrante, oscillant entre chants magnifiés et cris porteurs d’une saturation naturelle, est souvent enrichie des chœurs oniriques de ses trois comparses (Trip the light fantastic).

A la formation initiale, guitare électrique-basse-batterie-chant, le 4-cordiste Sam Kiszka a été également sollicité sur l’ensemble des pistes pour tenir les claviers. Souvent introductifs, comme dès les premières seconds de Heat above, ils déposent des nappes (Stardust chords, The Weight of dreams, …) ou assurent une couleur 60’s (cabine Leslie sur Age of machine). Lorsqu’il s’agit de piano, la balade n’est pas très lointaine (Tears of rain, Light my love) et on pense aux love songs portées au crédit des Guns N’ Roses. De même, des cordes abondent sur 5 titres. La section comptant deux violons, un alto et un violoncelle offre à chaque fois un caractère épique, solennel (Broken bells, The Barbarians), voire exotique (Age of machine). L’acmé est atteint avec The Weight of dreams : ici l’entrelacement avec les 6 cordes que le virtuose Jake Kiszka parcourt lors du solo dégage une extrême sensualité. Placé al coda, (ça se mérite !) ce grand final est un moment de pur plaisir avec une explosion d’émotions, comme si l’on était à la porte de l’Eden…

 

S’il fallait davantage creuser pour comprendre cette direction artistique, il serait judicieux de parler du cinquième homme de l’album, Greg Kurstin. Qui mieux que ce dernier pour guider ces jeunes loups dans leur quête de grandeur ? Kurstin, une pointure affichant un C.V. imposant, long comme un bras compte tenu de ses collaborations remarquables (Foo Fighters, Beck, McCartney, Elton John, Liam Gallagher ou encore Lady Gaga pour faire court) et plusieurs fois récompensé pour son songwriting ou ses productions. Un allié de poids qui a certainement permis de gagner en assurance et faire des choix audacieux. Tears of rain pourrait illustrer à merveille un western tant l’esthétique déployée évoque l’ambiance d’un pueblo désolé après le passage de gringos ; le fait que nombre de titres soient portés par des down/midtempos ; les embardées sauvages bien là, mais ponctuelles notamment lors des soli, voire à l’approche du refrain (Built by nations). Cet opus prend vraiment son temps avec ses multiples introductions laissant la part belle à des claviers surannés, il ralentit parfois – la batterie sachant se mettre en sourdine –, biaise en prenant des chemins de traverse (The Barbarians) mais il avance en pleine liberté (Light my love). Il faut attendre plus d’une minute pour découvrir l’organe majestueux du frontman sur le premier titre qu’est Heat above. Un choix résolument assumé et qui tend à montrer que le groupe s’est plu à sortir de sa zone de confort.

 

Concluons avec un extrait du communiqué de presse qui accompagnait le disque : « (…) Greta Van Fleet est un groupe de rock ou de rock and roll. Comme tout ceux qui les ont précédés, ils sont aux prises avec ce que cela signifie. La musique rock est toujours piégée dans une sorte de retour éternel. Mourir et renaître comme un phénix. (…) » Une déclaration plutôt nietzschéenne … Le groupe est au clair avec lui-même : il n’est pas révolutionnaire musicalement parlant, il sait ce qu’il doit à ses lointains aînés et manifeste le désir d’intégrer le très large panthéon du rock. Pour cela, il faudra encore et longtemps ferrailler avec les détracteurs. Voyez Messieurs The Battle at Garden’s Gate comme une première victoire.

-Benoît GILBERT

 

Artiste : GRETA VAN FLEET

Album : The Battle at Garden’s Gate

Label : Lava/Republic Records

Date de sortie : 16 avril 2021

Genre : rock/rock and roll

Catégorie : Album rock

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