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INTERVIEW : Last Train

Sensation Rock – Bonjour à vous quatre, merci de nous recevoir. On dit souvent qu’avec le second album, on est attendu au tournant, surtout lorsque le premier album a bien marché, comme c’est le cas pour vous. Êtes-vous stressés à quelques jours de la sortie de The Big Picture

Julien : On est plus impatients que stressés. Bien sûr, on a une petite pression mais parce qu’on a simplement hâte que les gens l’écoute, vu qu’on travaille dessus depuis plus d’un an, un an et demi maintenant, on a hâte que ça sorte.

Tim : Oui, on a hâte que ça sorte et de jouer ça sur scène.

 

Vous avez pris votre temps pour le composer et vous êtes même allés jusqu’en Norvège pour l’enregistrer. Comment cela s’est passé sur place ? Est-ce que le choix du lieu s’est imposé naturellement ?

Jean-Noël : En fait on travaille avec un réal qui s’appelle Rémi Gettliffe, qui a son studio dans un village en Alsace profonde. C’est le réal avec qui on travaille depuis toujours et on voulait évidemment refaire un second disque avec lui. Mais ce coup-ci on a un peu anticipé ce qu’on a pu apprendre sur le premier album. On voulait une salle de prise de sons plus conséquente, certains trucs techniques auxquels on comprend pas forcément grand chose (rires) et voilà. On a eu plusieurs propositions de studios par Rémi, notamment d’autres lieux en France,  Abbey Road a été évoqué, finalement pour des raisons aussi de coût mais aussi de cadre, car Ocean Road est un lieu assez unique au milieu de nulle part, on a accepté d’aller en Norvège et c’était de la grosse bombe.

Tim : Allez on a “accepté” d’y aller (mine faussement contrainte, rires)

Julien : Et puis ça nous convenait bien aussi, on dormait juste au dessus du studio, dans une petite maison, le studio était au sous sol. On pouvait faire ce qu’on voulait en terme de rythme de composition. Comme rien n’est linéaire en studio, des fois tu enregistres un peu moins, d’autres fois tu vas composer pendant des journées entières, voire jusqu’à tard dans la nuit, on pouvait donc faire ce qu’on voulait. On faisait nos prises en totale liberté, sans impératifs.

 

En janvier de cette année, Jean-Noël, tu nous confiais que la Norvège était le spot idéal justement. En quoi ce dépaysement a impacté les titres et le son sur The Big Picture ?

Jean-Noël :  Les titres étaient en grande majorité déjà composés avant de nous rendre sur place et l’album était très bien avancé. Ensuite, ce sont des choses qui sont non tangibles, c’est-à-dire que l’ensemble de l’album est basé sur les émotions et la délivrance d’émotions et cela ne peut pas se faire à n’importe quel moment, ni à n’importe quel endroit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en live, on adapte la setlist en fonction de l’humeur et de la durée, parce que je pense qu’on peut pas tout le temps jouer les mêmes morceaux automatiquement. En studio c’est particulièrement important vu le challenge de coucher l’album. Donc c’est évident que ça nous a mis dans une énergie toute particulière d’être dans une ambiance familiale : on a amené avec nous de super bons copains, quelques uns à la vidéo, le frère de Rémi aussi qui nous faisait de bons petits plats. On était vraiment comme en colonie de vacances, dans un contexte familial, et c’est ce qui nous a aidé là-dedans. C’est une sorte d’alignement des astres qui n’a lieu que très rarement et qui nous a permis de sortir du studio vraiment heureux et satisfaits.

 

Quelles ont été vos influences majeures pour l’écriture des morceaux ?

Jean-Noël : C’est toujours une question un peu particulière parce qu’il y a cette fameuse différence entre les inspirations et notre style de musique. C’est vrai que notre style de musique, qui est orienté rock, n’est pas forcément représentatif de ce qui a influencé cet album-là. Evidemment on écoute du rock et il y a des références auxquelles on pense immédiatement quand on évoque Last Train. Mais pour le coup ce sont d’autres choses qui nous ont influencés, on pense beaucoup à la musique de film, par exemple avec des grands compositeurs du genre comme Howard Shore ou Hans Zimmer, tous ces gens-là. Beaucoup de choses plus pop aussi, la pop mélancolique de Lana Del Rey, de ce genre d’artistes. L’ambiant, le neo-classique, le post-rock, toutes ces choses qui sont assez imagés et cinématographiques. On aime bien les musiques qui peuvent accompagner nos vies un peu comme une B.O. où tu peux faire ta propre interprétation et je pense que ça se ressent dans cet album-là, bien que cela s’éloigne de l’image qu’on renvoie généralement.

 

Cet album justement, sans faire table rase du passé car il apparaît dans la continuité de Weathering, affiche des morceaux très rock couplés à des morceaux plus aériens, avec des arpèges et un très beau travail sur les voix. Comment avez-vous trouvé cet équilibre entre garder cette force rock et aller vers des choses plus épurées ?

Tim : On aime beaucoup les extrêmes, aller quelque part et y aller à fond, aller chercher au fond de l’émotion. Jean-Noël le disait souvent, ça nous incitait à aller au plus profond des sentiments. ça donne des morceaux comme ça justement, assez dense mais avec une ligne directrice tout de même, mais qui… voilà… Je pense que je vais pas arriver à finir cette phrase (rires)

Jean-Noël : C’est juste ce que tu dis, mais j’aurais tendance à dire que le premier album et la tournée ont été pour nous un exercice, on a appris en fait, tout ça. On compose depuis toujours, depuis qu’on a monté le groupe, ça a toujours été nos propres compositions que l’on jouait et évidemment il y a un cap énorme entre ce que l’on faisait il y a dix ans et ce que l’on propose aujourd’hui. Le résultat de ça, c’est qu’on a appris que le silence faisait tout autant partie de la musique que le son. On a commencé à jouer avec les dynamiques, ça a commencé avec Fire et je pense que ça a été un morceau important pour nous car on avait justement ces ruptures, ces constructions et déconstructions. Ça nous a montré que l’on pouvait aller chercher effectivement très loin dans les émotions, dans les ruptures, dans des choses inattendues. C’est avec ça qu’on aime jouer et quand on compose aujourd’hui, il y a une thématique de base qui va être un sentiment qu’on a envie de sortir donc forcément quelque chose derrière de tangible, qui va être cette histoire, cette chose qu’on raconte, ensuite on s’amuse avec cette dynamique-là.

Julien : Et puis pour reprendre ta question, comme on écoute beaucoup de choses très différentes, ça nous pose pas de problème d’aller dans une idée particulière pour ensuite dériver, car on aime justement la diversification, on a envie de faire des choses différentes. Ça nous fait pas spécialement peur, on ne se met aucune barrière.

 

Si on ajoute à ça la pochette et le recours à un orchestre symphonique sur l’album, est-ce qu’on ne pourrait pas voir là une filiation avec le rock britannique ?

Jean-Noël :  Je ne sais pas… Depuis toujours il y a eu des génies du rock qui font des choses euh… les Beatles sont le parfait exemple : de l’orchestration, de l’harmonie et de l’écriture. Et 60 ans plus tard, forcément je pense qu’il y a de moins en moins de frontières et une liberté totale. S’il y avait un son anglais, un son américain à un moment, je pense que tout ça s’efface de plus en plus avec le temps et que la réflexion qu’il y a autour, de vouloir se rapprocher d’un son s’efface de fait aussi. Parce qu’un groupe asiatique va écouter des groupe anglais, mais aussi français, allemand et vice versa. Dans un sens, ça enlève la consonance ou la richesse que chaque pays peut avoir, c’est tant mieux, ça fait sauter des barrières. Nous, on ne s’est jamais posé la question, au même titre qu’on ne sait pas pourquoi on chante en anglais, ou pourquoi on fait du rock. On ne se pose pas la question, on réfléchit à tout, mais sauf ce pour quoi on le fait. C’est comme ça en fait, on se pose pas la question, on fait ce qui nous plaît. 

 

A plusieurs reprises, les arpèges proposés sur des morceaux rappellent Radiohead, d’autres morceaux se rapprochent d’un son à la Muse… On parlait d’influences, mais hors influences, est-ce que vous sentez des résonances plus particulièrement dans un type de musique ou est-ce que vous fonctionnez au feeling ? 

Jean-Noël : Pour le coup, tu as mis des noms de groupes assez justes sur ce qui nous plaît, ce qu’on écoute depuis relativement longtemps. Muse ça a été un des groupes, je me souviens, j’écoutais ça au collège et on était vraiment fan, et c’est d’ailleurs un groupe que quand on écoute aujourd’hui, l’album on est encore fan, il est ultra riche. Et Muse comme Radiohead, ce sont des musiques un peu, comment on dit ? Je veux pas dire mégalomane ou grandiloquent, c’est péjoratif mais tu vois ce que je veux dire ? Des grosses envolées assez grandioses, avec des orchestrations, tout ça, c’est assez dingue. C’est des albums, des groupes qu’on a découvert soit très tôt, soit plus récemment mais pour le coup ce sont des choses qui nous ont marqués, qui sont très fortes.

 

Vos titres sont hors format radio et télé, ils sont millimétrés. Dans la structure des morceaux, on ne semble pas savoir trop où on va. C’est un choix que vous avez expérimenté sur Weathering, sur un morceau comme Jane par exemple, et là sur cet album qui semble être assumé à fond. Est-ce que votre idée à terme, ce serait de construire quelque chose du type Queen, Bohemian Rhapsody par exemple… Est-ce que ça ne vous ferait pas peur de partir sur un concept album, avec des morceaux justement qui font bien plus de dix minutes ? 

Tim : On est toujours dans l’excès, regarde tout à l’heure dans la bagnole, on écoutait le deuxième morceau d’American Idiot, Jesus of Suburbia. Ben c’est trop bien, il y a tellement de choses dans un même morceau… 

Julien : Après je crois pas qu’il faut que ça devienne un genre de challenge. Naturellement on a commencé avec Fire, Jane, parce que c’est comme ça, on se plaît dans ce style-là, construire ou déconstruire.

Tim : Tu peux dire plein de choses, ça et son contraire, évoluer, tout ça. C’est ça qui nous plaît, plutôt que de rester dans un truc autoroute qui est fixé. 

Jean-Noël : Non en fait, on se paye le luxe de prendre le temps. Et en 2019, c’est un vrai luxe parce que tout le monde te dit qu’il faut un refrain qui arrive à 30 secondes pour faire de la radio, qu’il faut faire sauter les gens. On a conscience de tout ça, de ces éléments stratégiques, je pense qu’on pourrait faire des choses assez efficaces, on serait capable parce qu’on en a conscience mais je pense que plus le temps passe, et plus on va à rebrousse chemin là-dessus, parce qu’on se paye le luxe de faire des choses que les autres ne peuvent pas faire car ils acceptent de jouer le jeu de l’industrie musicale. Et je dois pas qu’on est des rebelles, c’est juste qu’on se fait plaisir quand on fait de la musique. Si ça doit prendre 10 minutes ça en prendra 10, si ça doit en prendre 25 pour dire ce qu’on a vraiment à dire, ça en prendra 25…

Tim : C’est d’autant plus cool de voir certaines radios qui nous diffusent, quand on voyait Fire qui dure sept minutes qui était diffusée à la radio, c’était trop cool, on était comme des fous.

 

Est-ce que le titre The Big Picture a une signification particulière ? 

Jean-Noël : ça a plus ou moins deux significations, ça vient du titre de la chanson en premier. D’abord, c’était juste la vidéo d’ensemble de ce que voulait dire la chanson, et dans un deuxième temps, on s’est rendu compte que ce titre nous semblait être une belle vision d’ensemble de ce qu’on est, de ce qu’on a envie de dégager et donc finalement au même titre que le premier album, où on disait que c’était un arrêt sur image de ce que pouvait être Last Train, aujourd’hui quelques années ont passées, et ce titre est une belle vision globale de ce qu’on peut être aujourd’hui, autant sur la partie artistique que dans l’intime. 

Et justement, ce titre The Big Picture qui fait dix minutes, vous l’avez déjà testé en live ? Comment est l’accueil du public sur ce morceau ? 

Julien : On est contents, parce que l’album est pas encore sorti et les gens savent à peine qu’il s’appelle comme ça, et souvent on joue ce morceau à la fin du concert et après, on vient discuter avec les gens, et ils nous parlent de ce dernier morceau, donc on en parle entre nous et on est trop contents.

 

Vous avez joué en Corée en début d’année, est-ce que vous avez rencontré des groupes qui valent le détour, parce qu’on ne connaît pas trop de groupes qui viennent de ces pays en France ? 

Tim : Oui alors Jean-Noël peut en parler parce qu’il les fait tourner en France, mais c’est un groupe qui s’appelle DTSQ, et alors c’est rigolo parce que c’est pas du rock coréen, et c’est ce qu’on disait tout à l’heure par rapport aux barrières, tu écoutes DTSQ tu fermes les yeux, ça pourrait très bien être des américains, des australiens, des anglais, c’est pas du rock coréen comme on l’entend, ils font pas de la k-pop…

Jean-Noël : Oui c’est ça, c’est le fameux débat des styles musicaux, est-ce que du rock français ça doit être du rock français, parce que du coup les origines ça marque un peu moins. Mais oui franchement, ce groupe est vraiment trop bien, ils sont quatre et font du punk influencés par pleins de choses trop bien.

Julien : Et ce qui était trop bien en Corée, d’aller jouer là-bas dans de petits clubs avec pleins de groupes notamment coréens, c’est de se rendre compte que c’est merveilleux, parce qu’on fait tous de la musique, et il y a quand même vraiment une universalité de la musique.

 

Vous allez lancer à Lyon votre premier festival, le festival La Messe de Minuit. Vous pouvez nous parler de cette initiative ? 

Tim : Oui alors ce festival, ca a commencé bien avant en fait, quand Jean-Noël a monté Cold Fame, qui est une association diffuseur de spectacles, et donc depuis cette année Cold Fame a commencé à organiser des soirées et à investir dans la vie nocturne lyonnaise. Ces soirées mensuelles s’appellent les Messes, et elles accueillent des artistes rock tous les mois dans des salles lyonnaises. Et donc ces soirées trouveront leur apogée en septembre à la Messe de Minuit, dans trois salles différentes de Lyon. En gros, c’est trois soirées différentes avec des choses différentes, des artistes qui sont rock mais d’horizons différents, chaque soirée sera unique dans un lieu différent. C’est une idée qui trottait dans la tête depuis longtemps, et donc cette année de off c’était l’occasion.

 

Ma dernière question est la suivante : comme vous faites beaucoup de concerts, est-ce que vous avez vu récemment des artistes que vous aimeriez faire découvrir à nos auditeurs/lecteurs ? 

Jean-Noël : Et bien ce week-end, on était à un festival qui s’appelle Check In Party, qui est un festival qui se déroule à Guéret, monté par des copains qui ont voulu faire un festival dans la Creuse, c’est une drôle d’idée mais ils ont fait un line up de fou, ils ont fait venir Patti Smith, Balthazar, Thee Oh Sees… Un line-up très indé. On a tous vu la Colonie de vacances, qui est un groupe particulier, en fait c’est quatre groupes qui jouent les uns en face des autres, le public est au milieu, et y a un système de son qui est monté exprès. Ça remet totalement en question le concept du concert, parce que tu regardes les gens autour de toi, il n’y en a pas un qui regarde dans la même direction…

Antoine : Tu en prends dans tous les sens, tu te retournes, il se passe des trucs partout.

Jean-Noël : C’est assez dingue, tout le monde a le sourire, c’est une expérience auditive qui est particulière, tu as vraiment cette possibilité à 360 degrés, c’est fou. 

Sensation Rock : Merci beaucoup à vous quatre, et bonne chance pour l’album !

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