Si la gueule de l’Enfer était encore à localiser, avec certitude elle aurait été vue ce mardi 14 mai 2019 du côté de Belfort.
Alignement des planètes, la venue de Jon Spencer & The HITmakers et des Italiens de The Devils sonna comme des trompettes devant Jericho. Mais heureusement, ici les murs érigés en 1832 par le général Haxo sont solides et ne churent pas! Retour en quelques mots sur ces prestations à voir, entendre, bref à vivre in situ…
THE DEVILS
The Devil(s) inside…
20h, les ténèbres s’abattent sur Belfort avec l’irruption de la doublette transalpine qu’est The Devils. Dès le premier coup d’oeil, les Italiens se posent comme des objets de curiosité qui embarquent avec eux leur auditoire vers le 7e cercle infernal pensé par leur illustre compatriote Dante Alighieri dans sa Divine Comédie, à savoir la strate réservée aux blasphémateurs! Les oreilles chastes, les yeux innocents et vierges de toute image salace en ont pour leur compte avec ces fils adultérins des Cramps, sobrement estampillés blasphematic crash rock’n’roll duo.
Elle: Erica Volgare, batteuse effrénée à la voix de braillarde, porte un body de vinyle, des cuissardes rutilantes laissant apparaitre des résilles négligées. La touche finale de son complet réside dans l’association de lunettes de soleil et d’une coiffe de nonne; c’est la caution féminine du duo.
Lui: Gianni Puzzadidio, guitariste de son état, est également paré de vinyle noir, scintillant de mille feux et porte les rouflaquettes avec une classe toute empruntée au King. Le pento est aussi de la partie.
Dans cette virée à tombeau ouvert, portée par une setlist regroupant des titres féroces de leurs deux disques (Sin, you sinners et Iron bout) personne n’est épargnée (ça c’est pour les oreilles chastes). Pas même le Saint Père – quoique goguenard – sur le fâcheux et grossier photomontage appliqué sur la “peau” de la “grosse caisse”… (ça c’est pour les yeux innocents).
La comparaison exposée plus haut avec le gang de Lux Interior ne s’arrête pas au travestissement, le jeu de scène est aussi fidèlement reproduit.
Lui: après avoir fendu la foule tel un prophète, s’enfonce le microphone au fond du gosier, tout en lapant à moitié un plancher patiné par des chaussures douteuses.
Elle: simulant l’onanisme.
Lui: le pantalon sur les genoux, le slip translucide et les yeux rivés sur le ciel, comme possédé.
Elle: allongée par terre avec son nouvel accessoire récréatif, une 6-cordes ayant maintes fois gémi au son d’une disto à vous écorcher vif, … Oh oui, on les sent les vices!
Lui: en train de ramper juste qu’à sa satanée batteuse, désire un baiser.
Elle: sourire long puis lui crache au visage. A bout portant.
Et caetera.
Après ce show bouillonnant comme le sanguin Phlégéthon, The Devils méritent indéniablement le titre de bêtes de scène. Sans concession, sans scrupule ni remords d’ailleurs, mais viscéralement gagné par le diable au corps, le gang napolitain finit par se retirer sous les vivats de nouvelles âmes damnées. La messe noire se referme alors que l’homme gominé et au col romain signe à deux reprises la foule chauffée à blanc: elle est désormais prête à recevoir le sermon de Jon Spencer.
JON SPENCER & THE HITMAKERS
“Si j’avais un marteau …”
Avec Spencer, c’est désormais un enfer sonore et glacial – les lumières bleues plantent le décor – qui s’ouvre devant la foule belfortaine. Le dandy de 55 ans est là avec sa nouvelle horde, ses HITmakers! Parmi ces quatre cavaliers de l’apocalypse, il y a M. Sord derrière ses fûts qui martèle généreusement ses cymbales et plaque des rythmes épurés. Dans son entreprise, il est rejoint par Bob Bert (ex-Sonic Youth). Après avoir enfilé des gants de travail (!), l’homme empoigne deux marteaux de charpentier qu’il abat ponctuellement sur un réservoir de camion, un ressort moteur, des poubelles galvanisées, … Métal hurlant dans la petite salle voutée!
4e larron, et non des moindres, Sam Coomes. Vissé à ses claviers bardés d’autocollants explicites, l’homme à la dégaine de geek se démène comme un bougre: hurlements à tue-tête, claques nourries sur le front, … il apparaît à bout de souffle à plusieurs reprises, chancelant sur ses jambes peu enclines à le soutenir encore longtemps. La prestation est intense et il lui faut quelques dizaines de secondes avant de regagner sa place. Situation que constate le frontman – lui-même transpirant à grosses gouttes – avec une certaine pointe de sourire.
Au bout de quatre titres, un incident vient émailler cette communion musicale. Un spectateur pris d’une pulsion jette ses bières sur le percussionniste. Ni une ni deux, le concert cesse. L’artiste se lève de son siège et dresse son marteau. Tu bluffes Martoni?! On ne saura jamais, car dans la seconde qui suivit la sécurité évacua l’importun. Jon Spencer, placide mais un tantinet agacé, rejoue sa partition. Et c’est au rythme de l’excellente Hornet, titre addictif aux contours groovy, voire afro, tant les choeurs sont percutants/saisisants, que le concert reprend de plus belle.
L’exhibitionnisme en moins, l’ombre d’un Iggy Pop plane sur la Poudrière (Love handle). Nébuleux, nerveux, le chanteur sert un florilège de titres à l’esthétique savamment poisseuse et new-yorkaise. Poisseuse voilà la couleur qui tapisse désormais une chapelle quasi comble. Et le public raffole de ces morceaux à la structure rêche, hachée (Fake, Ghost) et dominée d’un bout à l’autre par une distorsion omniprésente, y compris associée au microphone du leader du JSBX. Une esthétique garage, jouant avec la juxtaposition de motifs martiaux, de riffs que l’on retrouve aujourd’hui dans les compositions de The Kills. Et oui, si Jon révèle sur scène des accointances avec l’Iguane, il est aussi facile d’identifier ses rejetons putatifs.
Porté par un charisme naturel, il prêche pendant de longues minutes à la foule d’une voix sibylline, notamment aux premiers rangs pour lesquels il n’hésite pas à plonger ses yeux pétrifiants tel une gorgone dans le regard des personnes ciblées. A cet instant précis, la tête de sa Silvertone rode à quelques encablures de vos yeux… sensation garantie (testée et approuvée par votre serviteur!)
L’assemblée profite pendant plus d’une heure trente d’un agrégat de morceaux de ses formations passées (Just wanna die, NYC: 1999! des Pussy Galore; Dang, Shirt Jac du Blues Explosion) mais surtout ceux extraits de son premier effort en solo de l’an passé, Spencer songs the hits (Hornet, Alien humidity, Cape, …). Au terme de 16 morceaux interprétés pied au plancher, le crooner se retire. Au-delà des conventions, il est de retour quelques instants plus tard pour un rappel. Spencer est souriant et pour cause, cette première date française de la tournée est une réussite. Le plateau avec The Devils est judicieux, le public captivé, bref ce sont 3 nouveaux titres, d’une intensité semblable aux précédents, qui sont adjoints, histoire de rincer définitivement sa nouvelle monture!
A l’issue de ces messes underground, on ne peut que devenir fidèles.
Setlist de Jon Spencer & The HITmakers
1-Trash can
2-Just wanna die
3-Fake
4-Beetle boots
5-Hornet
6-Overload
7-Cape
8-Tough times in plastic land
9-Shirt jac
10-NYC: 1999!
11-Gentle
12-Alien humidity
13-Wilderness
14-P.F.L.
15-Dang
16-Love handle
-Benoît GILBERT
Photos: Benoît GILBERT
Merci à toute l’équipe de la Poudrière!