Nous vous annoncions son arrivée en juillet dernier avec la sortie du premier morceau en avant-première de l’album Ununiform de Tricky. Il est sorti fin septembre et ce serait dommage de passer à côté.
Tricky, Adrian Thaws, est devenu citoyen Berlinois depuis quelques années. Cette ville change les cœurs lourds de trop de civilisation genrée et capitalisée en les remplissant d’une ardeur créatrice alternative bienfaisante et libératrice. Elle a opéré sa magie sur Tricky et sur son label exilé avec lui…
Loin de toute considération financière ou de pression britannique (nous ne parlons pas d’Ale pour le coup), Tricky s’est paré de cette nouvelle énergie surfilée de son style et des valeurs qui le constitue. A presque cinquante ans, il assume avec vigueur ses états d’âme tout en acceptant les mouvements de fond qu’ils engendrent. Il dit ou chante ses colères, ses frustrations et douleurs ou bien il prête ses mots à d’autres voix invitées. Il les soutient d’ailleurs souvent de la sienne comme pour les surligner dans un style reconnaissable entre mille.
Ununiform de Tricky est puissant, organique, parfois dérangeant : Only way, le premier morceau sorti en vidéo en est un exemple. Avec une précision machiavélique dans l’enregistrement au plus près de la voix, il laisse entendre jusqu’au moindre soupir, filet de voix, pleurs et humeur suintante… Sensualité impressionniste jusqu’au frisson, entre dégout et attirance.
Sur les 13 titres de l’album on retrouve des noms connus comme Asia Argento (actrice réalisatrice et DJ rencontrée à L.A) sur Wait for signal, Francesca Belmonte (castée en 2013 pour Fake Idols et la scène) pour une reprise d’un de ses propres morceaux : New Stole ou Martina Topley-Bird son ex compagne. Cette dernière habituée au partage des compos du bonhomme et absente de ses productions depuis près de 15 ans avait également posé des voix sur des titres de Massive attack ou DJ shadow… On reconnait au premier souffle sa voix incroyablement en phase avec celle de Tricky pour When we die, le dernier titre de l’album. C’est d’ailleurs le treizième morceau, pour un treizième album et le chiffre préféré de Tricky… Une chance !…
On accueille aussi des nouvelles voix dans les sillons d’Ununiform : Terra Lopez (du duo électro Sister Crayon), Avalon Lurks (pour la reprise de Doll parts de Hole), Mina Rose (une jeune londonienne repérée par Tricky sur son soundcloud) pour Dark days et Running Wild plus un rappeur russe : Scriptonite (Скриптонит) en duo sur Blood of my blood.
La langue russe apparait aussi avec Smoky Mo sur le court mais efficace Bang Boogie. C’était d’ailleurs un fantasme enfin assouvi de Tricky qui rêvait d’embarquer des activistes du rap russe dans ses productions. Lors de la présentation de l’album il a annoncé en écouter depuis plus de 20 ans. Un quart de l’album a du coup été enregistré en décembre 2016 à Moscou où « les gens vivent chaque jour comme si c’était le dernier ». Tricky dit aimer le son de cette urgence. Les producteurs locaux ne s’y sont pas trompés et ont mis en valeur les quatre titres moscovites.
Côté esthétique on retrouve dans Ununiform ce qu’on a parfois cherché en vain dans d’autres productions de Tricky : La précision des sons, un minimalisme au service du propos. Les voix choisies embarquent l’auditeur bien sûr, mais, souvent, c’est ce qui se trouve entre les mots, les respirations, les souffles, les grincements voir les reniflements qui parle et dit. Le viscéral de la forme l’emporte sur la distante réflexion du discours.
Calme et rasséréné par le mode de vie moins excessif de l’artiste, l’auditeur mettra moins de temps pour arriver à se sentir en confort avec les morceaux que sur d’autres albums du même Tricky.
De la compréhension viendra la passion… Au fur et à mesure des écoutes vient l’appropriation des morceaux. Les découvertes de menus détails enchantent l’esgourde et récompensent la pugnacité. On déniche quelques références bienvenues, des Talking Heads à Polly Harvey, Kate Bush et même quelques auto-références sonores ou écrites (Hell is round the Corner)… Y’a pas de mal après tout.
On retrouve à l’envie des sons synthétisés à l’extrême comme des instruments acoustiques ou électriques. Mélés en signature par des virgules discrètes, presque cachés, des sons du quotidien ou d’autres complètements extra-terriens passent, tissent des liens invisibles mais fondamentaux… Comme les voix de Tricky planquées çà et là sous celles de ses chanteuses ou chanteurs ou juste dessus, enfin pas loin. Il ne laisse pas les morceaux vivre sans lui. Il les reconnait et les accompagne pour, au moins, une touche finale. Parfois comme un quidam qui ne connait pas toutes les paroles d’un morceau, devine juste à temps les dernières syllabes pour réussir à chantonner quand même avec son idole… Humour Trickyen surement… Un effet parfaitement maitrisé et réussi avec juste ce qu’il faut pour ressentir la spontanéité, le jaillissement. Lumineux on disait.
Bref, cet album serait celui de la « sombritude » éclairée. Sombre parce que l’univers de Tricky est souvent une descente dans les profondeurs de son histoire d’enfance… Sombre parce qu’il garde un regard lucide et pessimiste sur le monde. Eclairé parce que la flamme de la créativité est ravivée, devenue presque sereine par sa nouvelle ère Berlinoise et une forme de quiétude. Eclairé aussi par les quasis chefs d’œuvres contenus dans cet écrin qui se laissent apprivoiser plutôt que de se livrer impudiquement.
Tricky dit qu’il fait ce qu’il aime et cela nous suffit. Les suggestions fortes, les impressions émergeant de ses compos feront de toute façon fi des styles et des époques… Ununiform !
Artiste : Tricky
Album : Ununiform
Label/Distribution : False Idols
Date de sortie : 22 septembre 2017
Genre : Musique alternative/Indé
Catégorie : Album rock