Le mardi à La Laiterie c’est shoegaze et psychédélisme à tous les étages. En tout cas, c’est le menu de ce soir en convoquant The Brian Jonestown Massacre et les Valentinois de Dead Horse One. On en oublierait presque que l’on est à Strasbourg…
Ce sont les Français de Dead Horse One qui arpentent en premiers les planches de La Laiterie. Déchargeant pendant plus d’une demi-heure des guitares saturées et gavées d’autres effets, telles que la wah wah (I love my man), la formation invite au voyage et, bizarrement, me rappelle au bon souvenir de The Verve. Oui, avant de se noyer dans les ritournelles britpop acidulées façonnées main (Lucky man, etc.), Richard Aschcroft et sa bande sévissaient dans un registre plus expérimental et aérien à trois guitares (et un saxo d’ailleurs…), notamment durant leur période A storm in heaven – A northern soul. Et c’est ce même mur de son qui claque aujourd’hui, notamment sur Season of mist.
La filiation avec des formations résolument shoegaze, à l’instar de My Bloody Valentine ou The Telescopes sur l’excellent Forget about Jesus est peut être davantage évidente. Finalement peu importe les comparaisons, l’instant est appréciable. Les motifs ultra répétitifs toutes cordes dehors créent une solennité jubilatoire. Cet entêtement est savoureux, les chœurs de circonstance, on se laisserait bien porter encore un petit plus longtemps. Dead Horse One, un groupe à voir impérativement!
21h30, entrée d’Anton et de son équipe à géométrie variable en fonction de ses humeurs. L’homme arborant désormais des faux airs de Neil Young démarre avec We never had a chance et What happened to them, deux nouveautés qu’il rode depuis quelques mois et semaines sur les planches. Avec cette entame, le leader confirme son statut d’artiste hyperactif, d’inlassable créateur. Et par la même, il accentue toujours un peu plus le courroux de ses détracteurs rappelant que dans cette débauche créative, il se mord la queue musicalement parlant et que ses fans sont débordés par la multitude de parutions. D’ailleurs, quid du dernier né dans ce set copieux de 19 titres ? Something else (album sorti en mai de cette année) est évoqué comme du bout des lèvres avec trois titres (Hold that thought, Who dreams of cats ? et Animal wisdom). Un peu comme si le cinqua était déjà passé à autre chose. Plus loin, il continuera à glisser d’autres nouveautés : Forgotten graves, Drained, What can I say?, se payant même le luxe de conclure sur un inédit (A word). En marge de cette fuite en avant, le BJM propose aussi des classiques de son cru, mêlant shoegaze bancal et psyché dissonant : Who ?, When jokers attack, Sailor, Servo, That girl suicide sont de la partie et point remarquable, le son est bon. Même très bon pour le foutraque crew de San Francisco. Les guitares Vox, dotées pour certaines de 12 cordes, sont brillantes mais pas criardes. A plusieurs reprises on assiste à des morceaux exécutés par 36 cordes claquantes et réverbérées, du grand délire.
On a beau l’apprécier, lui trouver une certaine sympathie à bailler et à roter derrière ses lunettes noires (l’indispensable accessoire du groupe ce soir) Joel Gion est une énigme du rock. Pire, peut être la plus grande arnaque de ces 15 dernières années. Un homme, un tambourin (mais pas n’importe lequel au regard de certaines interviews), une position centrale, un micro (mais pourquoi faire ?) et En Avant Guingamp ! Depuis le temps il devrait être un virtuose de l’instru, un maître à suivre, un novateur. Non ! Son jeu est minimaliste et bien trop souvent hors des clous. Lorsque les titres s’étirent, que le motif tourne en bouche, on pourrait deviner alors un « pseudo solo » de ladite percussion, mais non. Les impros ne sont définitivement pas son fort. Et pendant ses ratages, Anton ne dit rien. Etonnant, car l’instant d’après il se fâche contre Ricky Myami, son guitariste installé côté jardin. Rien ne va : le son, le rythme, … allez hop, on recommence! La tension est alors palpable. Un spectateur, visiblement connaisseur des mœurs du dictateur lâche un « Casse-lui la gueule Anton ! » … Mais il est loin le temps des règlements de compte sur scène ou des limogeages en pleine tournée.
Alors que conclure ? Oui ce fut un bon concert mais en rien révolutionnaire. A bien y regarder de plus près, il y a une dichotomie entre le BJM sur disque et celui sur les planches. Passée l’aspect indigeste d’une discographie qui croît à vu d’œil, il faut reconnaître que depuis quelques années Newcombe s’est montré très aventureux, faisant de la musique électronique un élément presque inhérent à l’esthétique de son navire amiral (voir les chroniques consacrées aux albums Third world pyramid ou Don’t get lost pour ne citer que les derniers). Cependant, sur scène il en est tout autre. L’homme ne prend aucun risque et joue inlassablement ce que l’on pourait qualifier de BJM originel. Oui il y a de nouveaux morceaux bardés de boucles invitant au lâcher-prise mais quand on finit un concert à 9 sur scène – sur le final A word, les roadies s’installent à leur tour et endossent des grattes – on pourrait espérer apercevoir, entendre autre chose qu’une énième guitare. Dommage.
Setlist de The Brian Jonestown Massacre
We never had a chance
What happened to them
Hold that thought
Forgotten graves
Who ?
Who dreams of cats ?
That girl suicide
Drained
Nevertheless
Pish
Anemone
Animal wisdom Something else
When jokers attack
Sailor
Servo
The devil may care
What can I say ?
Yeah yeah
A word
-Benoît GILBERT
Crédit photo : Benoît GILBERT