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UNDERVOID, Le noir se fait

Il fallait avoir les yeux et oreilles grands ouverts dès 2017.

Le 11 février, trois groupes alsaciens étaient à l’affiche de la Maison Bleue. Sous l’égide de Van Hammer Stone qui fêtait la sortie de Girl on a stone on a crow on a world on ruins (chronique ci-jointe), Obsoleth et Undervoid étaient aussi de la party. Une belle affiche dans tous les sens du terme (un sublime visuel signé Stéphane Perger). Rempli d’enthousiasme, je rédigeai un premier billet sur la bande emmenée par Arnaud Sumrada quelques jours plus tard. 

 

 

Telle la fourmi laborieuse par nature, la formation née en 2015 avait fait le choix de multiplier les concerts et les EPs avant de s’atteler à l’édification d’un LP digne de ce nom. Après 15 titres répartis entre février 2016 et octobre 2018, une poignée de clips, une palanquée de représentations – plus de cent en 2019 – et un remaniement côté basse (Bill Ottomo a cédé sa place à Mathias Fischbach en février de cette année), Undervoid se jette enfin dans le vide. Alea jacta est.

 

 

Et alors que le noir se fait sur 2020, les Strasbourgeois lâchent leurs coups le 23 octobre, donnant au passage un regain d’énergie avec ce 10-titres à la pochette élaborée, millimétrée, anatomique, pleine de cachetons, de pavillons, … Ce tout chaotique capté par un œil qui dévore une grande partie de la couverture. Le noir se fait ou un oeil grand ouvert sur une société à la dérive, déclinante. Presque A terre (in EP#2, 2016).

 

 

A la barre de ce disque enregistré dans les conditions du live, puis masterisé aux mythiques studios situés sur Abbey Road, il fallait un 5e homme capable de faire corps d’emblée avec le groupe. Undervoid s’est donc adjoint les services de Rémi Gettliffe, incontournable (p)artisan de l’analogique et des sonorités chaudes, authentiques, véritable maïeuticien d’albums élogieux œuvrant dans sa maternité qu’est le studio White Bat Recorders. 10 jours auront suffi pour mettre en boite 10 nouveaux brûlots. Oui des boulets rougeoyants, tel la première plage qui démarre avec le beat endiablé de la caisse claire d’Alexandre Paris. Un rythme à rendre l’auditeur Addict. Prêtant l’oreille, on peut discerner le cliquetis de la pédale fuzz qui lui emboite le pas à la deuxième seconde : les orgues de Staline résonnent alors dans les enceintes !

Les 9 suivantes sont tout aussi décapantes, agrémentées de textes sans concession du chanteur. Sans tomber dans la sinistrose contemporaine, voire la collapsologie, même si le pire est à l’œuvre aujourd’hui comme dans le monument bientôt centenaire de Fritz Lang, rien n’est vraiment foutu. Le noir se fait vilipende le consumérisme et le capitalisme glorieux («Exploitons l’homme par l’homme », in Dieu n’existe pas), pointe du doigt l’individualisme, la religion, l’autoritarisme, le militarisme et son corolaire industriel (Dieu n’existe pas ; On va, on vient, …), etc. Une prose dénonciatrice qui a été pendant presque 40 années le terreau des textes du rock alternatif français, de la Mano Negra à un certain Bertrand Cantat, à l’endroit de toute forme de pouvoir (Chef apache). Mais bien loin l’idée que de résumer ces musiciens à de simples rejetons de Noir Dés’. Le style du quatuor strasbourgeois est davantage éclectique.

 

Outre cette patte hexagonale et engagée ces jeunes gens ont aussi un pied par-delà la Manche. Et une main outre-atlantique ! Le noir se fait, c’est un enracinement dans les différentes strates du rock. Depuis le début, le heavy metal britannique affleure dans nombre de riffs de Marc Berg, avec des phrasés à la manière d’un Jimmy Page et de son zeppelin alourdi. Un héritage ancien lui-même adossé au blues rock US et résolument accouplé aux sons californiens. Passé le flirt avec les Angelinos de The Knack (le riff de On va, on vient  connaît une sensible proximité avec celui My Sharona), l’entame stoner de Je suis né peuple, les soli sur lesquels Kirk Hammett ne cracheraient pas durant Alea jacta est (le caractère thrash était bien plus présent sur l’EP#4), force est de constater que la guitare tend à plusieurs reprises vers l’univers déjanté de Tom Morello. Pléthore de pédales sont convoquées (wah wah, octaver, etc.), effet gauche-droite-gauche-stéréo sur Bouffon du roi, … le paroxysme résidant dans le dernier morceau, La machine. Le titre comme une évidence, mais les petits motifs miaulant, les dead notes annonciatrices d’un solo excentrique soutiennent cette idée. Soulignons qu’au cœur du déluge de sons triturés, saturés, émerge une acoustique accueillant les refrains de la chanson éponyme, comme un contrepoint bien senti à ce titre motörheadien, dans lequel la robuste batterie au charleston ultra sollicité est en pleine symbiose avec la basse. Si cette dernière est désormais moins exubérante, moins aventureuse que par le passé – pas  de slap comme sur A terre – et que les effets sont plus « réglementaires » que ceux employés sur les 4 EPs (une disto bien massive, comme une Big Muff, nous embarque sur Addict), elle n’a pas perdu pour autant en efficacité. Et lorsqu’elle n’est pas abrasive, la 4-cordes est résolument mise en avant (Bouffon du roi, La machine), afin de balancer de méchants grooves (Dieu n’existe pas) et des sonorités élastiques (On va, on vient).

 

A demi-suggérée plus haut, la rage d’Undervoid se retrouve finalement aussi dans les paroles d’Arnaud Sumrada. Avec un phrasé rugueux, quoique emprunt de versatilité toute maîtrisée, tel Fred Franchitti d’Astonvilla (formation excellente à redécouvrir !) il synthétise le verbe scandé de Mouss des Mass Hysteria (Je suis né peuple), à celui gonflé d’agressivité de Bernie Bonvoisin à son apogée dans les années 80 (Bouffon de roi). Toutefois, les plus grandes similitudes, notamment dans la prose énigmatique, implicite d’écorché vif convergent en direction du chanteur de Noir Désir. Bien que de nombreux clins semblent avoir été semés ici ou là, le meilleur exemple réside dans Un regard a suffi, le premier titre mis en avant à travers un clip.

 

Cet extrait tranche par rapport au reste de l’album : mélancolique avec son overdrive un brin crunchy, downtempo – même le solo ici prend son temps, laissant trainer les hurlements distordus – c’est de l’émotion à l’état pur à l’instar de celle déployée dans Des visages des figures. Ici l’organe du frontman est doublé d’un léger écho fantomatique, comme les plaintes d’un mégaphone emportées par le vent. Dans un dernier élan de poésie débridée, alors qu’en toile de fond la musique se tarit au gré d’une rythmique métallique en proie aux bourdonnements, les derniers vers du disque sont une invitation à la rébellion: «Fais péter la machine / A peine sorti d’usine»). Ultime preuve que du désenchantement un sursaut peut avoir lieu, à l’image du sabotage de Souvarine dans Germinal. Ou un acte de piraterie en somme. La piraterie, une imagerie récurrente pour le groupe résonnant également dans ses vers  (« Aventurez-vous vite là où se loge la vertu / De corsaire à requin, Une seule planche de salut », in Bouffon du roi). Non, rien n’est figé, l’ordre établi doit être culbuté. Le noir se fait, un manifeste anarchiste ? Peut être. Mais, une ode à la volonté d’agir. Ne point, ne plus subir !

 

Groupe montant, ultra prolifique et ayant gagné ses galons sur scène durant ses 5 premières années d’existence, Undervoid a de belles cartes en main pour la suite. Adossé à un artwork organique qui invite à la réflexion, Le noir se fait est un disque incisif a écouter à plein volume sur ses enceintes ou de façon plus mesurée et religieusement au casque, afin de découvrir toutes les fioritures et subtilités (les effets de panoramique sur Bouffon de roi, …). Le diable se tapit dans les détails, il en va de même pour les très bons albums.

-Benoît GILBERT

 

Artiste : UNDERVOID
Album : Le noir se fait
Label/distribution : Sous Le Vide
Date de sortie : 23/10/2020
Genre : rock
Catégorie : Album rock

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