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LAIBACH, le mardi 26 mars 2019, La Laiterie – Grande Salle, Strasbourg (67)

Laiterie – Laibach

Sept jours. Voilà le temps qu’il m’a fallu pour digérer cette soirée étrange mais au combien intéressante avec les Slovènes de Laibach. Ou comment un show colle à la perfection au slogan parismatchien: le poids des mots, le choc des photos. Et en toute franchise, il y a matière à dire à l’issue d’un tel concert. Alors par où commencer? Suivons La ligne générale : par le début évidemment! 

 

C’est dans une ambiance bleue glaciale et avec la projection immobile d’un motif étatique, solennel que le groupe nous accueille dans la Grande Salle. Il n’est pas encore en scène mais des bruits d’animaux ont remplacé les traditionnelles musiques sélectionnées par l’artiste du soir, musique censée acclimater le public alors en attente. Indéniablement, Les animaux de la ferme d’Orwell viennent tout de suite à l’esprit. les grognements porcins, une vache en arrière-plan, des oies, etc. ne manque qu’une odeur d’étable que certains dévient peut être…

Lorsque la troupe balkanique débarque sur les planches alsaciennes, elle le fait en toute solennité. Milan Fras ferme la marche avec son accoutrement si atypique, mélange de chatoiement et de pastoralisme d’Europe centrale… Laibach entame cette première passe d’armes avec des titres issus de leur livraison en novembre 2018, The sound of music. Si le jeu de scène du groupe est des plus pauvres, austères, purgés serait de circonstance pour cette prestation martiale, il colle à merveille aux images de défilés de masse nord-coréens. Même avec de grands filtres colorés propres à une esthétique psychédélique, quasi flower power, ça n’en demeure pas moins des images de propagande que le groupe bombarde à son auditoire strasbourgeois. Tout va bien dans Le meilleur des mondes, mais on doit marcher au pas. Et en cadence!

Progressivement les images d’enfants, arpentant les montagnes tels de jeunes patres, sont supplantés par celle de missiles surdimensionnés touchant au ralenti leur cible, laissant pendant de longues secondes apparaître des explosions débordant des écrans. Plus loin, ce sont des lames de haches de guerre sur une trame pop art, trame comme l’aurait pensé Roy Lichtenstein, qui dansent, offrant un balai de plus en plus écarlate et anxiogène. Pour le côté flower power, on repassera! Alors que la voix de Marina Martenssson se fait délicate et enivrante, celle de Fras fait froid dans le dos tant elle est profonde, déclamatoire et injonctive. A l’issue des dix premiers titres – pour l’essentiel puisés dans la BO de La Mélodie du Bonheur de Richard Rodgers (1965) – le groupe se retire lentement, sous les vivats. L’univers sonore orwellien reprend ses droits pendant 15 minutes. (…)

 

Ce qui s’apparentait pendant trois quarts d’heure à un “très vague” Songe d’une nuit d’été tourne rapidement à un cauchemar avec le retour du groupe . On assiste à un opéra rock dystopique. Exit Marina Martenssson! Paré d’une veste noire Milan Fras est désormais le seul derrière le micro et son chant, de plus en plus rare, se veut brutal, heurté et tranchant (Vier Personen). Les slogans pleuvent sur les écrans. Le totalitarisme de Laibach fait rage: “Wir schmieden die Zukunft” (“nous forgeons l’avenir”) tourne en boucle durant le premier titre qu’est Mi kujemo bodocnost, tout comme les boucles vocales sur Ti, ki izzivas, relayées par des images de la chanteuse Mila Spiler mégaphone à la main. Les parties instrumentales sont violentes, laissant la part belle aux claviers déversant des parties déstructurées et menaçantes. On baigne en pleine contemporanéité: l’abstraction musicale se donne comme support idéal à la réalité crue et belliqueuse.

L’imagerie est forte, volontairement provocante et brutale à l’instar de la musique interprétée. Bref, de plus en plus noire, comme si la dictature si séduisante et à demi-cachée lors du premier acte se révélait enfin au grand jour dans un second temps. C’est la guerre et son cortège mortifère. Seul la couleur rouge se détache de personnages grisés. Le rouge de la révolution, du sang versé par des enfants, des femmes et autres hommes à la casquette militaire. Ces différents personnages aux visages tourmentés se succèdent au rythme d’une musique martiale, et finissent comme emprisonnés dans des étoiles rutilantes. Critique frontale du totalitarisme communiste? Pour des artistes ayant connu le titisme et les conséquences de sa critique dans les années 80 – soit quelques temps après la mort du dictateur yougoslave – il y a peu de doutes.

A l’issue de ce second acte au combien détonant, le groupe revient évidemment pour s’acquitter du convenu rappel. Sympathy for the devil  puis Francia sont alors proposées. Rien d’étonnant: la setlist est la même pour l’ensemble de la tournée. Si la première est comme transitoire, encore empruntée de violences sonores et très cadencée, très industrielle, la seconde tient de l’entre-deux. Martenssson est de retour sur le devant de la scène, les cheveux lâchés, ébouriffés même. Cette diva soul, rousse et  habillée d’un ensemble de velours, lâche ponctuellement des vers de la Marseillaise.

The coming race et Surfing through the Galaxy offrent une musique plus enjouée, presque lumineuse. Est-ce la fin de l’histoire comme le suggérait jadis Fukuyama après la chute du communisme en 1991? Ce qui sûr, c’est que la musique de Laibach se tourne vers un registre américain. Chapeau texan visé sur la tête pour Fras, guitare en bandoulière et veste à frange pour madame, ils finissent dans un semblant de surf music, avec en arrière-plan une boucle de jeu vidéo, véritable remake du final de Docteur Folamour, mais avec une femme chevauchant seins nus l’ogive…

Fin de partie, les crédits défilent sur l’écran central. Beaucoup savourent le moment jusqu’à son terme. C’est un show millimétré, sans fioritures et somme toute très floydien, période The Wall, auquel nous avons assisté. Les deux actes, le passage de la lumière aux ténèbres et ce final cynique, tout tend à prouver que Laibach, bien que très controversé encore aujourd’hui, est un groupe engagé et ayant pensé un spectacle comme un tout et à l’esthétique ultra chiadée. Pas facile au premier abord mais mémorable. A voir.

 

Setlist de Laibach

Acte 1: The sound of music (Rodgers & Hammerstein cover)

1-The sound of music (Rodgers & Hammerstein cover)

2-Climb ev’ry moutain (Rodgers & Hammerstein cover)

3-Do-Ré-Mi (Rodgers & Hammerstein cover)

4-Edelweiss (Rodgers & Hammerstein cover)

5-My favorite things (Rodgers & Hammerstein cover)

6-The lonely goatherd (Rodgers & Hammerstein cover)

7-Sixteen going on seventeen (Rodgers & Hammerstein cover)

8-So long, farewell (Rodgers & Hammerstein cover)

9-Maria/Korea

10-Arirang (traditional cover)

Interlude

Acte 2

11-Mi kujemo bodocnost (revisited)

12- Smrt za smrt (revisited)

13-Nova akropola (revisited)

14-Vier Personen (revisited)

15-Krvava gouda – Plodna zemlja (revisited)

16-Ti, ki izzivas (revisited)

Rappels

17-Sympathy for the devil( The Rolling Stones cover)

18-Francia

19-The coming race

20-Surfing through the Galaxy 

Benoît GILBERT

-Crédit photos: Benoît GILBERT

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