Avec Replay, Lulu Gainsbourg réussit la synthèse de Melody Nelson et de l’électro. Il en ressort un disque innovant et plus qu’intéressant. Entretien avec un compositeur de talent.
« Ce nouvel album est très différent du précédent.
– C’est vrai. Je me suis orienté vers un truc assez électro. J’ai découvert Kraftwerk il y a quelques années et après les avoir vu live j’ai eu envie d’aller vers ça. Je suis allé vers de nouveaux horizons avec cet album.
– L’album précédent était plus chanson.
– Je suis parti au studio à New-York. Je n’avais pas de musique, de mélodies. J’ai jammé. La musique a été improvisée de A à Z. Les bases des morceaux ont été faites live. On a ajouté les arrangements ensuite.
– Ton album est un peu la rencontre de Melody Nelson et de l’électro.
– Merci pour la référence. Cela fait plaisir. Melody Nelson fait partie de mes inspirations, bien sûr mais aussi les disques des années 60,70 enregistrés de façon analogique. Cela a été un challenge assez ambitieux ce disque et je trouve au final assez réussi.
– L’album est étonnant car il débute dans une électro orienté club avant d’aller vers quelque chose de plus sombre.
– Oui cela démarre chill. J’adore les vinyles et je l’ai pensé en Face A, Face B. Un vinyle sortira d’ailleurs en avril prochain. Le disque commence par un côté joyeux avant d’aller vers quelque chose de plus sombre, en effet. L’album parle de l’enfance, de l’innocence que l’on perd au fur et à mesure de la vie même si l’on garde toujours une part d’enfance en nous, malgré tout.
– Le disque est-il un concept-album ?
– Dans un sens oui. La musique a été improvisée et crée avant l’histoire. Je me mets dans la position du narrateur. On m’a dit que cela sonnait cinématographique mais ce n’était pas voulu à la base. Chaque chanson a un double-sens. Il y a des moments très dark qui parlent de la mort, de la mort de l’amour et d’autres plus lumineux. C’est une histoire ancrée dans le réel, ce n’est pas de la science-fiction.
– C’était une évidence de parler de l’amour dans ce disque ?
– Ma compagne, Lilou, a écrit les paroles. Elle est très douée pour poser les mots qu’il faut. Cela s’est fait naturellement. On avait déjà travaillé ensemble sur T’es qui là ?. Elle a posé l’histoire sur la musique. Je lui ai donné les idées de base et elle a travaillé à partir de cela.
– Tu dis que l’album s’est fait dans les conditions du live c’est pourtant ultra travaillé.
– La création était improvisée. Les arrangements c’est la couleur. C’est important. Je suis assez perfectionniste donc je vais au bout de ce que je veux faire. Les deux instrumentaux sont des interludes pour passer d’un chapitre à l’autre et c’est vrai que même ces titres sont très arrangés.
– Il y a un côté BO de film dans ce disque.
– C’est vrai. C’est comme un livre avec différents chapitres. Il n’y a pas vraiment de singles dans cet album. C’est délicat de mettre en avant un titre plus qu’un autre.
– Cela me fait parfois penser à Air.
– J’adore Air mais ça n’a pas été une influence. Mais c’est vrai que certains passages peuvent faire penser à eux, à Connan Mockasin aussi. J’aime la recherche artistique de ce dernier.
– Cela m’a fait penser à François de Roubaix aussi.
– C’est marrant. Je ne connais pas trop. On m’a cité Lynch. En tout cas merci.
– Ces passages parlés ; comment te sont-ils venus ?
– Cela s’est fait naturellement. Cela vient aussi de l’envie d’être le narrateur de cette histoire.
– Ton dernier album remonte à 2018. Replay a été un album long à faire ?
– J’ai mis du temps à concevoir cet album. Le Covid n’a rien arrangé mais cela m’a permis d’avoir un temps de réflexion plus long. J’ai revu plusieurs choses. A un moment il faut arrêter et sortir le disque. Il faut savoir dire stop sinon tu ne finis jamais.
– J’aime beaucoup Septième Ciel qui a un côté religieux.
– Je me suis assis au synthé et ai improvisé pour faire ce titre. C’est vrai qu’il y a un côté musique religieuse, d’église dedans mais ce n’était pas pensé comme cela à la base.
– Tu as enregistré l’album aux États-Unis ?
– Je suis parti à New-York pour le faire, dans un super studio où allait Lennon notamment. J’y suis resté deux semaines. L’intégralité de l’album, comme je te le disais, s’est fait en impro. C’est stressant mais intéressant. C’était quelque chose de nouveau pour moi.
– C’est l’album de ta carrière dont tu es le plus fier ?
– Chaque album est une nouvelle histoire. Je ne suis pas à l’abri de sortir un album metal. Je ne pense pas mais on ne sait jamais. Je suis ouvert.
– Tu vas le jouer live ?
– Oui. On organise cela.
– Tu es pianiste à la base.
– J’ai débuté le piano à l’âge de trois, quatre ans. J’ai découvert les synthés il y a peu. J’ai découvert grâce aux synthés une nouvelle facette en moi. La sonorité du synthé est différente de celle du piano. C’est très ouvert. Il y a certains titres de Replay où l’on pense que c’est du synthé alors que c’est de la guitare. J’ai joué sur des synthés analogiques pour ce disque. J’aime le Moog, le son qu’il a.
– Tu as fait une école de musique, la prestigieuse Berklee College of Music. Cela t’a aidé pour ta carrière ?
– Tout ce que j’ai fait dans la vie m’a aidé. La musique c’est une discipline que tu peux apprendre seul ou à l’école. Tony Smith qui était le batteur de mon père a appris la batterie tout seul. Quand il cogne la caisse claire il a une approche particulière. Ses parties de batterie sur le «Oh yeah » du Jan Hammer Group sont fabuleuses. C’est de la folie au niveau batterie. Je n’ai jamais été très scolarité. J’ai toujours été rêveur. Mon lieu préféré c’est être dans l’avion avec les nuages.
– Venir d’une famille de musiciens ça aide ?
– Cela forge. Mais je ne suis pas seulement musicien parce que papa l’était. Je n’ai jamais lâché la musique. Ma mère m’a toujours poussé là-dedans. J’ai du mal à mémoriser les choses alors que dans la musique je peux mémoriser 17 pages.»
Propos recueillis par Pierre-Arnaud Jonard