Groupe incontournable de la scène indie new-yorkaise depuis le début des années 2000, de retour après une tournée mondiale sold-out pour les 15 ans de leur premier album, Interpol revient avec un sixième album enregistré sur bande analogique et produit par Dave Fridmann (MGMT, Tame Impala, Mercury Rev notamment). Inspiré, classieux et intrigant, le groupe livre ici un vrai bon disque.
If you really love nothing confirme l’impression chez ces musiciens de découvrir à chaque fois un nouveau groupe : légèrement frappant, contrarié tout en étant accrocheur, évoquant quelque peu les Kings Of Leon, ce titre illustre cette faculté de chercher de nouvelles sonorités, expliquant sans doute la longévité du groupe. Toutefois, le formidable titre sorti il y a quelques temps comme premier single The Rover semble nous replonger dans cette époque bénie de guitare post-punk, qui a rendu le groupe si captivant : le chant de Banks, la guitare de Kessler et la batterie de Fogarino – qui semble être l’épine dorsale de cet album avec ses rythmes martelés – fonctionnent à merveille.
Complications, Flight of Fancy ou Mountain Child un plus loin (difficile pour ce dernier de ne pas penser à Slow Hands), avec leurs riffs de guitare si particuliers dès les premières notes, permettent d’identifier rapidement l’univers musical du groupe, et de confirmer qu’il sait sait vieillir avec une grâce surprenante, devenant (déjà) une référence classique rock. Dans un autre style, Stay in Touch, rock hypnotique et intrigant, semble raconter un rendez vous fantomatique avec un amoureux interdit tout en se révélant passionnant à l’écoute.
Cette partie mystérieuse est renforcée par un premier et saisissant interlude musical d’une minute, puis par Now You See Me At Work avec ses premières paroles : « Like Prince sang in Tennessee/ I wanna drive with you down there/To Alphabet Street ». Aucune trace toutefois d’une quelconque influence musicale du kid, le passé du groupe et les débuts particulièrement glorieux sont ici clairement affirmés. Surveillance surprend lui aussi, dans un son plus shoegaze voir par moment disco-rock, avec des paroles sombres sur la dictature de l’image et la manipulation de notre perception par les pouvoirs en place. Lui succède comme une réponse le formidable number 10, avec son introduction faussement calme de près de 50 secondes avant un passage nettement plus énervé et rassurant (« your secret’s safe here, it’ll never leave »). Part’y over poursuit dans cette voie critiquant le pouvoir destructeur de la technologie, discours nihiliste où les rythmes décalés de la batterie ou de la guitare renforcent ce sentiment d’instabilité.
L’ultime chanson, It Probably matters, confirme l’approche musicale entamée par le groupe plus entraînante que d’habitude, et un ensemble davantage apaisé et mélodique, qui constitue un autre moment de bonheur pour cet album.
Au final, Interpol continue de livrer des chansons surpuissantes et audacieuses mais aussi des moments d’ambiance contemplative, dans un ensemble plus hétérogène et optimiste que dans le passé. Les cravates sont peut-être légèrement plus desserrées, mais elles sont toujours portées avec panache et passion. Interpol permet bien de rendre notre monde meilleur.
- Julien LAGALICE
Artiste : Interpol
Album : Marauder
Label / Distribution : Matador
Date de sortie : 24 août 2018
Genre : rock indépendant
Catégorie : album rock