Bien moins matinaux que le premier jour (…), nous sommes arrivés trop tard pour assister à la prestation des Français de Pensées Nocturnes. Dommage, car leur black avant-gardiste avec accordéon et cuivres ambiance fête foraine à l’asile de fou, genre Arcturus qui aurait pété un câble, promettait une entrée en matière de circonstance pour cette journée placée, du moins dans sa première partie, sous le signe de la découverte. Bref, nous nous séparons : direction la Main Stage pour certains, la Valley pour les autres.
N.B. : Ayant assisté à trentaine de concerts ce samedi, nous avons décidé de découper en trois parties ce live report afin de ne pas effrayer nos lecteurs. Ici sont évoqués les premiers. Suivront dans une seconde partie ceux vus à partir de 16h et enfin ceux de la soirée.
Bonne lecture.
Nous ne connaissions que vaguement Eskimo Callboy, et nous ne nous attarderons pas face à la scène investie par le groupe allemand. Pourtant fervent d’un metalcore « grand public », la prestation n’a pas réussie à retenir notre attention si ce n’est l’esprit de folie qui a embarqué le public avec lui, dans un univers un peu dance et groovy. La bonne ambiance était au rendez-vous et le public réceptif face aux musiciens qui ont donné tout ce qu’ils avaient. On retiendra principalement les pom-poms girls au coeur du public s’agitant en rythme sur les morceaux du groupe et expliquant le repos mérité quelques heures plus tard dans la forêt du Muscadet…
Le réveil a été difficile; direction la Valley pour démarrer avec Jessica93. Sincèrement, il faut voir Jessica93. C’est un truc incontournable. Pourquoi « truc » ? D’abord parce que à géométrie variable. Capable d’évoluer en solo, comme en quatuor lors de son passage en février dernier à la Laiterie (live report ci-joint ), l’aventure musicale pensée par Geoffroy Laporte prend aujourd’hui la forme d’un duo aussi inattendu qu’improbable. Il y a du Anton Newcombe dans l’attitude du leader qui a congédié ses acolytes d’hier. Ensuite et chose déterminante, voilà en France un vrai groupe on-ne-peut-plus underground et qui, comme les vins de garde, gagne en qualité le temps passant.
Néanmoins, pas facile de séduire le public du Hellfest amateur de technique et de virtuosité quand on propose des titres essentiellement portés par des loops de gratte, de basse et des beats issus de boites à rythmes (rappelons que le jeu de batterie de David Snug est des plus sommaires, essentiellement de la cymbale et de quelques coups sur un tom de temps à autres). Les morceaux pétris de shoegaze et tapissés de grunge (à l’instar de RIP in peace) ne sont pas à la fête, il y a de nombreuses approximations, des pains, de la tension également. Un sabotage ? No sé. Le show se termine avec la destruction du matos, un classique du groupe. Espérons qu’il n’évolue pas comme les Traxen 200…
Les rockeuses de L7 prennent la suite des Allemands sur l’une des scènes principales, trois ans après leur dernier passage clissonnais, afin de faire découvrir leur univers grunge qu’elles trimballent depuis des dizaines d’années. Les trois musiciennes – amputées de la batteuse blessée et remplacée par un batteur – délivrent leurs morceaux aux influences rock et grunge, en terminant bien entendu par le bien connu Pretend we’re dead, qui ravit la foule présente en masse malgré l’heure quasi-matinale !
La première célébration du chaos de ce samedi a lieu au Temple à 13h30 avec le raw black des Islandais de MISþYRMING (que l’on peut traduire par maltraitance, abus, sévices). L’Islande est un pays de 350 000 habitants dont un petit tiers se concentre dans la capitale, Reykjavík. D’après “Metal Archives”, le pays compte moins de 80 formations “metal” en activité, et plus de la moitié d’entre elles pratique le black metal, sous une forme ou une autre : “true“, symphonique ou atmosphérique… Curieux, pour un pays dont moins de 1 % de la population est de confession non chrétienne (cf. Wikipedia…). A l’heure H, les quatre de MISþYRMING entrent en scène, chemises blanches maculées de sang (un peu trop rose), visages et avant-bras comme noircis à la suie – le blanc des yeux ! – et c’est un maelstrom de décibels, de vindicte et de hargne qui s’abat sur le public.
Les mecs ont les crocs, ils ne sont pas là pour faire de la figuration… c’est rapide, tendu, bruyant voire criard – ils ne cherchent pas à éteindre les larsens mais les cultivent – incroyablement agressif et punk dans l’âme de bout en bout… les vocaux sont invectivants, la tessiture du chant de D.G. me rappelle d’ailleurs par instants celle de Barney Greenway de Napalm Death. Avec Ho99o9 et Heilung, l’une des découvertes auxquelles je m’étais préparé, en ce qui me concerne, à l’annonce de la programmation du cru HF 2018 !
Pendant ce temps-là à Vera Cruz… ou à la Warzone. Si la veille cette scène avait fait la part belle au punk mélodique, aujourd’hui, c’est davantage le hardcore qui est à l’honneur. A cette heure précise il y a Knocked Loose. Et avec ces Ricains formés il y a 5 ans, on est en plein dedans. Derrière des faux airs de banlieusard US amateur de skate, avec une longue tignasse débordant de part et d’autre de sa casquette, Bryan Garris, le chanteur, est un gueulard de premier. Le micro vissé aux lèvres, il éructe à s’en faire péter la jugulaire.
J’arrive au cours d’une chanson caractérisée par une partie saturée mais très ralentie. C’était un leurre ! C’est pied au plancher que le groupe avance, comme pour écraser le public. La place de la basse est cardinale dans ces titres nerveux, marqués par des accords de guitares acérés comme des hachoirs. En un mot, bourrin ! Alors qu’à quelques pas certains siestent dans la forêt, bienheureux…
Passage sous l’Altar, une scène que je fréquente peu durant le weekend pour assister à la performance des Psykup. Malgré un hiatus important, l’audience des Toulousains est restée intacte. Le chapiteau est bondé, belle prouesse. Groovy et survitaminé, arborant des chemises hawaïennes (un attribut vestimentaire peu commun sur ce lieu, presque comme un pied de nez) afin de servir des riffs furieux, tout se mêle ici avec brio et avec le sourire.
Similitude voulue ou non avec Faith No More (d’ailleurs Mike Patton, l’original, dans tous les sens du terme, sera de la partie aujourd’hui avec Dead Cross) c’est un set monstrueux qui est donné ici en ce début d’aprèm au cours duquel un wall of death viendra secoue le chapiteau.
Au même moment dans la proche Valley, ce sont des Grecs qui sont sous les projecteurs. Les musiciens de 1000Mods offrent au public un set resserré de 7 titres. C’est peu. Oui mais le quatuor de Chiliomodi – village de moins de 2 000 habitants – évolue dans le registre stoner et là, les titres sont fleuves.
La poussière semble tout droit soufflée depuis le Péloponnèse. Le son et les motifs rappellent à s’y méprendre Kyuss, voire du Black Sabbath. La foule adhère. Pour ma part, le moment est appréciable mais c’est vraiment le morceau Vidage qui capte toute mon attention. Long, cyclique, à l’intensité graduelle et contagieuse, c’est une réussite. Dommage qu’ils ne disposent que de 40 minutes…
J’ai pris une bonne grosse baffe en avril 2017 au Grillen, à Colmar, lorsque j’ai assisté à mon premier concert des Finlandais d’Oranssi Pazuzu (avec Kalevi Uibo et Aluk Todolo en premières parties). C’était un lundi et il n’y avait pas foule dans la salle. Le Pazuzu, non répertorié dans le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, est le démon mésopotamien qui possède Reagan dans les films de Friedkin, L’exorciste et Boorman L’exorciste II : l’hérétique. Le groupe s’est formé en 2007 et a déjà enregistré quatre albums, dont le sublime Värähtelijä (2016). Le set de Colmar avait été ténébreux, brumeux, couleur violette dominante, et je craignais qu’un passage en tout début d’après-midi au Temple ne nuise à l’ambiance instillée par leur black doom psychédélique.
Deuxième concert, deuxième (grosse) baffe : pas de décor, pas de brouillard, des jeux de lumière d’une grande sobriété (je n’ai pas souvenir que les gigantesques croix / néons retournées de la Temple se soient allumées une seule fois pendant cette prestation), une volonté d’en découdre à visage découvert… et le son ! Des vocaux distordus à l’extrême, une section basse-batterie tellurique (ma cage thoracique s’en souviendra), des guitares stridentes (on est plus proche parfois de la harsh noise que du metal), des claviers émettant des sonorités qui pourraient être celles produites par la naissance ou la mort d’une étoile… Ce groupe est grand ! Saturaatio, Lahja et Vasemman käden hierarkia de l’album suscité ont été interprétées. J’ai envie de me laisser aller : Oranssi Pazuzu, c’est la musique faite “chaos rampant”, Nyarlathotep… À noter que Jun-His (de son vrai nom Juho Vanhanen, guitare et chant) foulera dimanche la scène de la Valley en tant que guitariste de Grave Pleasures.
Retour à la WZ, sous le soleil plombant. Pour l’heure à suivre, le hardcore de Baltimore est roi. Et c’est Turnstile qui s’y colle. Les titres sont accrocheurs car portés par des guitares addictives, une basse vrombissante comme celle de Novoselic (si si !) et une quintessence de rythmes punk délivrés par la batterie (Real thing, Generator). Le chant de Brendan Yates est versatile et n’est pas que hurlements HC (Moon). L’homme d’ailleurs est un agité du bocal aux muscles saillants et au faciès de Roger Daltrey (re-si si ! Vous n’avez pas vu son jeu de micro!) qui fait fi de la chaleur accablante. Bref, s’il le fait, le public n’a aucune raison de se retenir. Et c’est ainsi que sous le cagnard de Clisson, la foule cuisait au feu (doux, pendant cinquante minutes) de Turnstile. Une mise en bouche avant le plat de résistance que sera Terror.
À suivre les concerts à partir de 16h.
-Marion ARNAL, Fred et Benoît GILBERT
-Crédits photos : Benoît GILBERT, Eric