Dimanche 19 juin 2022 – Par Fred
Le réveil est difficile : ces deux jours de canicule ont été harassants. Nous pensons aux festivaliers, les vrais de vrai, ceux du camping, qui ont dû en baver des ronds de chapeau, aux bénévoles et à tous ceux dont la présence sur le site participe à rendre l’expérience du festival la plus agréable possible malgré ces conditions difficiles. Il est fait mention dans la presse de plus de 800 interventions des secouristes pour les seules journées de vendredi et samedi. Alors qu’une grande partie du pays va rester sous cette chape de chaleur, nous allons nous payer le luxe d’un dimanche de festival idéalement tempéré. Nous faisons une croix sur Ecstatic Vision : nous ne serons jamais prêts à temps pour assister au délire psychédélique des Américains. Il ferait presque frisquet au moment où nous nous mettons en route ! J’exagère hein…
Les Canadiens de Vile Creature répandent leur doom/sludge sur l’audience de la Valley depuis quelques minutes, lorsque nous arrivons à 11h45 : je n’aime pas rater l’entrée en scène d’un groupe dont j’ai prévu d’assister à la totalité de la prestation. La musique du duo (accompagné pour ce live d’un batteur de session) me fait un peu penser à Inter Arma qui se produira plus tard, ce dimanche, sur la même scène, en beaucoup moins technique cependant. Les morceaux sont longs, l’atmosphère est lourde et ténébreuse, les chants hurlés de Vic et KW se répondant, limite effrayants. L’instrumentation, épurée, se réduit à une guitare déversant un flot continu de distorsion, une batterie métronomique et quelques samples aussi discrets qu’efficaces. Terrassant ! A noter tout de même quelques problèmes de sonorisation dont le chant de Vic fera les frais pendant une bonne partie du set. Une recherche sur le net m’en apprend un peu plus sur le couple, à la ville comme à la scène, et sur son militantisme, Vic et KW se « revendiquant » queer et exerçant une activité professionnelle liée à leur engagement vegan.
12h15 : nous continuons avec Pénitence Onirique à la Temple… que nous déserterons rapidement : le post-black atmosphérique de la formation chartraine, pourtant parfaitement en place, ne parvient pas à capter notre attention. Pour ma part, je crois surtout que je commence à saturer des costumes à capuche et des masques, aussi chiadés soient-ils. Depuis, j’ai prêté une oreille plus attentive à la musique de Pénitence Onirique et je regrette, pour le coup, de ne pas être passé outre ces considérations. Pas grave, j’ai le sentiment que l’occasion de les revoir se présentera vite.
Nous sommes loin de nous douter de ce qui nous attend lorsque nous prenons place à la Valley. Lysistrata est un trio originaire de Saintes. Le groupe existe depuis 2013. A cet instant, je n’ai qu’une écoute au compteur de l’album « The Thread » (2017) et j’ai lu d’excellentes critiques concernant son successeur. Théo (guitare), Ben (batterie/chant principal) et Max (Basse) se positionnent en rang serré sur la scène, comme par besoin d’être dans une même bulle, interconnectés. C’est un véritable tsunami sonore qu’ils vont alors faire déferler sur l’audience, cette dernière ne cessant de croître tout au long du set. L’énergie dégagée est proprement hallucinante. Ben nous informe entre deux morceaux que le groupe sort d’une pause de deux ans et demi… à croire que le talent de ces gars avait grand-faim de s’exprimer à nouveau ! La Valley était indubitablement « The Place to Be » dimanche 19 juin 2022 à 12h50 pour prendre une leçon de noise rock magistrale !
A 13h35, les Helvètes de Cân Bardd embarquent l’audience de la Temple pour un trip atmosphérique et épique fusant de sonorités celtiques. Je pense bien évidemment à Saor, groupe écossais que j’ai vu sur cette même scène en 2018, avec lequel ils ont d’ailleurs déjà partagé l’affiche. Malheureusement, il va me falloir un certain temps avant de descendre de mon nuage « lysistratesque » et, dans l’intervalle, je ne parviendrai pas à m’abandonner au voyage…
Un peu avant 14h, nous nous rendons à la Warzone où les « lascars » cagoulés de Moscow Death Brigade pilonnent de leurs scuds « techno/punk/rap » un public très nombreux et chauffé à blanc ! Je renonce à fendre la foule et retourne à la Valley ; Éric, déterminé à ramener des preuves du passage de l’OVNI, réussit l’exploit de se faufiler jusqu’à l’entrée du pit. Il commence à y avoir une grosse hype autour de ce groupe qui est, rappelons-le, plus ou moins interdit de représentation dans son pays. Svinkels, Dâlek et Ho99o9 en 2018… Nova Twins en 2019… il y a de la place pour le hip-hop sur l’affiche du plus grand festival « metal » de France !
14h10, à la Valley, j’assiste à la balance d’Inter Arma : les musiciens exécutent nonchalamment quelques mesures de « Hard Times » des Cro–Mags, l’une des huit reprises (de Ministry à Prince en passant par Hüsker Dü…) figurant sur leur dernier disque, « Garbers Days Revisited », paru en 2020. Je les ai vus il y a trois ans à Colmar. Une grande partie du public présent ce soir-là s’était manifestement déplacée pour la première partie, les Ukrainiens de 1918. A la fin du set de ces derniers, la salle s’était vidée au trois quarts, ce qui n’a pas empêché les gars de Richmond d’assurer une prestation à couper le souffle, terminant devant une audience rachitique ! La Valley est loin d’être comble à 14h20 lorsque débarquent les furieux. « Citadel » puis « Howling Lands » (tirés du monumental « Sulphur English ») nous plongent sans préliminaires dans l’atmosphère crasse de leur black/death/sludge limite indus ! T.J. Childers, batteur et principal compositeur du groupe, est impressionnant de précision ; les guitares et la basse vomissent des tombereaux de noirceurs sur lesquels Mike Paparo déploie toute sa richesse vocale. Tout à gauche, Jon Liedtke, tee-shirt Magma, en charge du thérémine, ambiance discrètement cette masse sonore compacte… tellement discrètement d’ailleurs, qu’Éric retournera dans le pit pour le photographier, ne l’ayant pas remarqué à son premier passage. Ce groupe est grand : je m’étonne qu’il demeure toujours aussi confidentiel. Les Italiens de Hour of Penance continuent à ravager l’Altar voisine de leur brutal death technique lorsque qu’Inter Arma tire sa révérence… dites donc les gars, il semblerait que vous aviez encore le temps de nous balancer un dernier parpaing dans la tronche avant de vous barrer… les deux petites minutes de « Hard Times » aurait fait l’affaire, assurément !
Il n’est pas 15h et la Temple affiche complet : le public déborde de tous côtés ! les Nantais de Regarde les hommes tomber jouent pour ainsi dire à domicile : ceci explique sans doute cela. Ils se produiront le dimanche suivant dans le cadre d’une collaboration avec Hangman’s Chair : nous les verrons à cette occasion. Nous remarquons aussi que le site est beaucoup plus peuplé que les jours précédents : les déplacements entre les différentes scènes sont moins fluides.
15h55 : Un étrange concert va avoir lieu à la Valley. Arrivés en avance, nous découvrons un plateau décoré dans un esprit kitsch et coloré mais reprenant les codes bien connus d’une certaine scène metal : imposant backdrop sur lequel est inscrit le logo du groupe, Twin Temple, profusion de croix inversées et autel cérémoniel orné d’un pentagramme satanique sur lequel sont disposés divers objets de culte (calices, crâne…). Sur le moment, j’ai l’impression d’avoir devant les yeux une version « Tex Avery » de ce que donne à voir un groupe comme Watain. A l’heure dite, le couple formé par Alexandra et Zachary James, respectivement chant et guitare, arrivent dans leurs beaux habits de ténèbre accompagné de quatre musiciens portant cravates, costumes sombres et trilbies (clavier, saxophone, basse et batterie). Le groupe prête allégeance au « Prince de ce monde » au cours de ce qui ressemble un peu à une parodie de rituel : sermon d’Alexandra sur le libre-arbitre, l’individualisme… épées brandies… « Hail Satan »… et c’est parti pour trois quarts d’heure de « Satanic Doo-Wop ». Musicalement, je pense surtout à The Platters et au générique de la série Happy Days. Quoi qu’il en soit, le set m’a semblé passer incroyablement vite ; il faut avoir vu une partie du public, entraîné par Alexandra, reprendre docilement le refrain sucré de « Lucifer my Love » ! Le dernier acte de la représentation jette cependant une ombre sur la candeur équivoque de tout ce qui a précédé : le couple conclut son rituel par une séquence à la symbolique plus cryptique, les quatre musiciens se lâchant sur un instrumental à la tonalité inquiétante, lourd, jazzy et technique. J’ai dans l’idée que Twin Temple est beaucoup plus sérieux dans sa démarche qu’il ne le laisse paraître. Fascinant !
16h45 à la Temple, le backdrop à l’effigie de « GastiR – Ghosts Invited », le dernier album de Gaahls Wyrd orne le fond de la scène. Gaahls Wyrd est le projet musical principal de Gaahl (Kristian Eivind Espedal), ex-Gorgoroth, ex-God Seed, ex-Wardruna. Le son est remarquablement bon, peut-être le meilleur du week-end à la Temple pour un groupe black metal : tous les instruments sont parfaitement audibles les Norvégiens jouant pourtant à très fort volume. Gaahl, visage maquillé, épais blouson en cuir, n’est pas du genre expansif : port altier, gestuelle mesurée, il arpente lentement la scène. Son chant, déclamatoire, exprime hargne, résignation et lassitude. Nous n’avons pas encore fait de pause aujourd’hui : nous nous éclipsons au bout de trois morceaux direction le VIP pour une bière bien méritée.
17h25 : il est temps de se rendre à la Valley. Red Fang débarque dans une dizaine de minutes : pas question de les rater. Stupeur ! le chapiteau est plein à craquer ! Éric se fraie un chemin jusqu’à la file « photos », tout à droite… je tente de le suivre pour bifurquer plus au centre mais renonce rapidement… je n’ai pas envie de me faire une place au forcing : je n’apprécie guère ceux qui le font. Clairement la plus grosse affluence sous un chapiteau du week-end ! Il était initialement prévu que Misery Index se produise sur le même créneau horaire à l’Altar, ce qui aurait été une bonne alternative mais l’annulation ce jour de 1349 fait que le running order a été modifié en conséquence : les « grindeux » joueront à 20h30 à la Temple. Michael Schenker sur la Mainstage 2 ne m’attire pas : je vais finalement au VIP me poser sur un banc d’où j’écoute ce qui me parvient aux oreilles du stoner épais de Red Fang en lisant une interview de Twin Temple sur mon smartphone. Éric me rejoint une heure plus tard, le sourire jusqu’aux oreilles : que c’était bon !
19h25 : Ayant déjà vu les bouchers de Dying Fetus, je décide d’assister à la prestation de Life of Agony. Je ne connais le groupe new-yorkais que de nom. Formé en 1989 par Keith Caputo, Alan Robert et Joey Z. le combo s’est séparé et reformé à plusieurs reprises. Keith est devenu(e) Mina. C’est le trio d’origine accompagné depuis 2018 de Veronica Bellino à la Batterie qui s’installent ce soir sur les planches de la Valley pour une heure de metal « alternatif » (descriptif de l’appli). Les deux ou trois premiers morceaux me scotchent : la guitare est acérée, la basse vrombissante, la batterie mastoc de chez mastoc… Mina, au chant, est un condensé de tension, d’urgence et de détermination. Je décroche pourtant à la moitié du set : un cameraman, d’Arte (sans doute), en charge d’images du public (j’imagine), passe et repasse inlassablement et au ralenti dans mon champ de vision… je ne suis plus dedans ! Je sors et me rend à l’Altar pour entendre les derniers morceaux de Dying Fetus.
A 20h30, Éric trace la route jusqu’à la Warzone pour shooter et assister à une partie du show des Anglais de While She Sleeps.
De mon côté, à la Temple, Misery Index est sur le point d’entamer son set. De ma position, je peux voir que l’Altar se remplit petit à petit alors que Devin Townsend ne passe qu’à 21h35 ! Et ce concert de Devin, j’ai la ferme intention d’y assister dans les meilleures conditions : je me résigne donc à quitter la Temple pour me rendre dans le chapiteau voisin. Une personne abandonne sa place à la barrière, elle sera pour moi ! L’attente va être longue. Ce qui me parvient de Misery Index, très assourdi, est brutal et carré ! Éric, de retour de la Warzone, fait quelques clichés des Américains avant de rejoindre la file des photographes à l’Altar.
En mars 2020, Devin Townsend a proposé aux internautes de choisir parmi une quarantaine de titres ceux qui composeraient sa setlist pour le concert initialement prévu dimanche 21 juin de la même année. Et le monsieur, son public, il l’aime : pour preuve, des morceaux de Strapping Young Lad figuraient dans la liste ! C’est donc à ce « Show by Request » que nous allons assister ce soir. A 21h35, le quatuor débute avec le calme « Failure » de l’album « Transcendence ». Vient ensuite « Kingdom » : inutile de préciser que je ne suis plus que frissons à cet instant. Même si je n’écoute plus beaucoup Devin Townsend aujourd’hui, l’album « Physicist » (2000) reste pour moi un sommet de sa discographie. J’aurais d’ailleurs adoré un set basé sur l’interprétation de ce dernier dans son intégralité. Parmi les autres moments bien trippants, « Aftermath » et « Love » de SYL bien évidemment, « By your Command » et « Deadhead ». Je n’ai pas parlé du son : phénoménal ! Devin ? Ce type a l’air adorable…
Le temps de casser une petite graine en buvant une bière et nous prenons la direction de la Valley pour l’avant dernier concert du week-end : celui du groupe référentiel de la scène post-punk « indus », Killing Joke. Je n’ai aucune difficulté à me placer à la Barrière : Gojira doit présentement faire le plein à la Mainstage 1. A 23H30, Jaz Coleman (voix), Paul Ferguson (batterie), Geordie Walker (guitare), et Youth (basse), les quatre membres « fondateurs » du groupe accompagnés de Roi Robertson (claviers) prennent place sur scène et débutent « Wardance », inaugurant un set en forme de best-of… plutôt consensuel. Nous aurons ainsi droit aux hits « The Fall of Because », « Requiem », « Love Like Blood », « The Wait » et « Pandemonium ». De « Pylon » (2015), dernier album en date, seul le titre « I Am the Virus » sera interprété, Jaz nous informant, sentencieusement, qu’il a été composé « Before the Pandemic ». J’aime – j’adore – la discographie de Killing Joke dans son intégralité : bonheur d’entendre « Money Is Not Our God » et « The Resurrection Show » bien sûr… mais comment est-il possible de faire l’impasse sur des albums aussi énormes que « Hosannas From the Basements of Hell », « Absolut Dissent » ou « MMXII » ? Je m’emballe. Alors, quid de la prestation de ce soir ? C’était un (très) bon concert : Geordie, son éternel Gibson ES-295 Goldtop dans les mains, était superbe de phlegme et d’élégance, Youth toujours aussi débonnaire et souriant, Paul, rythmiquement impeccable… Jaz ? Le fait est que Jaz EST Killing Joke à 200 % : fabuleux de présence même lorsqu’il ne chante pas très juste. Troisième fois que je les voyais…
Pas d’affluence record à la Temple et ce, malgré la réputation grandissante du monstre qui va s’y produire. Le plateau, embrumé, n’est éclairé que de quelques spots bleuâtres mais on peut déjà deviner que le groupe a mis le paquet en ce qui concerne les décors : croix inversées, tridents, six « stèles » métalliques imposantes et gravées de symboles occultes, cierges, autel… je me dis que les Twin Temple sont peut-être là, quelque part, dans le public. 00h50 : les éclairages virent au rouge et l’introduction orchestrale retentit. Les cinq membres de Watain prennent possession des lieux, les guitaristes et le bassiste se positionnant dos au public, Erik Danielsson embrasant les tridents avec une torche. J’ai beau avoir déjà assisté à deux reprises à ce rituel en 2018, cette entrée en matière produit toujours son effet ! Le groupe démarre avec le frénétique « Death’s Cold Dark », enchaîne avec « Malfeitor ». Le feu d’artifice qui devait avoir lieu samedi, annulé pour cause de risques d’incendie, a lieu pendant le set… tant pis… Erik est un showman exceptionnel, ses suppôts semblent avoir accédé à un niveau supérieur de virtuosité, la scénographie est plus impressionnante que jamais : bien qu’il ne fait aucun doute que l’esprit de l’underground dont il est issu est toujours au cœur de sa démarche, j’ai l’impression que le démon Watain perd (un petit peu) en venimeux ce qu’il gagne (beaucoup) en spectaculaire … peut-être pêche-t-il tout simplement par excès de générosité pour son public. Que le diable les maintienne sur la voie de la main gauche !
Éric propose d’aller jeter un œil et une oreille à Sick of It All à la Warzone. Nous quittons donc la Temple au deux tiers du set, juste après « Serimosa » tiré du dernier album, « The Agony & Ecstasy of Watain » paru chez Nuclear Blast en avril 2022. Nous traversons le site au son des pirates de Running Wild, qui, bien qu’étant des stars du Wacken, se produisent pour la première fois au Hellfest. J’avais 19 ans lorsque j’ai acheté leur album « Under Jolly Roger » à sa sortie. Les Teutons jouent particulièrement fort ! La Warzone est remplie : le NYHC de Sick of It All nous laisse de marbre et nous décidons de retourner fissa à la Temple achever cette troisième journée de festival devant Watain, Éric, pas vraiment amateur de black metal, me concédant au passage que le show des Suédois est sans doute le tableau le plus « scotchant » du week-end, visuellement parlant. Nous restons à l’entrée du chapiteau : ça en jette même de loin ! Le groupe termine avec « The Serpent’s Chalice » … Danielsson, seul sur scène, conclut son rituel… et se retire sous les applaudissements du public.
Alors qu’en 2018 nous quittions le site la gorge serrée, anticipant le sentiment de nostalgie qui allait dominer les jours suivants, nous plaisantons ce soir à propos du fait que nous ne sommes même pas à la moitié du line up de cette édition exceptionnelle. Quand même, la perspective du week-end à venir nous effraie un peu : allons-nous réussir tenir la distance ?