Absente des radars depuis cinq longues années, Anna Calvi s’empare de cette fin d’été avec un album audacieux qui souffle le chaud et le froid. Un opus qu’elle a présenté dans les médias comme un manifeste queer dont l’écriture tend à inverser le rapport de prédation réputé classique. La chasse est ouverte et la biche n’est pas forcément celle qu’on imagine !
C’est en 2011 que l’on a découvert Anna Calvi et on peut dire que ce fût une révélation. Elle a rapidement accéder à la reconnaissance d’un large public et chacune de ses productions est attendue avec enthousiasme. Après One Breath (Dominos record / PIAS 2013), Anna se sépare de la femme qui partage sa vie depuis 8 ans, cette rupture sera déterminante et changera du tout au tout sa démarche artistique. Avec ce troisième album, Anna revendique une volonté de troubler des codes de séduction archaïques qui condamnent les femmes à être des proies. Par le biais de textes engagés Anna questionne l’assignation au genre masculin ou féminin et s’affranchit des clichés dans un album militant sans être radical. Un troisième opus qui laisse à la chanteuse une nouvelle occasion de déployer ses multiples talents de musicienne, auteure et interprète avec une virtuosité de plus en plus assurée.
Dès le premier morceau, As A Man, Anna impose une ambiguïté qui s’étoffera au fil des 10 titres de son album et dès les premières notes on pense au motif groove de Shirley Bassey dans History Repeating. Ce premier texte donne le ton d’un album complexe dans lequel l’anglaise interrogera sans cesse son identité de genre, notamment dans Don’t Beat The Girl Out Of My Boy, le premier single livré en juin. Avec ce premier extrait Anna Calvi brouille les lignes et déclare dans le communiqué qui l’accompagne : Je veux répéter les mots ‘girl boy, woman man’, encore et encore, pour en trouver les limites contre l’immensité des expériences humaines.
Si ce tournant a surpris bon nombres de journalistes, il ne s’agit pas d’une nouveauté dans la carrière d’Anna Calvi qui, par le passé, n’a jamais cachée son rejet d’une vision du genre, de la sexualité et des mythes de séduction éculée.
Si on l’a comparée ad nauseam à PJ Harvey, il y a l’écho d’autres grandes artistes dans Hunter. On retrouve une détermination qui rappelle Jehnny Beth (Savages) et, dans des titres comme Swimming Pool ou Eden, on pense à Alison Goldfrapp et sa fluidité à côtoyer les sommets sans que sa voix ne cille. Mais quoi qu’il en soit, ce que produit Anna Calvi n’appartient qu’à elle et ses productions sont empreintes d’une identité artistique singulière. Sa technicité musicale épate à plus d’un titre, on s’approche de la perfection en évitant l’écueil d’un ensemble lisse et trop carré.
À l’image du message qu’il véhicule, Hunter est un album hybride qui alterne entre puissance et vulnérabilité, sentimentalisme et animalité. On y trouve des morceaux pop qui restent en tête longtemps et qu’on chantonne volontiers en toutes circonstances comme Hunter , Don’t Beat The Girl Out Of My Boy, Chain, Alpha … on peut même se laisser aller à quelques pas de danse sur Indies Or Paradise.
Par ailleurs, l’émotion pure nous capture et les frissons s’imposent sur Away, Swimming Pool, Eden, la voix si particulière d’Anna se fait grandiose et on ne résiste pas à sa puissance éthérée, à la maîtrise paradoxale des basses et des aigus, des va-et -vient gracieux entre différents registres vocaux. Avec ces titres, Anna Calvi mobilise notre écoute, elle captive et envoûte, on s’abandonne, on se laisse faire et c’est très bien comme ça.
Bien qu’il séduise d’emblée, Hunter révèle toute sa beauté au fil des écoutes. Comme les autres albums avant lui, il confirme le talent hors catégorie de l’anglaise. S’il est présenté comme le manifeste d’un féminisme conquérant, il reste principalement le symbole d’une volonté, celle d’être soi sans obéir aux injonctions ancestrales. Le message passe avec élégance, comme toujours avec Anna.
Adeline POIDEVIN
Artiste : Anna Calvi
Album : Hunter
Date de sortie : 31/08/2018
Label / Distribution : Dominos record / PIAS
Genre : Indie pop
Catégorie : Album rock