Street worms, le disque noir de cette rentrée et des douces nuits stockholmoises. Plus proche d’un univers à la Millenium que celui des Ace Of Base, Viagra Boys est la face révélée d’une Suède en prise avec ses névroses longtemps ravalées. Phare européen pour beaucoup dans le domaine politique, social – le modèle scandinave tant vanté – est finalement comme les autres. Il a du plomb dans l’aile. La musique vénéneuse de la bande emmenée par Sebastian Murphy en est le marqueur aujourd’hui.
2018, un grand cru
Reprenons. Si vous mettez sur la même affiche Shame, IDLES et Viagra Boys, qu’obtient-on ? Un dancefloor de furieux, de mauvais garçons, de hooligans même.
Trois noms qui en cette année 2018 ont tiré leur épingle du jeu avec des productions résolument punk, garage, donc underground. Loin de céder la part belle aux mélodies, voire à la technique, ces formations ont versé dans la simplicité au service d’une sauvagerie palpable sur disque et dont le refoulement sur scène n’est pas permis. Ceux qui ont pu assister aux prestations des trois groupes lors de leur passage aux Eurockéennes (l’an passé pour IDLES et Shame, cette année pour les Suédois – voir le live report du samedi 07 juillet ci-joint ), vous le diront : transcendés par le moment, ces gars sont des instinctifs pour qui la notion de danger n’existe plus. A l’inverse, la quintessence de la vie se joue alors là et maintenant. Ces concerts ont précédé leur galette et ont forgé leur réputation. A l’heure de se poser et d’enregistrer enfin ce premier disque, Shame et IDLES n’ont pas failli. Viagra Boys non plus.
La loi de Murphy
Avec un beat qui penche méchamment du côté obscur des boîtes à rythme et une basse ronronnante, Down in the basement est une entame disco et martiale réinvestie par le tubesque Sports ou encore la nickcavienne Just like you. Dansez si vous le souhaitez, la rage suivra. Entre le chant torturé de Sebastian Murphy virant à la crise de delirium – enregistré d’un jet – et les boulevards cédés au fantomatique saxophone (Best in show) le disque tient de l’urgence (Frogstrap). Un sentiment renouvelé avec Shrimp shack. Entre un charleston entêtant, une guitare tailladant à coups d’accords aigus le haut-parleur et un cuivre frénétiquement plaintif, on baigne en plein univers post-punk. (The International) Noise Conspiracy n’est jamais bien loin. Quid du morceau Worms ? C’est une délectable sucrerie pop downtempo – tout de même noircie par d’inquiétants claviers – qui révèle un chant tout en nuance chez le tatoueur tatoué à outrance. C’est aussi une pause salutaire dans ce disque cavalant à tombeau ouvert et aboutissant au paroxysme avec Amphetanarchy. Durant cet instrumental enragé de presque 6 minutes aux allures de virée nocturne, une stupéfiante transe se dessine. Répétitive et frénétique jusqu’à l’écoeurement, dans ce labyrinthe sonore on en oublierait les vers rimbaldiens qui collent si bien avec l’image de la Suède: Là, tout n’est qu’ordre et Beauté / Luxe, calme et volupté. On ressort de cet album en ayant vu le chaos.
Comme Bowie sous pilule… bleue
Qu’on le veuille ou non, Bowie va encore nous hanter de longues années, voire des décennies. Et ce n’est pas cet abrasif 9-titres qui dérogera à la règle. On pense à la période berlinoise certes, chargée par cette angoisse noire sous-jacente, par cette froidure allemande charriée grâce aux beats, aux synthés et avec cette part de dérangement intérieur servie par un saxophone névrotique et omniprésent (Slow learner, Worms). Les bas-fonds et les nightclubs sont arpentés, au hasard ou à la recherche de ses promesses artificielles. Et puis il y a aussi Iggy Pop posé là quelque part. C’est l’Iguane de Bowie et cette ambiance nocturne, interlope inhérente à l’album The Idiot qui transpire un peu partout dans Street Worms. L’air paraît poisseux, vicié ; quand l’underground apparaît en pleine lumière, comme révélé au microscope, c’est à proprement parler un autre monde, parfois même insaisissable pour le commun des mortels (Best in show).
Bien que certains titres affichent une certaine consanguinité rythmique, Street worms est l’album notoire de la rentrée. Disque borderline porté par un septuor borderline, il est en seulement 9 titres la quintessence d’une sauvagerie manifeste, nihiliste – notamment à travers le chant de Murphy – et furieusement irrépressible. De passage en France cet automne pour le défendre, nous vous conseillons d’aller les voir. Shows mémorables en perspective.
-Benoît GILBERT
(Viagra Boys, Sports)
Artiste : VIAGRA BOYS
Album : Street worms
Label/distribution : YEAR0001
Date de sortie : 28/09/2018
Genre : alternative rock / post punk
Catégorie : Album rock