Le moins que l’on puisse dire, c’est que le songwriter américain Kevin Morby se révèle très prolifique : sept albums en tout dont trois en l’espace de trois ans. Il y eut Oh my god en 2019, le très folk Sundowner en 2020 sur lequel Kevin nous faisait voyager à travers les grands espaces de l’Amérique profonde puis, ce 13 mai, est paru This Is A Photograph. Un LP comportant 12 morceaux, produit par le fidèle Sam Cohen et parrainé par le label Dead Oceans.
Ce nouvel opus du songwriter de Kansas City n’aurait peut-être jamais vu le jour si une réunion de famille, aux accents dramatiques, n’avait pas eu lieu. En effet, lors de ce repas familial, le père de Kevin Morby est pris d’une attaque et se voit transporté à l’hôpital. Histoire de tuer le temps et de vaincre son traumatisme, Kevin décide de faire du tri dans les affaires qui se trouvent au garage de sa maison d’enfance de Kansas City. Par hasard, il tombe sur une photo de son père sur laquelle ce dernier se trouvait bien portant, ayant de plus tombé la chemise comme on dit. À partir de cette photo, est donc née l’idée de ce nouvel album.
This Is A Photograph, au même titre que son prédécesseur Sundowner, fait la part belle aux ballades et à l’Amérique rurale. Seuls deux morceaux s’avèrent entraînants et rythmés, à savoir le très folk This Is A Photograph et Rock Bottom aux relents rock de Pixies, surtout par le biais de la voix de Kevin qui adopte des intonations de Frank Black.
Dans cet album, l’Amérique profonde est donc une nouvelle fois au centre des préoccupations de Kevin Morby : allusions à Elvis, à Graceland ou encore à Jeff Buckley sur le bien soul A Coat Of Butterflies, compo fleuve où le songwriter américain rend un vibrant hommage au Mississippi. Quant à Bittersweet TN où Kevin est accompagné d’Erin Rae, ce morceau interprété au banjo nous transporte dans le Tennessee. Un état évoqué également dans la ballade pour piano et cuivres It’s Over sur lequel Cassandra Jenkins fait quelques apparitions en choriste.
Depuis quelques années, Kevin Morby a développé un goût certain pour les ballades dont, pour les plus récentes, Valley sur Sundowner ou I Hear You Calling qui, trois fois hélas, ne figure pas au menu de This Is A Photograph. C’est bien là le grand regret de ce septième opus, même si les ballades sont loin de manquer. Piano, guitare, mais aussi banjo et saxo sont les instruments le plus souvent utilisés.
Outre Cassandra Jenkins et Erin Rae, on note aussi, dans quelques morceaux tels qu’A Random Act Of Kindness et A Coat Of Butterflies, l’apport de chœurs constitués d’anciens élèves de la Stax Academy. Si Sundowner accordait une place prépondérante à la guitare acoustique, This Is A Photograph se diversifie musicalement (incursions dans le domaine de la musique classique, pénétration plus avant dans la soul avec Disappearing, A Coat Of Butterflies et même It’s Over.
On évoquait le piano dans ce nouvel effort de Kevin Morby, il s’entend par exemple sur Five Easy Pieces, Stop Before I Cry ou encore It’s Over, alors que Bittersweet, TN et Goodbye To Good Times se tournent davantage vers la guitare et le banjo, revêtant quelques influences country.
Trois maîtres mots résument à eux seuls This Is A Photograph : souvenirs, regrets et espoirs. Souvenirs des merveilleux moments partagés avec un père désormais diminué, regrets de ne peut-être pas en avoir assez profité et enfin espoirs de jours meilleurs, d’une éventuelle guérison. Toutefois, dans Goodbye To Good Times, Kevin semble avoir accepté et être conscient que les bons moments sont, pour une grande partie, derrière lui. La nostalgie des temps heureux cueille notre songwriter sans qu’il l’est vraiment cherché.
Plus Kevin Morby avance dans sa carrière, plus ses albums deviennent meilleurs. Sundowner était déjà très abouti et cela en dépit des moyens avec lesquels il fut élaboré, This Is A Photograph se révèle encore un ton au-dessus: plus fourni en instruments et d’une diversité de styles plus large. La création d’un album tient parfois à peu de choses, à des petits riens qui, cependant, peuvent faire toute la différence. Il est vrai que l’attaque du père de Kevin a motivé l’écriture des chansons de ce septième album mais, malgré cela, Kevin Morby a tenu à ne pas le rendre larmoyant, en témoigne ces accents dylaniens enjoués sur A Random Act Of Kindness. Voilà pourquoi on ne peut se lasser d’écouter This Is A Photograph!
This Is A Photograph de Kevin Morby : comment un évènement tragique peut faire naître un album!