Pour leur 34ème édition, les Eurockéennes débutent avec une météo capricieuse et le retour de la boue, qui occasionnellement est un des marqueurs du festival. Retour sur une journée assez frenchy et féminine, autour de groupes cultes et d’artistes colorés.
L’organisation étant toujours aussi remarquable, les bus mis à disposition du public permettent une arrivée sans encombre et plutôt rapide sur le site, afin de profiter du premier concert de la journée à la Loggia, celui des Lambrini Girls. Tout est résolument punk chez ce groupe féminin, distillant une énergie au plus près du public sur le gazon en fin de set, notamment sur Boys in the band. Outre la puissance du groupe et le charisme de la chanteuse, signalons également son pouvoir de faire cesser la pluie peu avant 19h00, ce qui renforce la bonne impression ressentie.
Dans un tout autre genre, la chanteuse malienne Oumou Sangaré monte peu après sur la grande scène. Cette auteur-compositrice-interprète, acclamée internationalement par la critique et un large public – les festivaliers ont peut-être reconnu Diaraby Nene, samplé par Beyoncé il y a quelques années-, fait partager la musique et la langue de sa région d’origine tout en défendant la lutte des femmes et la lutte contre les inégalités. Le brassage culturel de la programmation et la générosité de l’artiste font inévitablement écho à l’actualité politique, et rappelle combien la musique et sa portée universelle sont des vecteurs d’une rare puissance pour permettre le vivre-ensemble et la tolérance.
C’est ensuite une partie musicale plus festive qui s’offre au public, avec Julien Granel et sa pop-funky-fluorisée ou Pierre Hughes José, pour un rap aux accents vesouliens et ruraux, autobiographique et plein d’autodérision. Le rappeur franc-comtois échange régulièrement avec le public, balance des vannes et se montre très à l’aise sur scène. Assurément un intermède qui plaira aux plus jeunes festivaliers, et qui rappelle que la programmation a toujours été du côté des jeunes artistes, leur faisant confiance pour leur permettre de s’exprimer dans un des plus grands festivals de France.
Toutefois, et sans volonté aucune de dénigrer les artistes précédents, on peut dire que les choses sérieuses ont réellement débuté à partir de 20h00, au moment où les Royal Blood ont pris possession de la grande scène. Devenu en quelques années un des grands noms de la scène rock, groupe très populaire – un nombre impressionnant de tee-shirts à leur effigie a été croisé sur le site -, distillant leur rock si puissant et caractéristique. Le groupe a surtout joué des titres de leurs deux premiers albums à l’efficacité redoutable comme l’impeccable Little Monster pour la plus grande joie des fans. Mike Kerr avec ses nombreuses basses et une myriade de pédales pour faire hurler son instrument de façon perçante, et Ben Thatcher avec sa casquette habituelle et sa batterie imposante sur une estrade, se présentent. Darren James, le claviériste, apparaît principalement lors des chansons des deux derniers albums. Avec un style très stoner, les deux musiciens démarrent en trombe avec une version étendue de Out Of The Black et Come On Over. Le show d’une heure est néanmoins mené tambour battant.
21h00 est passé lorsque les mythiques Pretenders se présentent sur la scène Greenroom, menée par la jeune septuagénaire Chrissie Hynde, seule survivante de la formation initiale mais plus cuir et rock que jamais. Accompagnés par des musiciens remarquables, donnant tout et harassant sans cesse leurs instruments, la prestation a été particulièrement aboutie et émouvante grâce aux titres récents, plutôt réussis et accrocheurs, mais également par des morceaux de bravoure. Difficile de résister à Middle of the road, à l’immortel Don’t get me wrong ou encore à la ballade I’ll stand by you. Main sur le coeur, guitare portée à bout de bras, de longs applaudissements : la prestation historique et mémorable ne sera sans doute pas oubliée de sitôt par les festivaliers.
Quelques pas dans la boue en prenant soin d’éviter chaussures égarées et nourriture oubliée sont nécessaires pour aller voir Romy. Affranchie de The XX, elle est accompagnée d’un autre musicien pour défendre les titres électro-pop sensuel et intimiste de son dernier album. L’amour est au centre de ces textes, permettant une belle communion avec le public grâce aux refrains accrocheurs – She’s on My Mind ou Enjoy Your Life – pour ceux et celles présents et qui ont décliné Big Flo & Oli. La jeune femme épanouie semblait très heureuse, et le jeu final des lumières dans ce cadre toujours somptueux donnait une dimension poétique et féérique supplémentaire.
Difficile d’échapper au phénomène musical Zaho de Sagazan, qui a tout emporté (ou presque) sur son passage depuis l’année dernière. Entre chanson et synth-pop, la jeune femme a tracé un chemin personnel et authentique, avec une simplicité très naturelle. Aspiration et l’ensemble des titres joués sont impeccables, et la foule se fait nombreuse à mesure que le concert avance. Sa voix, à la fois pure et intensément fragile, captive l’audience. La scène, baignée de lumières rouges et bleues, crée une atmosphère envoûtante pour elle et ses musiciens. Nous sommes transportés dans un autre univers. Elle commence à danser. Sa musique semble la traverser, elle la vit et la ressent profondément, c’est un spectacle magnifique. Puis, elle s’adresse au public. “Je pensais que la sensibilité était une faiblesse. Chez moi, cela se manifestait par des larmes et des cris de colère. Je n’y voyais pas d’avantages. Puis, j’ai découvert le piano.”
Difficile pour les bisontins de Horskh qui jouent simultanément face à cette concurrence, mais les musiciens et leur métal-indus ont déployé toute leur énergie sur scène, fidèles à leur réputation.
Enfin, ce sont les mythiques Prodigy qui assurent la clôture du festival. Groupe culte des années 1990 et de toute une génération, il se présente pour la troisième fois sur le site du Malsaucy mais orphelin de Keith Flint, décédé en 2019. Mais la machine à tubes – Breathe, Firestarter, No Good entre autres – et la prestation très professionnelle avec un son énorme et des lasers surpuissants font que ce choix s’avère judicieux pour les programmateurs comme les festivaliers.
Pendant ce temps, Bon Entendeur transforme la plage en dancefloor. Derrière leurs platines, les deux DJ du groupe jouent des musiques downtempo de leur album à des bangers de disco-house. La foule autour de nous applaudit et filme les jeux de lumières et la scénographie.
Il est près de deux heures du matin, difficile de dire qui du chroniqueur ou des chaussures est en meilleure forme, mais la journée a plutôt tenu ses promesses. Ne vous méprenez pas.
Textes Julien Lagalice et Alexandre Lamy