Voilà 20 ans que le colosse canadien va à la rencontre de son public. Ce public, c’est à la force du poignet et de sa voix qu’il le conquière. Matt Andersen est un géant tant au plan de son jeu de guitare que de sa voix, tour à tour intime et puissante, fragile et forte.
Si vous ne le connaissez pas, son dernier opus intitulé House To House est une porte d’entrée idéale.
Matt y fait montre de dénuement, de dépouillement musical. Si la contrainte est bien évidemment née de la pandémie, empêchant la réunion physique de musiciens en studio, elle n’en est pas moins porteuse d’une rare authenticité. Ce 9ème album studio, bien qu’y figurent certains titres déjà au répertoire de Matt (People Get Ready de Curtis Mayfiled notamment), a le mérite de souligner le talent mélodique du garçon. Beaucoup lui envient ce don, mais peu seront élus !
Soyez avertis ; le bougre a tourné avec du beau monde. Jugez-en plutôt : Beth Hart, Bo Diddley, Gregg Allman et le Tedeschi Trucks Band. Autant dire que vous risquez fortement de devenir accro.
L’homme est à l’aise dans bien des styles, mais sa patte folk et blues reste prépondérante. Il perçoit l’air du temps, ainsi que l’intangible des sentiments humains, et sait créer à partir de ces petits riens qui nous entourent sans qu’on les remarque.
Voici ce qu’en dit Matt lui-même :
« House to House is finding its way into the world today. I’ve wanted to make an album like this for a long time. I don’t know that you’ll want to crank it at the gym, but I think it will sit just right on a quiet drive home or at the kitchen table as you ease into the day. However it finds you I hope you’ll enjoy the songs and sing along good and loud. »
Parce que je suis magnanime, voici une libre traduction : « House to house, c’est trouver son chemin dans le monde d’aujourd’hui. Je voulais faire un album comme celui-là depuis longtemps. Je ne sais pas si vous l’écouterez pendant votre séance de gym, mais je pense qu’il conviendra bien pour un trajet retour chez vous ou lorsque vous vous assiérez à votre table pour vous reposer de votre journée. Peu importe la manière dont il vous parlera, j’espère que vous l’apprécierez et que vous chanterez juste et fort avec lui ».
Une telle invitation à chanter avec lui est bien sûr contagieuse, en témoigne le titre Time For The Wicked To Rest, sorte de gospel à l’énergie communicative.
L’album invite à l’écoute, au songe et à la quiétude de déposer ses valises quelque part pour contempler le monde, quand bien même ce monde va parfois à vau-l’eau. Et c’est ainsi que Matt a enregistré cet album, chez lui, en acoustique, sans tricherie.
Other Side Of Goodbye ouvre le bal, et dès les premières notes, on sait qu’on a affaire à l’exception. Quelle maestria dans l’accompagnement, quelle facilité vocale il a ! Je viens, là, à l’instant, de vous faire la démonstration de l’existence de Dieu. Au bout d’une minute trente, on atteint des sommets de justesse, de puissance, de nuance. C’est fabuleux…
Lookin’ Back At You suit, et on perçoit à présent les graves somptueux de sa guitare et de son organe vocal. À se demander s’il n’y a pas 12 cordes à son instrument. If you only knew the hell I’ve been through, would you look at me looking’ back at you. Et donc, je viens de vous démontrer l’inexistence de Dieu, cependant que j’ai fait la démonstration de l’existence du Diable. C’est cadeau, ne me remerciez pas… Plus sérieusement, la force du gaillard réside dans sa capacité à passer avec brio d’un style à un autre.
Time For The Wicked To Rest illustre une autre facette du garçon, prendre le lead d’un chœur gospel réduit, et ça marche. Je vous mets au défi de ne pas taper dans vos mains ou de chantonner avec eux ! Tant de joie communicative, cela fait un bien fou dans cette époque minée par les ombres.
House To House est un duo vibrant, dans la droite ligne d’un John Prine, et See This Through est très introspectif, sans doute celle que je préfère sur cet album, parce qu’elle reflète la pudeur et l’empathie.
Puis Coal Mining Blues et People Get Ready viennent clore l’album. Coal Mining Blues, la chanson hommage au peuple du labeur, à ceux qui ont creusé la terre à en devenir malades, pour chauffer les foyers américains. Il y a là du Bruce Springsteen et on l’a déjà dit, du John Prine, deux figures de l’Amérique rurale et besogneuse, loin très loin de l’image de l’impérialisme qu’on en a aujourd’hui.
People Get Ready en conclusion ; début soul/blues, puis les chœurs gospel se joignent à Matt et prennent même le chant. Et une fois encore, cela fonctionne à plein. Alors oui, nous sommes prêts. Prêts à ouvrir nos cœurs et nos oreilles pour que tu y mettes ce dont nous manquons cruellement depuis deux ans maintenant : de la tendresse, bordel !
Dommage pour nous, sa tournée européenne ne passe pour l’heure pas par la France, mais par les Pays-Bas et l’Allemagne…