Si le grunge était né en France dans les années 2010, exit Nirvana, welcome Jessica. Son Seattle à lui serait le 93, Bondy pour être précis. Hors de nos vues les chemises canadiennes, entrez ici bas de jogging, casquette et boîte à rythme ! Kurt s’effacerait des mémoires pour Geoffroy, etc. Une vision folle, iconoclaste jusqu’à ce concert du 17 février à la Laiterie. Et comme de bien entendu, les bonnes choses n’arrivent jamais seules, la première partie fut également de qualité. La faute à qui ? J.C. Satàn parbleu ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer ! mais cette soirée fut jouissive.
Les Lacryma Christi du rock
Le quintet bordelais ouvre la soirée avec puissance et sans complexe. Un rock nerveux, urgent aux confins de la transe hypnotique balaie la petite salle strasbourgeoise. La guitare d’Arthur tonne avec sa disto dont tous les potards semblent poussés à fond ; Thee Oh Sees sors de ce corps ! Un déluge garage, crucifiant stoner, punk et pop psyché sur une même croix, récure de fond en comble le lieu. Paula, la chanteuse au look détonant grâce à sa casquette vissée sur la tête et exhibant sa panoplie de tatouages hétéroclites – tout comme son gratteux– alterne entre passage « posés », qui la placerait aux côtés d’une Kim Deal et des élans éructés qui fleurent bon le temps des Riot Grrrl.
Bref, ici tout semble hardcore et cette heure en compagnie de ces teigneux ante-christs est bien salutaire. Le groupe se fend même de titres qui fonctionnent comme des mantras parsemés de boucles électros et de basse ronronnante, goinfrée de Big Muff Pi… On savoure ces péchés mignons dégoulinant de sauvagerie jusqu’au final. Un ange passe alors, délaissant sa trompette de l’apocalypse pour les larsens du rock… Ce soir Strasbourg a vu la lumière.
Apathy for the Devil.
Puis vint le tour de Jessica93. Désormais ce sont les portes d’un enfer grunge qui s’ouvrent à un auditoire en pleine religion. Dans un genre clairement identifiable sur le papier, Geoffroy et ses trois apôtres sont venus porter la bonne parole mais à leur manière. La dégaine hybride, la tignasse cachant le visage et un phrasé traînant viennent communier avec un univers new wave, un brin indus, trempé dans un bénitier de mélancolie.
Si le grunge est parcouru par des légions de prophétiques beautiful losers, Jessica93 ne déroge pas à la règle. David Snug, l’homme qui se dandine dans le fond de scène, propose un jeu de percussions que l’on peut qualifier de saupoudrage ou de cosmétique à base de cymbales et de tom basse; le gros de la rythmique étant confié aux bons soins de machines… Et puis sans crier garde, l’ampli d’Eric Bricka rend l’âme. Nous sommes à trois titres de la fin. Le guitariste s’assied dans la pénombre, résigné. Le temps d’un interlude impromptu, les cigarettes fleurissent à l’initiative de Geoffroy ; on rit, on blague lourdement jusqu’à ce que les miséricordieux J.C. Satàn assurent le SAV en prêtant du matériel. Le concert redémarre. Comme quoi on peut toujours compter sur son prochain, ou sur son prédécesseur ! Les derniers titres s’étirent généreusement ; la basse d’Henri Adam se fait mécanique avec des motifs répétitifs comme joués pour l’éternité.
Dans un final que le messianique Cobain n’aurait pas renié, Jessica93 envoie tout valser. Les feedbacks dantesques, obtenus en râpant la gratte sur l’amplificateur, précèdent le désossage de la batterie : les cymbales sont mises à bas, le tom jeté. Suivent de peu les instruments à cordes et leur enceinte. Visiblement, il n’y aura pas de rappel ce soir.
Voilà donc une affiche qui compte. Dans le riche paysage musical français, il y a de géniales formations indé, véritables curiosités aux contours destroy, au même titre que Le Villejuif Underground, qui méritent que l’on se déplace. J.C. Satàn et Jessica93, Merci pour cet agréable moment!
-Benoît GILBERT
Crédit photo : Benoît GILBERT