Si la notion de supergroupe est désormais bien familière dans le monde du rock, The Good, The Bad and The Queen en représente sans doute une forme de quintessence. 11 ans après leur premier album, Damon Albarn (faut-il encore le présenter ?), Paul Simonon (bassiste de The Clash), Simon Tong (guitariste de The Verve) et Tony Allen (batteur de Fela Kuti) se retrouvent sous la houlette du producteur historique de David Bowie, Tony Visconti. Entre ballades douces-amères, hommage à l’Angleterre du Nord et description d’une Angleterre déchirée par le Brexit, l’album sonne peut-être moins rock et plus mélancolique, mais Damon Albarn est plus que jamais au sommet de sa forme.
Merrie Land nous emmène dans un monde féérique, étrange, habité par la voix de velours de Damon Albarn, quelques touches d’orgue de barbarie accompagnant ce titre particulièrement élégant. Gun to the Head est lui particulièrement poignant : écho a A day in the life des Beatles, le titre agrège des instruments variés et inattendus (flûte, violon, orgue) dans une ambiance de fête foraine et de grand divertissement. Nineteen Seventeen est plus complexe, voire expérimental, mais conserve une douceur et une mélancolie troublante et récréative. Le clip fait apparaître une marionnette, faisant écho à l’image de la pochette représentant un ventriloque – mais avec la main sur la bouche -, tirée d’un film britannique de 1945 Au cœur de la nuit. Le message est double : le chaos anglais n’est pas sans rappeler celui de la dernière guerre mondiale, et la politique britannique actuelle semble être devenue une sorte de spectacle vivant. Mais fait-il encore recette ?
C’est autant la colère que la tristesse qui transparait, à l’instar de The Great Fire, dub magnifique à la basse envoutante et à la batterie au toucher jazzy très appliquée. L’émotion est à son paroxysme avec le bouleversant Lady Boston, un des plus beaux morceaux du disque, désespoir magnifié par un métissage musical désormais habituel et l’impressionnant final fait de chœurs, ou avec Drifters & Trawlers où l’esprit des Clash rencontre un romantisme métissé. Paul Simonon porte son son de basse si caractéristique sur le titre The Truce of Twillight, évocation d’une figure folklorique cauchemardesque, celle d’un fantôme du XVIIIe, qui revient dans cette Angleterre de 2018 obnibulée par la croyance en de vieilles certitudes, le repli sur soi et la méfiance des autres. Ribbons est peut-être une des plus belles compositions de l’album, titre « So Albarn », qui semble prolonger ici l’esprit de son album solo Everybody Robots. Ajoutons The Poison Tree, lui aussi particulièrement réussi, autre ballade mêlant piano et mélancolie avec brio, sorte de conclusion définitive pleine de tristesse et d’amertume sur un adieu – le Brexit ? – sans retour : «I’ll see you in the next life, don’t follow me, it’s really sad, it’s really sad…».Sur chaque morceau, nous sommes surpris par la voix de Damon qu’il utilise de différentes manières, la transformant à chaque fois en une déclaration qui nous touche toujours profondément.
Par des sonorités riches et bigarrées, l’ensemble baroque démontre la capacité de ces formidables musiciens à réussir un métissage musical d’une grande richesse. Un vrai bon disque, sans brute ni aucun truand dans le groupe. La reine demeure dans son royaume bien peu uni, mais elle possède avec ce supergroupe ses meilleurs conteurs.
-Julien Lagalice
(The Good, The Bad And The Queen, Gun to The Head)
Artiste : The Good, The Bad and The Queen
Album : Merrie Land
Date de sortie : 16/11/2018
Label : Parlophone
Genre : rock alternatif
Catégorie : album rock