Voilà un groupe peu suivi en France, mais qui draine des dizaines de milliers de personnes à travers le monde. Formé en 1991, il a perdu l’un de ses membres fondateurs, le génial saxophoniste LeRoi Moore, en 2008. On ne donnait alors pas cher de la peau du DMB, et ce d’autant moins que le claviériste Butch Taylor et le violoniste Boyd Tindsley ont peu à peu quitté le combo.
Fort heureusement, le métronome Carter Beauford et le bassiste Stefan Lessard ont été rejoint par l’un des guitaristes les plus éminents et sous-estimés en activité, j’ai nommé Tim Reynolds, ainsi que par d’autres musiciens moins renommés.
Une parenthèse ici pour vous implorer d’écouter l’album Live At Radio City enregistré par Dave Matthews et Tim Reynolds en 2007 ; à ce jour, c’est incontestablement celui que j’ai le plus écouté au cours de ma vie.
Le Dave Matthews Band, ce sont pêle-mêle une énergie phénoménale, une mécanique de haute volée, des shows durant lesquels le public en a pour son argent. A une échelle comparable, il n’y a qu’un seul showman capable de rivaliser avec l’intensité de ces concerts : l’éternel Bruce Springsteen.
Pour leur 10ème album studio (un nombre impressionnant de lives est disponible, puisque c’est ainsi que leur renommée s’est faite), on se savait pas trop à quoi s’attendre.
Walk Around the Moon ouvre l’opus. Et l’on retrouve d’emblée les polyrythmies chères au groupe, un côté afrobeat tout à fait saisissant et très agréable à écouter. Quant à la voix de Dave, elle s’est faite plus douce avec l’âge, plus assagie aussi, mais pas moins intéressante.
Madman’s Eyes est un titre que l’on connaissait déjà, joué à de multiples reprises en live. L’ouverture se fait sur un son très oriental (peut-être un saxo soprano, voire un duduk arménien), une guitare elle aussi accordée de manière étonnante, et les volutes lyriques en contre-chant de Dave. Sans aucun doute l’un des morceaux les plus prenants de cet album, avec son rythme à la fois orthodoxe et toujours complexe. Qui plus est, le thème abordé est d’une lucidité aussi froide que le métal des armes à feu : les tueries de masse aux États-Unis (It’s not black and white ‘Less you’re looking through a madman’s eyes). Comme ils en ont l’habitude, le DMB se fait porte-parole d’un pays à la dérive sur cette question précise.
Looking for a Vein évoque à coup sûr le travail dans quelque mine étouffante, dans lesquelles les mineurs risquent leur vie à chaque avancée dans la roche. Un morceau court, ramassé, tassé, comme l’est la position de l’individu en quête d’un filon qui n’adviendra pas. Dave sait de quoi il parle, puisqu’il est natif d’Afrique du Sud, pays dans lequel ces mines clandestines sont encore très largement répandues.
The Ocean and the Butterfly n’est pas autre chose qu’un hymne à la préservation de la planète, et l’on sait combien le sujet est prégnant dans l’œuvre du DMB (souvenez-vous du live à Central Park, au cours duquel on entend clairement « You love New York City, and leave only your foot prints ».
Musicalement, c’est très exactement ce que le DMB sait faire de mieux : batterie teigneuse, saxo et cuivres, les guitares de Tim et Dave complexes et entremêlées, tant rythmiquement que sur les parties de transitions. Car ce qui caractérise de mon point de vue Dave Matthews, c’est sa faculté à jouer conjointement la mélodie et la rythmique, selon des principes qui n’appartiennent qu’à lui. Et vous savez quoi ? J’adore ça.
It Could Happen est de la même facture, mais on y sent encore mieux la dimension monumentale que peut prendre ce groupe en live. Le titre évoque le destin, la coïncidence, le hasard, et le fait que les rencontres les plus improbables peuvent avoir lieu.
Something To Tell My Baby, moins enlevé rythmiquement, mais pas moins philosophique, évoque l’absence, le peu que l’on laissera de nos vies, sur un ternaire qui ne dit pas son nom. Assez bouleversant, quand les violons viennent conclure le morceau.
After Everything : pour le coup, changement total d’énergie ! Tout commence avec quelques notes dont Tim à le secret, puis la section de cuivre et la batterie entre directement en scène. Et ils ne font pas semblant. Puis tout vire à la pop façon Beatles et pantomime. Déconcertant pour le moins.
All You Wanted Was Tomorrow évoque le sort des soldats revenus du front. De tous les fronts. Et les blessures, les chocs post-traumatiques, les addictions qui bien souvent remplacent l’adrénaline et le sentiment du devoir accompli en vain.
The Only Thing, à mon sens, traite de la maladie mentale et de la crise des opiacés sévissant toujours massivement aux États-Unis. Encore un sujet largement tabou, parce qu’il touche tant au modèle économique, à l’absence totale de déontologie de certains laboratoires, qu’à la situation sociale des plus démunis, ou de ceux qui ont tout perdu à cause de ces molécules.
Break Free est une chanson sur laquelle on peut projeter à peu près tout ce qu’on veut, tant les paroles sont étranges ; amour-haine, séparation, relation toxique, bref, rien de très positif, mais la chanson se tient par la force du groupe.
Monsters traite de la maladie psychique et de ses conséquences. Là non plus, pas le sujet le plus joyeux qui puisse être, mais ce sont des sujets chers au groupe, parce qu’il faut bien la force d’un collectif comme le DMB pour aider les personnes en souffrance.
Singing from the Windows nous rappelle que la pandémie a été mondiale, que beaucoup en sont morts, mais que la vie a repris le dessus petit à petit. Dave l’a composée en 2020, pour se sentir utile durant les périodes de confinement.
Que dire alors de cet opus du DMB ? Que la plupart des chansons de cet album ne sont pas inédites, car on les a pour la plupart entendues lors des prestations du groupe (Break Free a je crois été abandonnée en 2010, avant de finalement figurer sur la galette).
Pour les fans de ce combo protéiforme, aucun doute, vous allez adorer le travail et la production, les arrangements et la voix inimitables de Dave. Pour les autres, ce n’est assurément pas le meilleur disque du groupe, mais ce groupe ne vit pas pour faire des disques, il vit pour réunir des centaines de milliers de personnes à l’unisson. Je ne peux que vous encourager à écouter le Live à Central Park pour vous en convaincre !