Sorti le 27 août 2021 chez Fuzz Club Records, First light, cinquième album de The Third Sound, apparaît comme la somme de 10 années de travail d’arrache-pied de sa tête pensante Hákon Aðalsteinsson. En effet, ce dernier né de la formation cosmopolite basée du côté de Berlin est dès la première écoute différent, peut être même plus abouti que les quatre prédécesseurs réunis (un premier album éponyme sorti il y a désormais 10 ans, suivi deux ans plus tard par The Third Sound of destruction and creation, en 2016 de Gospels of degeneration et en 2018 de All tomorrow’s shadows.). First light, un clair-obscur musical baignant entre les eaux du psychédélisme, de la cold wave et du très en vogue post punk.
Dès l’ouverture de l’album on perçoit bien les premières lueurs qui s’échappent de l’obscurité avec Tidal wave. Le ton est moins noir que sur All tomorrow’s shadows (2018), chose clairement établie par l’Islandais (« c’est un album moins cafardeux que le précédent»). Sur ce premier titre on perçoit l’influence des travaux d’Anton Newcombe: il y a des accointances qui renvoient à s’y méprendre à Their satanic majesties’ second request… grâce à ce psychédélisme revisité depuis le début des années 2000, notamment avec les claviers typiques tenus par Robin Hughes qui colore les premières minutes de First light; un sentiment retrouvé plus tard avec Not even Jesus, notamment à travers les accords choisis à la gratte. A cette prime impression se greffent d’autres ambiances. En effet il en est tout autre chose lorsque pointe Your love is evol, titre dévoilé dès le mois de juin dernier. Le trait d’union se fait davantage en direction du BRMC avec cette flânerie éthylique menée de bout en bout par la basse enivrante d’Andreas Miranda ; les motifs aigus des guitares klaxonnent dans un recoin de notre tête comme après une biture tout sauf esquivée.
La lumière se diffuse davantage, par faisceaux sur les titres This is the only way I know, Hex ou encore Stay for another. Les guitares sont clinquantes – effet garanti avec des 12-cordes –, le tambourin omniprésent pour marquer le rythme, l’emploi de tremolos aigus, … le psychédélisme californien semble flirter avec la folk sur Stay for another. Mais derrière ces titres qui tendent visiblement en direction d’un ciel lumineux, il y a toujours un lien récurrent qui tire l’ensemble vers une forme de pénombre. En premier lieu la voix. L’organe du leader rappelle à plusieurs reprises la manière de déclamer chère aux chanteurs de la période new / cold wave (This is the only way I know). Désabusée (Hex), blanche parfois, la voix épaisse et traînante se laisse envahir par la nonchalance (Your love is evol). Par ailleurs, le travail apporté par Aðalsteinsson sur la très 70’s et déambulatoire Dissociation renvoie clairement au Nightclubbing d’Iggy Pop. Ah, Berlin…
Quant à I dont’t need anything anymore, dernier morceau à l’introduction tout en levée, c’est désormais une voix de crooner qui fait penser que le disque ce conclut en compagnie d’un Nick Cave à l’entame des années 2010 (réécoutez l’excellent Push in the sky away). Là aussi le crépusculaire côtoyait la divine lumière… First light se pose tel un met complexe, mais au combien savoureux, tout comme ce titre central qu’est Ghosts of Memphis. Incontournable avec ses plus de 7 minutes au compteur, il s’érige à l’instar d’une colonne vertébrale, plongeant progressivement dans une ambiance évanescente puis fantomatique, totalement dépourvue de paroles mais hantée par des voix lointaines happées par les strates de nappes et d’effets sonores, comme un rappel que le groupe s’est laissé par le passé – ou sur scène – flirter avec le drone.
A la manière des œuvres rembranesques, ce dernier album de The Third Sound, enregistré en Alsace en l’espace d’une semaine (!) est une véritable réussite sachant concilier les contraires grâce à 9 bijoux sonores à l’élégance réelle.
-Emilie BABE