Après une trilogie américaine inspirée par le folk américain, Arman Méliès revient avec un album fort différent, un disque qui convoque tant la musique électronique que la chanson française. Un opus magnifique qui confirme si besoin était tout le talent de cet artiste inclassable. Entretien.
« Ce nouvel album rompt musicalement avec le style folk américain de tes trois précédents disques. Pourquoi ce tournant ?
– Je ne voulais pas me répéter et avais envie de m’amuser. J’éprouvais le besoin de me surprendre. Il y avait l’idée de débroussailler un territoire neuf. J’ai pris conscience en écrivant ce disque de mon amour pour la musique européenne, pour les musiques de films de Philippe Sarde et de Morricone, pour Joy Division ou Clash…C’est quelque chose qui est proche de moi. J’aime beaucoup la musique américaine, des Doors à Neil Young mais celle européenne me touche également. Si j’avais continué dans mon fantasme de musique américaine j’aurais fini par m’auto-caricaturer, serait devenu une sorte de Johnny avec les santiags et tout ça.
– A une époque où les gens ne prennent pas de risques et où le public est friand de formats courts, toi non seulement tu changes de style, mais en plus tu fais un double-album.
– J’ai toujours eu le fantasme du double-album. Tout musicien l’a. Faire un double-album élargissait, qui plus est le champ des possibles. Et puis j’avais la matière. J’ai bien conscience qu’en faisant un style musical très différent de celui de mon précédent album je pouvais perdre des gens mais j’ai toujours évolué dans des styles différents donc la prise de risque n’est pas un problème.
– Certains titres du disque m’ont fait penser à Manset.
– On m’a souvent comparé à lui mais ce n’est pas une influence. J’ai un grand respect pour lui mais sa musique ne me touche pas trop. Par contre c’est un super parolier. Nous avons écrit ensemble un morceau pour Bashung, moi la musique, lui le texte. Nous avons sans doute des influences similaires, notamment les poètes romantiques.
-J’ai aussi pensé à François de Roubaix en écoutant cet album.
– Je ne l’écoute pas tant que cela. J’aime beaucoup ses petites mélodies qui carillonnent. Mais ce n’est pas une influence énorme. Je suis beaucoup plus influencé par Morricone et John Barry, par exemple.
-« Obake » signifie revenant en japonais. Tu as écrit cet album en pensant à la perte de tes parents ?
-J’avais déjà écrit un album sur le sujet avec « Casino ». Pour moi le truc était réglé. Je me suis rendu compte qu’en fait pas du tout. Taire sa tristesse, cela ne fonctionne pas. J’ai compris que le deuil c’est de vivre avec les morts. Je me suis replongé pour ce disque dans un catalogue d’une expo au Quai Branly sur les fantômes japonais même si je ne crois ni aux fantômes ni aux esprits.
-Est-ce un concept-album autour de cette question ?
-Un peu. Même si mon écriture est plus paysagiste que narrative. Après ce n’est pas un concept-album à la « Tommy » des Who, un disque qui raconte vraiment une histoire.
– Même si musicalement ce disque est très différent des précédents il en garde le côté cinématographique.
– C’est vrai. L’influence de mon travail pour le théâtre se fait nettement sentir dans ce disque. Je suis sorti du format chanson et ai été aventureux.
-C’est un album solitaire mais avec de nombreux invités. Comment as-tu juxtaposé les deux ?
– J’ai longtemps travaillé tout seul sur le disque mais pour éviter le côté autarcique j’ai voulu inviter des gens. C’était le moment. Il était sain d’ouvrir la porte du studio à d’autres personnes. J’avais aussi besoin pour la voix « fantôme » d’avoir d’autres voix.
– Les invités évoluent dans des styles musicaux très différents les uns des autres.
-Oui il y a Abd Al Malik, La Féline, Adrien Soleiman, notamment. J’avais déjà travaillé plusieurs fois avec ce dernier. C’est un super saxophoniste et il a un timbre de voix très particulier. Les musiciens qui sont intervenus dans le disque se sont fondus à mon univers. Chacun a amené une couleur différente.
-C’est un disque très chanson française.
– J’en écoute plus maintenant que lorsque j’ai fait le disque. Je suis plus sensible qu’avant à la chanson et notamment aux textes. Je le suis encore davantage depuis que j’ai travaillé pour le Théâtre de la Ville. Je suis exigeant sur le texte. J’ai longtemps été plus musicien qu’interprète mais cela a tendance à changer.
-Le disque touche l’auditeur au plus profond. C’était ton but ?
-J’essaie d’abord de faire une musique qui me plaise, qui me procure de l’émotion et après advienne que pourra. Je ne me dis pas en écrivant une chanson tiens j’aimerais bien qu’elle touche les gens de telle ou telle façon.
-Tu écris assez vite. « Laurel Canyon » date de 2021.
-Oui parce qu’après la sortie de « Laurel Canyon » il n’y avait pas encore la possibilité de tourner beaucoup. Du coup j’ai eu du temps pour composer. Je peux écrire la musique assez vite mais pour les textes c’est plus long. Je suis assez envieux des musiciens qui écrivent vite leurs textes.
-Comment vas-tu mélanger pour les live les titres de ce nouvel album avec ceux de la trilogie américaine ?
-Je vais faire des concerts solos dans lesquels je jouerai de la façon la plus minimaliste possible. Il y a beaucoup d’artistes actuellement qui lorsqu’ils tournent jouent avec plein de matériel. Alors que j’aime leurs disques je m’ennuie durant leurs shows. C’est pour cela que je veux quelque chose d’épuré. »