Third Man Records/XL/Naïve/2012
L’année 2012 marque le retour de l’un des grands de la musique dite indépendante. Voilà trois ans, ouverture du label Third Man Records, Jack White producteur, « philosophe » et musicien hyperactif a réussi à bâtir un royaume prospère, imposant, en perpétuelle évolution et au rayonnement mondial. Un peu plus d’un an après la séparation des White Stripes, ses autres groupes hibernant, White reprend les armes à coup de Blunderbuss ; et il vous aura prévenu, un tromblon se charge avec tout ce qui vous passe entre les mains. Retour sur ce cocktail (il existe cf whitestripes.fr) varié et franchement explosif !
Il est clair que le deuil des White Stripes est difficile. Ce groupe était le pilier dans la vie de White, sa marque de fabrique, l’origine de sa patte si particulière et la comparaison avec tous ses autres projets est inévitable. Mais ne devrions-nous pas prendre du recul et le regarder comme un homme fidèle à ses valeurs mais toujours en quête de nouveauté, aller toujours plus loin ?
L’album s’ouvre avec Missing Pieces, Sixteen Saltines, Freedom at 21, tous restent dans la tradition Whitienne : clavier, guitare, batterie fracassante, et cette mise en bouche sonne comme un rappel des trois groupes dans lesquels il a joué. Ecoutez, les fondations sont intactes, pas de problème, maintenant construire et déconstruire sera un jeu d’enfant. Comme tout le monde le sait, Jack White est fourbe. Love Interruption ouvre la deuxième partie de l’album, marquant un changement radical dans la suite de l’histoire (ah ah, il nous a bien eu !). Dans cette puissante ballade traitant des paradoxes de l’amour, c’est Ruby Amanfu qui l’accompagne, peut-être pour montrer que chaque individu a une part de responsabilité dans la séparation (thème récurrent) : « I want love to change my friends to enemies, and show me how it’s all my fault. ». I guess I should go to sleep (titre étonnant pour un hyperactif tel que J.White) représente bien ce changement de direction musicale. Le morceau a été enregistré avec Pokey Lafarge And The South City, dans une pure tradition country-bluegrass. Quelque chose vous sautera aux oreilles, mais où est donc passée la bonne vieille guitare électrique ?
Quitte à perpétuer la mode du clavier ou de l’orgue, mieux vaut s’attaquer à l’instrument noble qu’est le piano. Dans les vieilles marmites, on fait les meilleures soupes ; adieu l’effet électronique, bonjour la sincérité (nous sommes à mille lieues de ces mauvaises reverb’ plastiques à la mode) et le maître le fait à merveille. Hip (Eponymous) Poor Boy est une ballade enjouée aux accents festifs ; traitant des hommes qui cherchent l’authenticité à travers le blues. N’est-ce pas l’une des quêtes premières de Jack White ? La guitare n’est pas boudée pour autant, généralement acoustique (Love interruption ; Blunderbuss), l’électrique reprendra les devants avec I’m Shakin’ (reprise de Little Willie John) ou encore ces solos dantesques avec Weep Themselves to Sleep. Il semblerait que les morceaux aient été ressortis des tiroirs de White. Tout aurait commencé lorsque le rappeur RZA lui a fait faux-bon. Entouré de ses musiciens, il aurait dit : « Okay, nous allons jouer mes morceaux ». Sans brouillons préalables, il se serait installé au piano pour composer car il avait besoin d’écrire « right now » ! Tout cela est bien déconcertant, n’est-ce pas ? Ceux qui attendaient la rage d’antan vont être déçus : « Merde, il s’est assagi ! ».
L’album est un recueil de jolis morceaux entraînants et très enfantins, mais regardez les paroles de plus près. Comme il le dit lui-même : « Lorsque j’écris sur un ton joyeux et que cela sonne trop facile, j’y incorpore un peu de lutte ». Là réside la solution, les paroles sont plus violentes, tout le monde en prend pour son grade, particulièrement les femmes, lesquelles, aux chœurs, ont une place prédominante dans l’album; étonnant pour ce crooner charmeur. Trash Tongue Talker (langue de pute, en français) ou encore Missingpieces : « sometimes someone controls everything about you, and when they tell you that they can’t live without you, they ain’t lyin’, they’ll take a piece of you ». Ces paroles résonnent comme une sentence, on te montre du doigt. Jack ne se ferait-il pas un peu rappeur ? Ca en à tout l’air, tout est dans la rythmique et dans la façon de prononcer les mots ; preuve à l’appui : Weep Themselves to Sleep. L’album se clôt sur l’extraordinaire : Take me with you when yo go, aux changements de rythmes et de styles incroyables. Le portail reste ouvert et l’onr este un peu sur notre faim. On sent les points forts, mais aussi les points faibles. Jack White en ferait-il trop ? Toujours à faire ceci, cela, c’est difficile de le suivre. Il ne se laisse pas le temps de réfléchir, ce qui peut le perdre, et nous perdre nous aussi, dans un amas de : “J’en veux encore plus”. Pourtant, cela peut s’avérer être un point fort car contrairement à d’autre le gaillard ose, c’est la, la puissance de Jack White : ne jamais se contenter du strict minimum.
Des racines de Detroit, un bourgeon éclot à Nashville, White semble assumer entièrement ses faiblesses. Avide de découvertes, ce Faust est un artiste complet qui se cherche à nouveau. Blunderbuss est un album brillamment puissant mais qui ronronne. En tout cas, on ne peut être déçu, car White essaye de toujours se renouveler. Et c’est ça qu’on aime chez lui.