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black midi, Schlagenheim

Jeune et brillant quatuor britannique dont on ne sait presque rien, black midi ne cesse de cultiver le mystère. Une discrétion qui aura fortement alimenté toute la curiosité et l’attente gravitant autour de la sortie d’un premier album nommé Schlagenheim. Annoncé au mois de mai dernier, le disque est sorti ce vendredi 21 juin chez Rough Trade. Une oeuvre terriblement singulière et jusqu’au-boutiste qui vient confirmer tout le génie d’une formation unique.

Formé il y a un peu plus d’un an par quatre musiciens frôlant la vingtaine, black midi est bien éloigné des sphères du star-système et de sa communication outrancière. Peu (voire pas du tout) présents dans les médias et sur les réseaux, les Britanniques se forgent une solide et suffisante réputation lors de prestations scéniques démentielles et peu communes. Leur furieux concert islandais donné pour KEXP illustre plutôt bien ce constat. Au sein de l’hexagone, dans le cadre du festival GéNéRIQ, on pensera aussi aux Franc-Comtois et aux Bourguignons qui ont eu le privilège de les voir et qui ne s’en sont certainement toujours pas remis. Principalement orientée vers le math rock, la formation propose des sonorités denses lorgnant également du côté du post-punk ou encore du noise rock. Hormis d’obscures morceaux lancés sur la toile (on pense directement à l’excellent bmbmbm) et quelques titres dévoilés récemment suite à leur signature chez Rough Trade (Crow’s Perch puis Talking Heads), les quatre jeunes anglais restent discrets. Ils cultivent un mystère sans précédent et forment ainsi l’un des groupes britanniques les plus excitants du moment. Une hype qui a pris de l’ampleur lors de l’annonce, au mois de mai dernier, de la sortie d’un premier album prévue le 21 juin. Nommé Schlagenheim, ce premier essai d’exception bouscule violemment le monde parfois trop sage du rock indépendant et devrait à coup sûr secouer le moindre auditeur désireux de s’aventurer dans l’univers totalement fou de black midi.

C’est par un premier riff absolument dantesque que démarre Schlagenheim. Quelques secondes plus tard, les autres instruments viennent s’ajouter à cette déflagration et créent un déluge musical absolument jouissif. La voix plus que démonstrative du guitariste Geordie Creep, à l’image de la fureur vocale de David Byrne, vient se poser sur tout ça et s’accommode parfaitement au bordel ambiant. Sur cette introduction de plus de cinq minutes intitulée 953, les musiciens jouent avec nous en mettant en place une montagne russe sonore parfaitement maitrisée. Musicalement, on retrouve la folie math rock de Hella mais aussi le post-rock tendu de A Minor Forest. Dans un terrible crescendo qui laisse entrevoir tout le potentiel du groupe sur scène, le morceau se stoppe net et l’on ressort de cette première expérience déjà totalement épuisé. Speedway prend la suite et permet au bassiste Cameron Picton de passer derrière le micro. Une composition plus douce mais toujours aussi menaçante qui nous laisse apprécier toute la virtuosité et la finesse du jeu de batterie de Morgan Simpson. Un monstre de technique qui devrait traumatiser plusieurs générations de batteurs qui croyaient avoir tout entendu. Et ce n’est pas le titre suivant, Reggae, qui viendra contredire cette observation. Démarrée par une mélodie que l’on croirait sortie d’un album de Don Caballero, la chanson se déroule et laisse s’installer une forme de mélancolie. Une mélancolie rageuse qui atteindra son paroxysme, quelques secondes plus tard, sur la montée en forme d’exutoire de near DT,MI. Ce dernier morceau, relativement court, constitue un des sommets émotionnels de l’album. Après un démarrage en trombe complètement déchainé et halluciné, la musique redescend et emprunte des motifs tendus à des formations issues des 90’s telles que Rodan, June of 44 ou encore Shipping News. Dans une progression que n’aurait pas renié les groupes précédemment cités, le bassiste reprend le micro pour enfin laisser exploser toute sa rage et expulser une certaine frustration dans un accès de violence musicale inouï. On reste bouche bée et on se demande ce que le disque peut encore bien nous réserver. Comme un retour au calme bien mérité, Western vient une fois de plus brouiller les cartes en proposant des sonorités introductives se rapprochant presque de la country ou du southern rock. Un début apaisé qui laisse présager un emballement inévitable. Le groove est présent, le boucan également. Un paradoxe qui peut rappeler les sentiers empruntés par Bastro ou Bitch Magnet il y a une trentaine d’années. En l’espace de huit minutes tranchant totalement avec le début de l’album, l’auditeur est bousculé et finit par être déboussolé face à tant de changement.

Tout aussi décontenançant, aidé des éructions du chanteur dignes d’un John Lydon en transe, le presque éponyme Of Schlagenheim vient jouer avec nos nerfs et lance sans transition le titre suivant : bmbmbm. Ce dernier, que l’on pourrait presque considérer comme le tube de l’album, est l’unique morceau qui ait été dévoilé nommément par le quatuor avant la sortie de ce premier disque. La rythmique est rigoureuse mais néanmoins créative. En guise de fond sonore, un sample, obtenu grâce au haut-parleur d’un téléphone portable crachant un discours à quelques millimètres des cordes du second guitariste Matt Kelvin, vient troubler ce morceau démentiel. Geordie Creep déblatère, déclame des paroles sur une section mélodique répétitive à souhait. Le titre décolle et, dans un capharnaüm absolument jubilatoire, les hurlements du chanteur viennent se mêler aux furies des instruments. Les guitares deviennent dingues, la basse est copieusement assommée et la batterie est totalement tabassée. Au terme de cinq minutes de génie, le disque repart de plus belle avec le très contrasté et trop rapide Years Ago. En clôture, Ducter vient finir de nous achever dans un dernier tourbillon. Les passages sombres et progressifs de cette dernière étape nous rappelle le Washer de Slint. Le chanteur est toujours empreint d’une réelle folie tout comme le reste du groupe qui, dans un dernier épisode de violence, vient mettre un terme à un premier essai tout simplement inoubliable. On sort de ces quelques quarante minutes profondément marqué et troublé par un groupe qui ne recule devant rien et qui propose une musique spontanée et dense. Renversant.

À l’écoute de ce disque sans concession, les mots ne viennent pas tant on se trouve face à un groupe développant une musique difficilement classable. Les codes ? La formation britannique s’en fiche éperdument et nous le fait bruyamment et violemment savoir à travers ces neuf titres d’exception tous différents les uns des autres mais néanmoins cohérents. Animés par une rage et une fureur de tous les instants, les musiciens font habilement bouger les lignes et accouchent d’un album particulièrement singulier et virtuose. Perdu entre folie math rock et urgence post-punk, l’auditeur est sans cesse emmené vers de multiples paysages musicaux gouvernés par la spontanéité. Des voyages exigeants mais terriblement jouissifs. Avec ce tant attendu Schlagenheim, black midi offre à un monde pas forcément prêt un chef-d’oeuvre rare et puissant. Et si l’album du siècle était sorti en 2019 ?

Note : 10/10

Hugo COUILLARD

Artiste : black midi
Album : Schlagenheim
Label : Rough Trade
Date de sortie : 21/06/2019
Genre : Math rock
Catégorie : Album rock

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