La seconde journée du festival Rock-en-Seine était annoncée sous les auspices d’un soleil assez pesant. Les nombreux points d’ombre allaient être prisés. Il aurait fallu cependant plus d’obstacles pour décourager une foule bien décidée. La programmation du jour, gantée en blanc, a propagé quelque chose d’aussi chaleureux que l’atmosphère, mais d’ordre musical.Le retour d’un The Libertines qui se reforme était probablement le concert le plus attendu de la seconde journée du festival. Du moins, le plus attendu par les fans. En effet, le groupe bicéphale du sulfureux Pete Doherty et du non moins caractériel Carl Barât, est la construction d’une entité électrique qui avait laissé un nom. Et ce, même lors de sa mise en sommeil. Au-delà des fidèles, un petit nombre de festivaliers connaissaient la réputation des Libertines sans les avoir une fois entendus. L’enjeu était double : d’un côté, ne pas décevoir, de l’autre, convaincre. Retrouver The Libertines au domaine de Saint-Cloud, avec le sentiment d’être parmi les 30 000 premiers à accompagner la renaissance, amplifiait le ressenti. On aurait pu concevoir que les projets annexes respectifs aient eu une influence, que le nouveau ton soit donné par une ambivalence, celle de Babyshambles et de Dirty Pretty Things. Pourtant, les années de séparation peuvent se fondre entre les parenthèses. A terme on ne s’en rendra plus compte puis que l’essence du groupe est la même qu’avant. Le concert a commencé par des plans courts, donnant l’impression de morceaux en brouillons. Ensuite, les anciennes chansons ont emboîtées les nouvelles. Pete Doherty s’amuse tel un enfant sur scène, tandis que Carl Barât tient les rênes. Les organisateurs pouvaient être soulagé de cette prestation à la hauteur des espérances.
Le samedi, Rock-en-Seine a jeté son dévolu sur un effet pop revival porté à maturité. Entre autres avec Etienne Daho, qui fait partie d’une catégorie d’artistes que la scène effraie. C’est dire s’il ne faut pas manquer l’occasion. Pourtant il se résout à tomber pour la France (sa chanson Tombé pour la France a d’ailleurs pile 30 ans !) et, quand il faut y aller il y va. Son effort scénique depuis un an finit par payer. Sous ses habits et lunettes noirs, il faisait de grands gestes histoire de vaincre sa légendaire timidité. La voix suivait, s’offrant au public avec le meilleur d’elle-même. Les morceaux qui dans les années 80 et 90 teintaient la pop d’ambiances cold-wave ont été revues en rock à coups de guitare. Des titres de son dernier album avaient eux aussi une belle exposition sonore. De son côté, le groupe Stereophonics est venu raviver la flamme d’une pop émotive et élégante. Inscrites dans la continuité de nombreux albums du groupe, les nouvelles compos montraient en live que pour rester dans le coeur du public, un artiste peut aussi garder un cap. Leader des Stereophonics, Kelly Jones n’apporte pas de changement particulier, juste un travail qui fait gentiment évoluer. Plus tard dans la journée les festivaliers pouvaient se rendre compte qu’on peut aussi avoir la classe avec un rock plus acide et gonflé en noirceur. C’est le cas d’Interpol. S’attendre à une mise en scène visuelle aurait été une erreur. Tout est dans le son vindicatif du rock post-punk. S’il est le dernier pilier de ce courant, Interpol en montrait le noyau encore ce soir-là. A la fois simpliste (bien organisé) et hargneuse, la musique se voulait plus électrique que dansante. Chansons connues et nouveaux titres alternaient.
Entre temps, le festival a résonné sous les claquements rythmiques de guitare de l’émergent groupe Balthazar. Le public s’est laissé embarquer dans une expérience à l’esthétique musicale qui rebondissait. Les Belges ont proposé un show exigeant, assez pour décharger le spectateur d’en demander davantage. Sur certaines chansons, la voix de Maarten Davoldere éreintait sous l’emprise d’un piano qui semblant dominer. Des influences seventies pouvaient suggérer l’intention du concert. Laquelle intention contenait des mouvements alternatifs, poussés jusqu’au rock, sur des mélodies somptueuses. Et puisque Rock-en-Seine a laissé envahir les scènes par les “mâles” en tout genre, autant que ce soit des virtuoses ! Ben Howard était de ceux-ci. L’homme-orchestre a délicatement attiré le public dans son univers. Enveloppe à double-voix sur une guitare qui porte la note au firmament. Ensuite, ça vogue, ça tangue, ça penche vers le psychédélique. Ben Howard frôle cette autre dimension sans la toucher vraiment…
-Frédéric DASSONVILLE
Crédit photo : Nicolas Joubard (ambiance) ; Victor Picon (The Libertines, Étienne Daho, Balthazar)