Institution depuis 1948, la foire aux vins est aussi l’occasion pour des artistes nationaux et internationaux de s’exprimer dans le théâtre de plein air de Colmar. L’affiche de ce lundi pouvait semblait déséquilibrée et contrastée entre un groupe de Strasbourg, The One armed man, et la star internationale Lenny Kravitz qui sort (déjà) son onzième album. Il n’en a rien été : la soirée fut démente.
L’exercice de la première partie est toujours délicat, surtout à la vue des têtes d’affiche de ce grand rendez vous de l’est de la France. Le groupe est particulièrement heureux d’avoir été choisi, et remercie longuement le public : il se montre du reste très poli et respectueux vis à vis de ce dernier pendant leur grosse demi-heure de concert. Leur musique, justement, s’influence largement de groupes américains (The Raconteurs, BRMC, The Black Keys) avec l’énergie du grunge, portée par une batterie surpuissante. Le son est remarquable, les musiciens jouent avec précision et détermination les titres qui vont constituer leur premier album qui doit sortir prochainement (Play The Game, Love is a lonely road).
Leur mission est plus que remplie : si des fans étaient présents, pour la majorité des spectateurs il s’agit d’une belle découverte, le chanteur ayant du reste cette capacité à relancer la foule et la préparer à la suite de la soirée. Il fallait entendre notamment à la fin de leur set les premières notes de Are you gonna go my way jouées avec rage comme une promesse pour la suite. Les spectateurs, bras levés, offraient un décor superbe pour un selfie du groupe immortalisant une prestation compacte, certes, mais particulièrement réussie et enthousiasmante.
C’est autour de 21h30 que les musiciens de la tête d’affiche font leur apparition : nous reconnaissons notamment la bassiste Gail Ann Dorsey, qui outre le fait de jouer pieds nus a surtout accompagné David Bowie de nombreuses années. C’est ensuite que les lumières s’éteignent, et Lenny Kravitz est présent au fond de la scène, au dessus de la batterie, attendant que les feux se rallument pour lancer les premiers power-chords de Fly Away. Le son est absolument énorme, le musicien vêtu en pattes d’eph et bottines à talonnettes avec sa guitare autour du cou enchaîne sans temps mort avec Dig It, offrant du reste au talentueux guitariste Craig Ross un premier solo magistral. American Woman, autre morceau célébrissime de l’artiste, permet à ce dernier d’accueillir sur scène de nouveaux musiciens de la section cuivre, transformant ce tube en hymne reggae devenant même une reprise de Get Up, Stand Up. Lenny fait le show, défile sur la scène, déclare sa flamme à ce public français qui l’a toujours apprécié depuis ses débuts.
Place est ensuite faite à deux nouveaux morceaux du prochain album (qui sort au début du mois de septembre prochain), It’s enough et Low, avec une guitare Funky, une basse volontiers groovy, et un Lenny séducteur : ce mélange des styles, ce combo sexy et les lumières violettes par moment omniprésentes font penser inévitablement à Prince, autre immense musicien et showman disparu il y a deux ans déjà.
Lenny Kravitz développe la thématique de la sensibilité avec un autre titre phare, It ain’t over’ til it’s over, où la longue intro faussement fleur bleue se termine par une interprétation tout en finesse et sensualité, rappelant combien l’artiste est un musicien doué et généreux. L’inspiré Can’t Get You Off My Mind, dans une ambiance folk acoustique faisant inévitablement penser au Knocking on heaven’s door de Dylan, permet de prolonger le plaisir des anciens albums (ici Circus). Where are We runnin’ pouvait faire craindre un léger coup de mou, mais un autre énorme solo de guitare de Craig Ross nous fait vite revoir notre jugement, avant que le trompettiste Ludovic Louis sur The Chamber fasse lui aussi s’exprimer tout son talent. L’autre classique Again, prolongé pour le plus grand plaisir des fans, est le moment que choisit Lenny pour s’éclipser de la scène.
Réclamé à corps et à cris par les quelques 8000 spectateurs présents, il revient pour parler avec le public dans une sorte de grand sermon sur l’amour : celui de son prochain, de l’humanité, et aussi de son public : une fois l’interprétation de Let Love Rule effectué, Lenny marche dans la fosse, tape dans les mains de ses fans, et passe par l’escalier le plus excentré pour en rencontrer d’autres. La foule est en transe et l’atmosphère incroyable : Kravitz a droit à une standing ovation, avant qu’il ne s’éclipse une seconde fois. Difficile de croire que ce magnifique concert puisse se terminer sans une autre folie, une ultime faveur et un dernier moment de grâce.
Ce sera chose faite avec le second rappel. Are You Gonna Go My Way, en partie chanté par le public, se transforme en une véritable orgie rock qui fait exploser le théâtre de Colmar. Pendant que ses musiciens – soigneusement présentés et chaleureusement applaudis – terminent par une nouvelle instru reggae, Lenny signe le plus simplement du monde des autographes aux personnes de la fosse, sourit à des fans et dédicace de tee-shirts promis à un avenir de relique précieuse. Deux heures de concert d’une rare intensité, d’émotion et de rock dans tous ses états font de ce concert un moment extraordinaire. Tous les musiciens autour de Lenny peuvent ensuite saluer le public depuis le devant de la scène, chacun étant assurément très heureux de la prestation de l’autre. Nous venions assurément de vivre un très beau concert et d’un show sensationnel, prouvant que le rock en 2018 peut toujours parler d’amour et de passion au plus grand nombre.
Julien Lagalice
Crédits photos : merci au service presse de la foire aux vins de Colmar et à Stéphanie JUEN de nous avoir fait parvenir ces belles photographies des deux concerts ; et encore bravo pour l’organisation de cette belle soirée !