Depuis 2008, le Festival des Artefacts de Strasbourg se déroule sur plusieurs soirées à la Laiterie et 2 à 3 journées au Zénith. Mais, 2017 est une édition déroutante. En effet, après avoir déprogrammé le samedi, dévolu aux musiques urbaines et ne pas avoir posé de warm up rue du Hohwald, il ne reste plus que le dimanche à se mettre sous la dent.
Le début d’après-midi démarre avec les Suédois de Royal Republic. Le public est alors encore peu nombreux et sa moyenne d’âge est résolument jeune.
Entourée de deux grands éclairs à LED, la formation faussement rétro, arborant costumes, noeuds papillon, cheveux rabattus en arrière, voire moustache pour le chanteur, propose un concert très énergique, mêlant les mélodies pop à des rythmiques punk rock et à un humour de chaque instant. D’entrée de jeu, Adam Grahn, le leader interpelle un homme au premier rang qu’il baptise « François » et vers lequel il reviendra à plusieurs reprises. À ses côtés, les autres membres ne sont pas en reste. Entre les grimaces et les blagues convenues du bassiste ou les sollicitations du guitariste en direction de la foule afin de reprendre en chœurs les refrains, le show est rondement mené. Les jambes allongées sur la grosse caisse, le batteur fera languir plusieurs minutes durant le public avant de relancer la machine. Aidé de ces 3 acolytes aux micros, le moustachu interprète Addictive à la guitare acoustique, qui est, je cite, « the most sexual weapon in the world ». Sur un thème enjoué, le titre est expéditif et clairement potache. La formation poursuit avec le single Baby qui ravit le public, avant de conclure sur une série de covers, dont Battery de Metallica et Ace of spades de Motörhead.
Le changement de plateau s’effectue dans la demi-heure, laissant désormais la place aux plus irlandais des groupes américains, Flogging Molly. Entre l’immense trèfle érigé en fond de scène et les bières irish, il ne manquait plus que le son pour parfaire l’image! Durant presque une heure, j’assiste à un show de folklore irlandais trempé dans un fût de punk music, débutant avec la redoutable The hand of John L. Sullivan. Le chanteur Dave King est royal en distribuant des trois quarts du breuvage houblonné entre deux hymnes de son cru, à l’instar de Drunken lullabies. De l’accordéoniste à la violoniste, tout le septuor mouille la chemise et Strasbourg joue le jeu : les pas de danse du leader barbu sont suivis de pogos et de slams. Lorsque le frontman à lunettes prend le temps de trinquer avec le public en criant « Santé, santé », son batteur enchaîne sur le beat mythique de Sunday bloody Sunday avant que la gratte ne lui emboîte le pas. Cela amuse le chanteur à la voix rocailleuse qui tue dans l’œuf toute reprise de la bande à Bono. À l’issue de The seven deadly sins, titre refermant ce spectacle aux accents celtiques, beaucoup ont besoin de prendre l’air et de se réhydrater. (…)
Avec un sandwich et une boisson, les 30 minutes qui me séparent d’Anthrax passent rapidement. Bien loin d’être un fan, je suis tout de même enthousiaste de voir un groupe emblématique. En somme, des légendes du trash metal un dimanche après-midi à Strasbourg, le concert improbable! Improbable encore l’entrée tout sourire des musiciens sur la groovy Can’t turn you loose des Blues Brothers. Un véritable grand écart avec le backdrop arborant un énorme pentagramme coincé entre deux colonnes de prêtres squelettiques aux canines acérées… Bref, ma première impression positive se confirme avec Among the living. Alors qu’ils ne sont pas la tête d’affiche, et devant un Zénith modestement rempli, les membres d’Anthrax assurent une prestation haute en couleur. Joey Belladonna et consorts offrent son dû au public, venu recevoir en pleine face ce bombardement tout droit sorti des années 80. Tel Freddie Mercury, le chanteur aux origines italo-indiennes tient son micro avec une perche et ne cesse de distribuer tous les médiators qui sont à portée de main. (…) Alors que le soliste et le bassiste se font les fers de lance du headbanging, Scott Ian, autre cheville ouvrière des trashers, passe son temps à sauter fiévreusement de droite à gauche avec sa guitare. Enfin, masqué par sa batterie imposante, Charlie Benante assène des rythmes semblables à des déflagrations jubilatoires. Sous une pluie stroboscopique, le groupe interprète les classiques qui l’ont porté au sommet (Caught in a mosh, Indians ou I am the law) et se permet de conclure avec Long live rock’n’roll. Après ce concert, certains quitteront le lieu heureux: ils ont vu un quart du Big Four of Trash à Strasbourg.
Fuir le Zénith à cette heure-ci, c’est passer à côté du théâtre dressé par les Allemands ultra maquillés de Powerwolf. Entrevus quelques jours plus tôt au Hellfest, la formation emmenée par la fratrie Greywolf est très en forme et enchaîne les titres sur un rythme effréné. Les guitaristes jumeaux ne se lassent pas de permuter leur poste respectif, de telle sorte que l’on ne sait plus qui est qui (même chevelure, même guitare, même jour de naissance !). Attila Dorn est au micro et fait l’effort d’échanger le plus possible dans la langue de Molière. Les chœurs sont repris par l’assistance, qui finit par d’adonner à un remake de babord-tribord orchestré par le chanteur et son claviériste, véritable trublion agitant son écharpe, puis un large drapeau au cœur d’une scène enflammée. La formule magique de ce show repose beaucoup sur l’omniprésence de la religion. L’imagerie du groupe comprend un pseudo-chrisme (mais avec les initiales du groupe reproduites sur la peau de la grosse caisse), un décor d’église en ruine pour arrière-plan, remplacé progressivement par un loup terrifiant vêtu comme un ecclésiastique, mais aussi et surtout des titres dans lesquels le sacré côtoie le salace : Coleus sanctus, Resurrection by erection, …). La communion se termine par la distribution d’hosties, pardon de sacro-saints médiators pour les fidèles du premier rang.
En début de soirée, Mastodon investit les planches du Zénith. Nouveau groupe, nouvelle ambiance. Bien moins goguenards et loquaces que leurs prédécesseurs aux lourds costumes, les Ricains offrent un rock austère, coincé entre sludge et stoner. La formation entame avec Sultan’s curse, un des sept titres joués et issus du dernier disque, Emperor of sand. Troy Sanders se replie tout de go sur l’arrière de la scène, afin de se déhancher de façon reptilienne le long de ses baffles. Côté guitares, Brend Hinds, l’homme parsemé de tatouages, se présente comme un gratteux dépourvu de zygomatique. Ambiance garantie ! Concentré sur son manche, il hypnotise la foule avec ses parties lead, tandis que son homologue, Bill Kelliher – tout aussi souriant – assure des rythmes pachydermiques, notamment sur Black Tongue. (…) Sur les 16 morceaux proposés, les quatre musiciens donnent successivement tous de la voix. Belle performance, y compris pour le batteur Brann Dailor. Toutefois, il faut reconnaître que le groupe ne cherche pas à fédérer. Les échanges avec le public sont comptés (un constat déjà fait lors de leur passage aux Eurockéennes). Bref, chacun son truc. Du coup, la fosse est singulièrement clairsemée pour ce concert de bonne facture. Beaucoup préfèrent patienter dehors sur le bitume la venue de Trust.
C’est chose faite à 21h45. Bernie et son désormais fidèle bonnet (le même qu’au Hellfest, parce que c’est bien connu : le soleil tape fort à cette heure-ci. Qui plus est, dans une salle. ) déboulent pour un peu plus d’une heure, avec une surprise en point d’orgue. Derrière ses lunettes noires, l’homme rejoue la scène du festival clissonnais : d’abord il se penche longuement sur les paroles de L’archange, puis rappellera plus loin à l’assistance que Trust est toujours un groupe engagé, en introduisant Au nom de la race par une mise en garde contre les extrêmes et le racisme. Beaucoup sont là pour les (re)voir jouer, non pour un sermon. D’ailleurs, les occupants des tribunes seront aussi froidement douchés, car ils sont assis et que « l’on ne doit pas l’être pour un concert de rock » dixit le chanteur. Argument discutable et martelé plusieurs fois avec peu de tact pour nombre de fans de la première heure, qui quitteront la salle avant la fin… Sachez Cher Bernie Bonvoisin que des artistes bien moins rock’n’roll que Vous, à l’instar d’Helene Fischer en Allemagne, voire Frank Michael en France font se dresser des foules entières. Le dernier exemple suggéré effectue ce tour de passe-passe avec des femmes ayant (eu plusieurs fois) 18 ans et cela sans même réclamer ! C’est peut-être à cause du bob sur la tête ? Ou le fait d’être débraillé, de se refroquer inlassablement ? C’est quelques peu gênant à voir. Il faut acquérir un ceinturon, voire des bretelles ; demandez conseil au guitariste des Flogging Molly… Sinon, l’homme n’est pas seul sur scène. Certes, Nono fait le boulot à la guitare (oui je m’auto plagie, mais moi j’ai une ceinture !), toutefois les nouveaux venus qui assurent l’intérim avec brio sur la tournée – basse, batterie et guitare rythmique – détonnent et manquent malheureusement de charisme. Alors comment sauver le spectacle ? Heureusement, il y a le one-hit wonder : Antisocial ! Il est interprété en compagnie d’Anthrax. Les New Yorkais rejoignent sur scène la Bande à Bernie Bonvoisin et dans un grand bordel – car c’est très mal calé, notamment du point de vue des paroles – régalent la foule strasbourgeoise.
Je ressors de cette journée plutôt satisfait, abstraction faite du dernier concert qui fut une resucée de mauvaise tenue. A méditer : tous les vins ne vieillissent pas bien. Certains s’apprécient jeunes, un point c’est tout. 40 ans après, Trust en live a comme un goût de bouchon…
- Benoît GILBERT
Crédits photos : Benoît GILBERT