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SCOTT MATTHEWS

Il est grand temps de révéler l’un des secrets les mieux gardés de ces quinze dernières années.

Cet enfant de Wolverhampton a connu un succès d’estime en 2006 avec son album Passing Stranger, dont la fabuleuse Elusive était le fer de lance.

Scott Matthews aurait alors pu devenir l’ombre de lui-même, se reposer sur ce succès d’estime, mais c’est sans doute mal connaître l’homme qu’il est. Autodidacte, doté d’une voix et d’un sens harmonique hors du commun, il a fait ce qu’il sait faire de mieux : de la musique, en toute liberté. Souvent comparé à Nick Drake ou Jeff Buckley, il connaît heureusement un destin moins tragique.

On dénombre pas moins de 6 albums studio, et un magistral Live in London (enregistré au Sherperd’s Bush Empire).

Passing Stranger (2006)

Elsewhere (2009)

What The Night Delivers (2011)

Live In London (2011)

Home, Pt. 1 (2014)

Home, Pt. 2 (2017)

The Great Untold (2018)

New Skin (2021)

Artiste prolifique autant que quasi confidentiel, Mr Matthews est un chercheur acharné, et un mélodiste atypique. Si son œuvre peut être revendiquée folk, elle parcourt également le blues, l’électro et l’expérimentation. Ce qui frappe avant tout, c’est l’authenticité et l’absence de compromis dans ses choix. Une vérité crue, étayée par des sonorités à la fois brutes et ciselées. Matthews aime la matière, l’épaisseur sans lourdeur, et s’affranchit du superflu.

On a le sentiment que Scott sait exactement ce vers quoi il veut arriver, ce qu’il veut proposer, et le plus surprenant, c’est qu’il y parvient. Guitare classique, 12 cordes en open-tuning, Guild vintage, Gretsch baryton ou harpes, l’artiste ne s’interdit rien dès lors que cela sert son propos et son univers. Détail amusant, mais pas si rare, il nomme toutes ses guitares, comme pour enrichir le lien qu’il nourrit avec elles. On rencontre alors au détour d’un concert Norman, Melvin, Bigsby, autant de personnages du roman qu’il n’a jamais cessé d’écrire. Chacune a sa personnalité et sublime à sa manière les mots de Scott.

Côté influences, Mr Matthews reconnaît pêle-mêle Robert Johnson et Plant, Thom Yorke, Joni Mitchell et même Joe Satriani.

Armé d’un Fender Excelsior Pro, d’une Holy Grail, et de quelques autres effets, ce n’est jamais un torrent m’as-tu-vu qui nous emporte, mais plutôt un ruisseau enveloppant et ennuagé.

Bien sûr, je suis très partial en écrivant ces lignes. Et j’ai beau rôle de vous faire la leçon, comme si j’étais un puits de science musicale. Il n’en est hélas pour moi rien, puisque je n’ai découvert Scott Matthews que cet été, aux détours d’une écoute radio chanceuse. C’était évidemment Elusive qui était diffusée, mais j’y ai perçu bien plus que ce seul morceau. Prenez Jagged Melody, tirée de Elsewhere. On a l’intuition de connaître la mélodie, que ce morceau a toujours été là, que ce petit gimmick en bend léger est depuis toujours dans nos mémoires, et pourtant, je suis prêt à parier que c’est votre première écoute. Fractured (Elsewhere) ne devrait pas non plus vous laisser insensible. On imagine derrière ces sonorités enlevées un ebow, puis le morceau prend un tour très rock et presque sombre. Si ce titre avait été signé Soundgarden, Jeff Buckley , dEUS, Suede ou Sam Fender, il aurait à coup sûr trouvé un autre écho.

Sur 12 Harps (Elsewhere), nul autre que Robert Plant lui-même pour étoffer un peu plus une myriade étincelante de notes, sur une cadence hors du temps, nous renvoyant à une composition ancestrale, presqu’échappée du Moyen-Âge. Ces deux voix-là se mêlent dans une perfection frisant l’indécence.

On imagine à peine le travail de Scott pour parvenir à ce niveau de composition. C’en est presque complexant pour nous autres humains, parce qu’il sait tout faire : compositions, arrangements, voix, sans omettre un jeu de guitare absolument démentiel. Picking, arpèges, bottleneck, shreddind sans doute, il les maîtrise tous, et ne les utilise qu’à bon escient.

Into The Firing Line est également l’un des morceaux les plus habités de l’album Elsewhere, dans des ambiances de tension apportées par des cordes venues d’ailleurs, et des guitares presque dissonantes. Mais la voix de Scott nous prend par la main et nous invite à une écoute émerveillée.

What have you got to lose?
You can walk in a dead man’s shoes
Do you answer the battle cry?
The truth covers up the lie
Straight into the firing line

Up On The Hill (Elsewhere), ballade oscillant entre Beatles et Radiohead, est aussi un chef-d’œuvre. Comment quelqu’un peut-il parvenir à ce niveau d’écriture et de composition ? Il y a là de quoi être jaloux et rancunier pour plusieurs vies…

Elsewhere, est d’une légèreté de plume et d’une beauté confondante. Je serais prêt à donner un rein pour cette grâce-ci…

I’m not ready if that train’s comin’
Let me belong, here in the wind,
With the sun that greets my skin
I wait in line,
Elsewhere on my mind again
And elsewhere’s so hard to find,
but I try.

Sur l’opus What The Night Delivers, dès les premières notes, on perçoit la force créatrice toujours en action de Scott. Tout débute par Myself Again, qui vous happe par son acoustique de verre et de tintinnabulements, à peine troublée par l’arrivée d’une guitare honnête et droite dans ses bottes. Et que dire de cette voix, de ces cordes, qui ne ferait pas injure à l’artiste ?

Ballerina Lake nous offre également un moment suspendu, élégant et onirique, sur un rythme ternaire. Bad Apple vient se promener sur un trottoir jazzy, Walking Home In The Rain pourrait s’être évadée d’un album de CSNY, mais songez qu’eux étaient quatre…

L’album Home Part 1 s’ouvre sur le fantastique Virginia… et si j’avais été elle, je serais revenu dans les bras du chanteur ! Quant à 86 Floors From Heaven, on imagine Scott bien accompagné au presque sommet de l’Empire State Building…Mais la plus belle mélodie sur ce disque reste (sans conteste me concernant) Mona. Une fois encore, tout y est ; le picking, la ligne mélodique, et un texte à en faire pâlir Baudelaire. Jugez-en plutôt, rien que la première strophe est un condensé de poésie :

Walk by the house every noon
We’re taking the long way, ’cause every step is too soon

I wish you’d stay here, Mona
Lasso the moon, dear, and pull it closer

Ce qui en français (mal traduit) donnerait :

Non loin de la maison à la mi-journée

Nous prenons le long chemin, car chaque pas arrive trop tôt

J’aimerais que tu restes ici, Mona

Attrape la lune au lasso, ma chère, et rapproche là…

Si vous y ajoutez cet accord de sol majeur tout en finesse et hammer-on, il y largement de quoi en rester pantois. Sur Running Wild, Scott se transforme en crooner étincelant, un peu à la manière d’un Harry Connick Jr. C’est juste magique et aérien.

Home Part 2 démarre sur les chapeaux de roue, avec une 12 cordes, des percussions latino, et le titre Drifter. Selon moi, c’est largement du niveau d’un Rufus Wainwright… Sur The Rush, Neil Young et Bruce Springsteen sont convoqués. Univers modal et indien sur Where I Long To Be, blues acéré sur Black Country Boy (qui m’a rappelé combien j’ai aimé Alvin Youngblood Hart et son Big Mama’s Door), P.J. Harvey ou Cat Power sur Two Entwinded, guitares andalouses sur Stay In Bed, un flot continu et arpégé que n’aurait pas renié Paul Simon sur Home & Dry, tout concoure à un album éclectique et de haute facture.

The Great Untold s’ouvre sur la chanson éponyme, et sa composition ne cède en rien à la facilité, pas plus qu’à la complexité. C’est par petites touches que Scott distille son savoir-faire et son sens aiguisé de l’harmonie. Lawless Stars s’ensuit, toujours aussi troublant et bien senti. Silence fait immanquablement songer à Andrew Bird, soyeux et léger à souhaits. Puis vient pour moi la pièce maîtresse de The Great Untold, intitulée Something Real. On frise à nouveau la perfection musicale, harmonique et vocale, sans doute un effet collatéral d’un open-tuning sur 12 cordes. On notera également le superbe travail des voix sur Goodnight Day, qui vise directement le cœur. Clôture folk et onirique sur Chapters, où se côtoient une ballerine, un harmonica, des guitares hawaïennes et slide, et qui convoque la quasi entièreté des personnages de Home Part 1 et Part 2, pour mieux s’en distancer dans New Skin.

Afin de renaître à lui-même, Mr Matthews emprunte ensuite un virage électro, à la manière de Thom Yorke (The Eraser, Anima) ou Imogen Heap, et bien que déconcertant de prime abord, les potentialités qui en découlent aboutissent sur New Skin à une évolution fascinante, comme une mue discrète. My Selfless Moon, Our Time et The Lighten sont pour moi les plus éloquentes démonstrations et synthèses.

 

Ce qui caractérise, de mon point de vue, l’œuvre de Scott Matthews, est une combinaison d’érudition, d’artisanat et d’intégrité. Ajoutez à cela un humour tout britannique, ainsi que l’élégance qui sied à un citoyen de sa Majesté, et vous obtiendrez un artiste extrêmement attachant, dont le talent mérite d’être enfin reconnu à sa juste valeur.

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