18 février 2022, c’était il y a quelques jours, le virus de la Covid toujours aussi présent dans nos vies et les mesures sanitaires comme un garde fou de la fête. C’est avec un petit moral et une grosse hâte qu’on se dirige sous les grosses gouttes froides après avoir slalomé sur les routes entre les bourrasques hivernales de ce début d’année mouvementé. Après la tempête, le calme et l’arrivée dans la discrète mais historique salle du Grillen à Colmar, c’est dans la salle principale à l’arrière de la SMAC que la magie opérera ce soir.
Quelques minutes avant le début du show, c’est devant une fosse divisée entre les partisans de la verticalité, réparti sur un sol dur et à nu et les adeptes du séant posé. La salle est prête à accueillir des spectateurs chauffés à blanc tandis qu’à gauche de la fosse, quelques bancs de chaises encore vides s’apprêtent à accueillir quant à elles, les plus timides spectateurs, ceux ayant pris le pli des concerts format assis de ces derniers mois. “Spoiler Alert”, la salle ne gardera pas longtemps ces deux ambiances distinctes. N’ayant qu’une envie commune, faire tomber les masques et revenir à un état « normal » d’appréciation d’un concert de musiques actuelles.
En fond sonore, loin de la musique d’ascenseur. On a le plaisir d’être accompagné par l’album « Trust In The Lifeforce Of The Deep Mystery » (oui, c’est long comme titre !) de l’excellent trio anglais (tiens tiens coïncidence ?) de Jazz Rock de l’espace THE COMET IS COMING dont on ne saurait que vous conseiller d’y poser une ou deux oreilles dessus. Mention supplémentaire pour la collaboration dessus avec Kate Tempest, artisan(e) level 60 en Albion du Spoken Word, devenue Kae Tempest tout dernièrement et dont le nouvel album est à paraître prochainement. L’accompagnement est donc parfait !
Ce premier concert de l’année pour ma part s’annonce (comme pour beaucoup, j’imagine), important voire fondateur. Une sorte de rampe de lancement, un droit d’accès à l’espoir d’une année de spectacles à l’ancienne. Une saveur toute particulière, un parfum de liberté et de revanche sur une année 2021 pas franchement moins sombre que sa grande sœur 2022. Ceci malgré la détermination de quelques festivals jusqu’au-boutistes, initiateurs de dates assises ou masquées maintenues tant que possibles et des artistes méritants. Des dates certes, mais la bamboche, « La Vraie » n’étaient plus de mise soyons francs. Le diesel doit repartir et vite.
Première Partie : MAEVA
En attendant le Main Event, c’est un tout récent duo qui aura pour rôle de démarrer la soirée, de chauffer les moteurs à froid et de nous rappeler que nos pieds et nos mains sont encore capables de gigoter et de battre la mesure.
Fraîchement auréolé par le tremplin Décibulles et donc d’une belle date à venir au festival de Neuve-Eglise cet été. Sobrement intitulé, Maeva n’est autre qu’un projet « parent » puisque l’on y retrouve Geoffroy Sourp sur scène et aux beat-making à la production. Le membre de GoldenCut jouera donc deux sets ce soir (les mollets et les muscles pronateurs auront donc pas mal de boulot !) et Maeva . Du nom de sa chanteuse est un projet né d’une rencontre et d’une idée sur un « Canapé ». Un projet commun comme une évidence trouvant son origine durant cette période de pandémie. Période étrange, partagée de moments de solitude, de questionnements et d’amitiés. Une somme d’interrogations, de “et si”, de “pourquoi pas ?”. Ces additions nous ramenant à ce soir et aux concerts à venir. Un pari donc déjà réussi en somme pour le duo équilibré entre beats modernes et une plume contemporaine.
Voix à la base résolument Soul dans son jus, les transitions Folk/Americana voir Trip-Hop s’emmêlent et se juxtaposent agréablement. Le set pluriel, évoque des inspirations Neo-Soul Anglophone VS. Nouvelle Pop Alternative Française. La tessiture vocale de Maeva lui permettant aisément de naviguer entre les différents registres du set tout en évitant les eaux troubles sur la planche, l’avarie du mélange des genres. On pense à Yseult pour la proximité géographique, Lauryn Hill si l’on veut viser les grands classiques.
A sa gauche et en accompagnant de luxe, on le savait un indéniable batteur multi-genres. Geoff’ prouve qu’il est aussi un multi-instrumentiste averti. Sachant saisir l’opportunité d’un titre et de l’ambiance scénaristique d’une chanson pour mettre en valeur les paroles et le timbre de sa chanteuse. Un discret écrin rythmique pour un set “fusion”. Polyvalent aussi, car celui-ci jonglera au fil des pistes entre sa batterie, un clavier, et passera même à la guitare acoustique en fin de set. Histoire de finir ce chapitre et accompagner Maeva sur deux titres plus intimistes, tous deux côtes à côtes sur deux chaises. Un retour à la source, le début de cette petite idée naquit d’un canapé qui viendra prendre une dose de vie supplémentaire ce soir là sur scène.
Loin d’être tremblant, le binôme délivre une grosse demi-heure de prestation maîtrisée et pétillante. Le binôme fonctionne déjà très bien. On aimerait presque voir quelques musiciens supplémentaires venir se greffer du moins sur scène au projet, pour y donner plus de corps et de matières. Des cuivres tiens, ce serait pas mal ?… Bon OK. C’est peut-être le fait d’avoir écouté du « The Comet Is Coming » juste avant le set qui me fait divaguer…
GoldenCut
Une petite demi-heure plus tard et après un décalage de quelques jours légitimé par un objectif louable, à savoir de permettre en ce 18 février de bénéficier d’une diminution drastique des conditions sur les jauges spectateurs pour les établissements recevant du public. C’est un public d’avertis et de curieux qui attendent patiemment la deuxième partie pour une deuxième date de 2022 avant une Release-Party début mars dans la capitale alsacienne chez les amis du Pelpass.
GoldenCut Is No Cheap Thrill
Sur scène, le groupe arrive tranquillement et sous les applaudissements dans une fumée d’ambiance aussi mystique que reposante. Comme s’ils avaient déjà une centaine de concerts au compteur. Ce qui n’est finalement pas si faux que ça, puisque individuellement et sur le papier, chaque membre cumule les kilomètres et les décibels depuis plus d’une décennie sur les routes d’Europe. C’est en terrain conquis et connu et dans une confiance sans mesure que se lance le set pourtant tout frais du trio. Accompagné d’un light show aux oignons et d’une fog machine réglée sur le mode « Snoop Dogg au Superbowl », aucun grains de sable à l’horizon ne semble s’annoncer. L’oasis ne sera pas mirage.
Esthétiquement, vous auriez pu confondre à première vue et de loin (de très loin !), nos héros sonores d’un soir avec Slipknot sur scène. Oui, alors plus dans la forme que dans le fond. Car ici avec GoldenCut pas de masques, pas de faux-semblants. L’addition n’est pas salée puisque divisée par trois. Nonobstant, le trio partage bien deux points communs avec les neufs zigottos de l’Iowa.
1) La fameuse Jumpsuit à patchs ! Entre le mécanicien sous morphine et le parachutiste de l’infini, le trio a soigné son jeu et son apparence scénique. Le groupe revêtant ici un costume de scène commun que vous pouvez voir dans le clip Live paru début d’année sur Youtube de “A Nation Of The People“.
2) Le Pentagramme ! A la différence des métalleux vénérant ironiquement ou non le Pentagramme pointu, celui qui devrait représenter le petit diablotin à cornes qui s’occupera du cas de Poutine et des fans de HardBass qui négligent leurs voisins. Ici, le pentagramme est toujours à 5 branches mais vient perdre de son tranchant. Pire, il s’arrondit pour ne faire faire qu’un tour et se retrouver brodé de blanc et aposé en écusson sur les vestons complet du groupe. Une sorte de blason de famille. Ce Pentagramme appartient ici à Venus. La représentation cyclique et autour du soleil, le tracé d’une planète qui lutte pour son statut. Une forme géométrique aussi présente en fond de trame sur la pochette de l’EP “Room To Breathe” avec ce qui pourrait être interprété comme l’aube ou l’aurore, à vous de voir. Non, ici le Pentagramme n’est qu’amour et questionnement sur le cycle d’une âme.
Deux points communs “amusants”, mais la boutade s’arrêtera là car rien, ou si ce n’est un océan, sépare ces deux groupes appréciant les symboliques. Bouclons la boucle et parlons mathématiques.
Guerres et Pi
Plus que de la référence aux symboliques, aux formes et aux chiffres, ceux partagés aussi bien par les mathématiciens chevronnés que les enfants ayant abusé du sirop pour la toux et des kits spirographes à noël. La revendication et le questionnement se font aussi par les propos à travers le set sur le titre justement éponyme “Pentagram“. Pas encore clippé, mais qui revêt de mon avis et de par son puissant refrain, le titre “officieux” de piste la plus “radio-compliant” du disque de par sa production. Ou l’avalanche de références aux mathématiques, lois et racines font une place nette à la philosophie existentialiste et à l’envolée de nappes synthétiques. A la fin, nous petits humains, sommes nous réellement plus que de simples codes, des lignes composées de 0 et de 1 ? Et après ? “Where do we go ? Who knows.”
GoldenCut soigne donc son esthétique et confirme ses intentions. Loin de n’être qu’un “side-project” ou un objet sonore de passage dans le ciel de l’est. Ses membres alignent les astres et les genres pour distiller les actualités internationales, le affres du monde et des maux pluriels comme sur le 1er single clippé déjà en 2020 “Addicts” et son rapport aux addictions au sens strict comme au sens large. L’Amérique ayant perdu plus que la simple “War On Drugs” depuis 50 ans, mais une partie de son peuple sous les divisions des calculs politiciens. Sujet d’actualité faisant le lien avec le second clip, “A Nation Of The People“. Loin de la simple comparaison avec les Rage Against The Machine (qui se reforment cet été d’ailleurs !) qu’on a pu lire à droite et gauche dans les commentaires, en écho à la basse hargneuse d’Adam et des lyrics de protest-song d’Eli.
GC a les pieds sur terre et les six yeux vers les étoiles. Transporté par certaines tracks stellaires à la poésie brute et aux effluves de lyrics prônant l’unité, la paix. Exit ceux qui les qualifieraient de « Supergroup » sauce alsacienne. Goldencut n’est ni une évolution compressée de Freez (ancien projet du plus américain des MC de la scène Alsacienne). Ni une jam de potes à l’aveugle. Le trio semble savoir où il va et sait où il souhaite embarquer son public. Au fur et à mesure du set, les chaises se videront petit à petit des fessiers qui les étouffent. Les silhouettes statiques gagneront des centimètres pour se fondre dans une fosse de plus en plus compacte et mobile. Debout comme pour valider la prestation du groupe et le retour à la vie d’avant. Le retour à la verticalité.
Une expérience en Or
Taille patron, Eli en frontman à la brillante barbe de deux semaines assure le show et se ballade tranquillement sur l’ensemble de la scène. Tantôt apaisant, tantôt inquiétant selon le mood de la chanson, il livre encore une prestation scénique et vocale des plus maîtrisé. Son flow de plus en plus ciselé avec l’âge, se juxtapose avec ses mouvements, ses regards ou mimiques qui me font à penser qu’il est aussi derrière la plume, peut-être, un homme de théâtre.
Derrière lui, ses deux piliers rythmiques Geoffroy et Adam, sont plus en retrait. Cachés par la fumée ou les grosses lumières d’ambiance, leurs silhouettes plus immobiles laissent entrevoir une flopée de pads, de percussions électroniques et de claviers. Attirail qui se rendra visible à chaque éclairage plus appuyé. Le set, entremêlé de quelques passages instrumentaux fera heureusement la lumière sur les deux bonhommes. Les deux musiciens se feront plus visibles et leur travail plus identifiable du fin fond de la fosse. Le duo qui se connaît très bien, pilote le navire d’un calme olympien. L’expérience commune d’un autre style, avec les Dirty Deep qui fêtera bientôt en grande pompe ces dix ans d’existence (oui,ça passe vite !) avec un concert en avril à la Laiterie de Strasbourg pour fêter ça.
Finalement, Adam ne sortira sa basse électrique que sur deux, trois pistes. Nous confirmons à l’occasion que le set du soir était loin de l’orientation plus “Rock” attendue par certains. On a même eu le droit à une composition étonnante à la flûte (offerte selon la légende par Maeva) de Geoff’ en Lead en cours de route. Et le résultat planant n’était pas vilain du tout en plus ! On attend la version Live l’hiver prochain au marché de Noël du coup. Vers le milieu du set le trio nous balancera un nouvel inédit, tout juste sorti des sessions internes. Le titre “Runaway” aura marqué les esprits ce soir et devrait (on espère), s’écouter un jour sur un deuxième EP voir un album ?
Le Bilan cage à miel est donc simple. GoldenCut est une petite tri-force dorée qui s’ancre dans les roots d’un Hip-Hop inclusif et éclectique. Dans la cornée, que vous soyez un étudiant abonné aux centaines de playlists Chill’Hop de Youtube, un afficianado de la néo-scène américaine qui bouscule les codes comme un Tyler The Creator. Voir encore un Alt-Kid qui préfère l’ironie d’un Killer Mike accompagné des beats noirs charbon d’un EL-P de Run the Jewels ou d’un Danny Brown, maintenant assagi et libéré de la plupart de ses démons.
Vous devriez pouvoir aisément trouver votre compte dans la nébuleuse GoldenCut. Un véritable brasseur du Hip-Hop au sens large. Je rajouterai pour ma part contributive à cette liste de “name-dropping” longue comme un bras, l’excellent rappeur américain Jonwayne à l’histoire passionnante au physique atypique dans le milieu. A écouter d’urgence.
Éclectique as fuck dans sa setlist (que l’on n’attendait pas si fournie), chaque production n’étant pas la même planète d’un système solaire à trois astres. Un projet mature qui a fait son introspection et qui propose dans sa valse de rythmes, quelques instants en suspension pour l’auditeur. Une pièce pour respirer la musique.
In fine, GoldenCut livre une prestation d’une bonne heure qui mettra tout le monde d’accord. Une heure “étirée” certes, mais dont on n’attendait pas autant d’un point de vue quantitatif (personne ne doutait de la qualité scénique du trio). Puisqu’avec uniquement un EP 4 titres paru il y a quelques jours de ça, le groupe a réussi à assurer un show complet avec des previews plus qu’engageantes ! C’est dire la réserve en terme d’écritures dont dispose le groupe. GoldenCut a toutes les cartes pour jouer un rôle majeur sur une scène française sur-saturée en productions assimilées par défaut dans l’entonnoir des musiques dîtes “urbaines”. Ou l’hégémonie dans les charts du Rap Français est actuellement sans pareille. Mais ou les productions nationales dans la langue de Shakespeare n’ont pas encore dépassé le stade de l’indie way of life et ou l’on ne décompte aucun véritable chef de file à date. Une opportunité et un trône à prendre, mais le souhaitent-ils ?