Neveu de la légende du blues John Lee Hooker, Archie Lee Hooker perpétue de la plus belle façon qui soit l’héritage familial. Son nouvel album « Living in A Memory » en est encore une preuve éclatante. Entretien avec un grand musicien et un homme adorable.
« Tu as grandi à Lambert dans le Mississipi. Comment était la vie là-bas ? »
« C’était très dur. Les gens étaient pauvres. On bougeait tout le temps d’une plantation à une autre. Mon père était métayer. Je travaillais à la ferme avec lui. Les maisons étaient très peu équipées. Il n’y avait pas même de fenêtres. »
« C’était une ville de musique ? »
« Oui mais seulement le week-end. A partir de vendredi soir, tu pouvais en entendre mais pas avant. Les habitants de cette ville étaient des ouvriers donc la semaine ils bossaient et n’avaient pas le temps pour jouer. »
« Quand tu es arrivé à Memphis quelques années plus tard, tu devais à ce moment-là être entouré de musique, non ? »
« J’avais quinze ans quand je suis arrivé à Memphis. Il y avait de la musique bien sûr mais pas comme on pourrait l’imaginer. Ce n’est que des années plus tard que Memphis est devenue la ville musicale que l’on connait. Après, il y en avait davantage qu’à Lambert, bien sûr. »
« Tu as commencé le chant par le gospel. Le gospel est toujours important pour toi aujourd’hui ? »
« Dans mon esprit et dans mon cœur, oui. Le gospel te donne la force. J’ai grandi dans une famille très croyante. Le gospel fera toujours partie de ma vie. Le gospel c’est comme le blues. Il n’y a pas de différence entre les deux. »
« Tu es né très proche du lieu où Robert Johnson a vendu son âme au diable. Tu connaissais cette légende ? »
« Je ne connaissais pas l’histoire à ce moment-là mais on connaissait ce lieu, bien sûr. J’aime beaucoup Robert Johnson. Il faisait un blues très cru. Il parlait de lui dans ses chansons, parlait de la vie, du fait de voyager d’une ville à une autre. Tous les musiciens veulent jouer comme Robert Johnson mais il est inimitable parce que ce qu’il produisait venait du plus profond de lui. »
« Tu as vécu de nombreuses années avec ton oncle John Lee Hooker. Comment était-ce de vivre avec un membre de sa famille qui est en même temps une légende ? »
« John Lee Hooker est une légende mais il est avant tout mon oncle. J’ai appris beaucoup à ses côtés, sur ma famille, sur la vie en général. En revanche nous parlions peu de musique. Il disait toujours je ne suis pas une star mais un travailleur. Il ne s’est jamais considéré comme une star d’ailleurs. Il faisait de la musique pour rendre les gens heureux. C’est ce que je fais également. »
« Tu ne jouais jamais de musique avec lui ? »
« Non jamais. Nous parlions de la vie et uniquement de la vie. »
« John Lee Hooker était un pur bluesman. Toi tu joues du blues mais pas seulement. Il y a du rock, de la soul dans ta musique. »
« Dans les années 60 on écoutait tous les genres musicaux : de la soul, Cream, Pink Floyd, Hendrix, Janis Joplin. Je me suis inspiré de cela. J’ai appris sur le tas, au feeling. Ce n’est pas à l’école que tu apprends la musique. »
« Ton dernier album est très positif. C’est un disque qui fait du bien. »
« J’ai fait des erreurs dans ma vie. Je dis aujourd’hui aux gens de ne pas faire les mêmes : qu’il est important de rester à la maison avec sa femme plutôt que d’aller picoler avec ses potes. Il est primordial de bien se comporter dans la vie. Il faut apprécier celle-ci à sa juste valeur. J’essaie d’apporter des choses positives aux gens. »
« Dans ton nouveau groupe tu as un musicien français, un luxembourgeois, deux brésiliens. Comment les as-tu rencontrés ? »
« A l’occasion de concerts. Je cherchais un groupe qui puisse être capable de sonner d’une manière différente que ce que l’on entend généralement. On a commencé à jouer dans les festivals et c’était incroyable. Quand on est entré en studio pour cet album nous n’avions qu’un morceau : « I miss you, mama ». On a tout fait en studio. »
« Vous l’avez enregistré l’an dernier ? »
« Oui l’an dernier en Belgique. J’adore ce groupe. Tout le monde dans ce combo travaille pour l’autre. C’est le meilleur groupe que j’ai eu de toute ma vie. Ces mecs sont plein de passion, d’énergie. Quand nous sommes tous ensemble dans le van, en route pour les concerts, c’est toujours un vrai bonheur. »
« La pochette de l’album est un hommage aux vieux bluesmen ? »
« Non. Cette pochette a été dessinée par le claviériste qui est aussi graphiste. Mes musiciens ne font pas que de la musique. Mon bassiste est aussi acteur, par exemple.»
« Tu vis en France depuis plus de dix ans maintenant.»
« Je suis arrivé en 2010. J’habite à ¾ heure de Bar le Duc, dans un petit village de 400 habitants. Je suis très heureux là-bas. J’entends les vaches meugler, je regarde les arbres. »
« En tant que bluesman noir tu as dû être effrayé par la mandature Trump ? »
« J’ai plein d’amis d’origine différente, des blacks, des juifs, des blancs…En quatre ans il a tout détruit ou tout du moins essayé de tout détruire. Je n’avais encore et fort heureusement jamais vu de ma vie des gens entrer dans la Maison Blanche. Il n’y avait aucun respect pour quoi que ce soit de la part de Trump et de ses partisans. »
« Tu penses qu’un musicien peut changer les choses ? »
« Un musicien a du pouvoir. Tu peux faire passer un message au public. Je vois constamment des mensonges partout autour de moi. Il est important de faire comprendre aux gens cela, de les éclairer. »
« Tu es sur un label français Dixiefrog. Parce que tu habites en France ? »
« Non le fait que j’habite en France ne joue pas sur le fait que je sois chez Dixiefrog. C’est un label qui a de nombreux artistes blues américains. Ils ont plein de super trucs : Eric Bibb, Bonny B, Mighty Mo Rodgers… J’aime ce label. Les gens de Dixiefrog sont dynamiques et ont toujours de supers idées. »
Pierre-Arnaud Jonard