Vendredi 25 mai 2018, Le Grillen, Colmar. Bien qu’en retard, je suis très chaleureusement accueilli par le groupe au sein de sa loge. L’entrevue qui ne devait durer qu’une dizaine de minutes a joué les prolongations à l’heure de l’apéritif. Un moment convivial placé sous le signe de l’humour, de la taquinerie mais aussi du réalisme quant à la situation de la musique aujourd’hui en France.
Sensation Rock – Bonjour à vous. Comment ça va ?
Vincent – Ça va très bien, il fait très beau, c’est cool. On est juste arrivé avec une heure de retard.
Charlotte – A cause de Marty ?
Vincent – Oui. Marty c’est notre tour man. A midi, il s’est attablé alors que l’on avait dit que l’on prenait à emporter. (Rires)
SR – Est-ce votre premier passage au Grillen?
Julien – Non. À l’entrée, il y a le nom des différents groupes qui sont passés ici. AqME et Leto sont passés en 2002 dans la salle A, mais je n’y étais pas. (le mercredi 6 mars 2002 et également en 2005, NDLR)
Vincent – Moi non plus.
Charlotte – J’y étais mais je ne m’en souviens plus… (Gros rires)
SR – Comment se déroule cette tournée 2018 ?
Vincent – On a attaqué fin 2017. On a fait une quinzaine de dates depuis la sortie de l’album. Ensuite on a fait une petite pause parce que j’ai eu un petit garçon et on est à nouveau sur la route depuis avril. On fait quelques dates, on n’a pas de gros planning; on joue tous les mois et ça c’est cool. Idem cet été. Après septembre ça sera bien rempli.
SR – Y a-t-il déjà un souvenir ou une date marquante selon vous?
Julien – La Maroquinerie à Paris. La date était complète ; ce fut un grand moment de partage.
Vincent – L’ambiance était folle. J’ai revu des vidéos : tu aurais pu jeter le micro dans le public, les gens chantaient. C’était fantastique.
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SR – D’ailleurs, en tournée qu’écoutez-vous sur la route?
Vincent – On écoute ce qu’Étienne (batteur) nous met dans le poste. (Rires)
Julien – Dernièrement c’était les Beastie Boys.
Charlotte – Les Bee Gees.
Julien – Tame Impala, King Gizzard & the Lizard Wizard.
Vincent – Abba.
Charlotte – Matt Pokora…
Vincent – On a tenté de mettre un peu de metal mais il n’a pas voulu.
Charlotte – Si: on a écouté le dernier Lofofora en acoustique.
SR – Il y a une certaine dose de 70’s dans tout cela.
Vincent – Ouais, tu sais c’est des vieux dans AqME. (Rires de Charlotte)
SR – Du coup j’anticipe ma question concernant la pochette de votre dernier album. Vous apparaissez dessus, c’est une première. Elle est en noir et blanc et j’ai trouvé qu’elle avait un aspect à la Queen (Queen II, Bohemian Rhapsody). L’avez-vous remarqué ?
Julien – On y a pensé durant la session photos.
Charlotte – Grave. Mais j’ai pensé aussi à Abba.
Julien – Peut-être même Led Zeppelin. C’est l’assistant du photographe Yann Orhan qui a suggéré ça.
Vincent – On a essayé beaucoup de choses sur cette journée/session photos. On a pris tout notre temps dans un studio à Paris.
Charlotte – C’était aussi notre volonté de mettre nos visages sur la pochette.
Vincent – Ouais ; aujourd’hui voilà le visage d’AqME. C’est d’ailleurs un très bon souvenir.
SR – Il y a un an, vous sortiez votre 8e album, un disque éponyme. Quel bilan dressez-vous ? Quels sont les retours du public ?
Vincent – Il aura officiellement un an en octobre. En fait on l’a enregistré en 2016, puis on s’est focalisé sur la réédition de Sombres efforts pour ses 15 ans. On a également tourné pour l’événement et on a enfin pu sortir l’album AqME.
Charlotte – On a eu un super accueil, tant le public que les chroniques. On a été surpris.
Vincent – On était dans un contexte où l’on sortait de Dévisager Dieu (2014) et faire de la musique aujourd’hui, ce n’est pas facile mais on a rien lâché. On a essayé plein de trucs sur la prod’, sur les instruments, la voix. Ne suivant aucune prérogative, on a fait ce que l’on avait envie de faire. Finalement ce fut efficace au vu du retour du public, des webzines, …
Charlotte – Dès les premières dates, le public chantait les derniers titres, Tant d’années, etc. Il est ultra réceptif.
(AqME, Tant d’années)
SR – Justement, quid du public d’AqME ? A-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts?
Charlotte – On retrouve des anciens qui ont notre âge.
Vincent – Ouais mais tous ne sont plus dans le délire : « viens on pogote ! » (rires). Moi qui suis encore un petit énervé, parce que je suis pas vieux – j’ai 33 ans – c’est aussi très agréable d’avoir des gens très à l’écoute et avec qui tu peux partager un truc, une foule que tu peux embarquer dans ton univers. Donc, il y a des vieux, des nouveaux, même des enfants et ça c’est très chouette.
Julien – Il y a des enfants de fans qui viennent en famille. Il y a deux-trois semaines, quelqu’un m’a dit que c’était le tout premier concert son fils. De savoir ça, j’ai été touché. On les a fait monter sur scène.
SR – Revenons à l’album. Il se nomme sobrement AqME mais vous aviez précédemment déclaré qu’un titre était déjà prévu. Lequel?
Charlotte – Oui mais je n’étais pas d’accord. Je trouvais qu’il n’était pas positif.
Vincent – C’est Charlotte qui a souhaité que l’album soit éponyme. Tout comme pour la pochette, on a voulu dire: aujourd’hui, AqME c’est ça. Et effectivement le titre que l’on avait choisi était un peu défaitiste.
Charlotte – Vas-y balance! C’était Sur le fil.
Vincent – C’est emprunté à Ensemble, l’intro du disque: « (…) Sur le fil, nous marchons (…)», ça suggère que soit tu tiens et tu continues, soit tu tombes et …
SR – Dans quelques mois, la formation soufflera ses 20 bougies. Quel regard portez-vous sur le parcours du groupe?
Vincent – Charlotte, c’est pour toi, t’es la mémoire du groupe! Elle se rappelle de rien… (Rires)
Charlotte – Pour nous AqME, c’est notre famille. C’est mes grands frères…
Vincent – T’es plus vieille que moi je te rappelle. (Gros rires)
Charlotte – M**** ! T’es mon p’tit frère alors !? C’est une superbe aventure. On a vécu des choses incroyables auxquelles on ne s’attendait pas du tout. Avec Étienne, on a connu des hauts et des bas mais grâce aux bas on a fait de belles rencontres (regard appuyé en direction de Vincent)…
Vincent – Je suis un mec qu’ils ont ramassé. (Rires)
Charlotte – Grâce à eux on a pu continuer cette histoire; je tiens à les remercier. On espère revenir à bloc avec cet album, la tournée et avoir plus de dates. Quant à l’anniversaire, on veut souffler nos bougies avec les fans.
Julien – On en parle mais on est davantage focalisé sur le moment.
Vincent – S’il y a quelque chose, cela sera fin 2019, mais pas avant.
SR – Une réédition de votre premier EP University of nowhere est-elle possible ?
Charlotte – Non.
Julien – Ce fut un moment fondateur pour le groupe, car à l’époque il a scellé la formation Charlotte, Etienne, Benjamin et Thomas. Par contre, c’est un disque qui demandait que le groupe développe encore des choses en travaillant davantage.
Vincent – De même lorsque l’on a réédité Sombres efforts en 2017, on nous a demandé: pourquoi ne pas avoir pas réenregistré le disque? Il est magique tout simplement. Chaque album a un truc, c’est un instant précis, avec un son.
SR – Et votre son aujourd’hui, vous le définiriez comment ?
Vincent – Comme du AqME. (sourires) Des grosses guitares avec une voix qui vient trancher dans le tas.
Julien – Il n’y a pas vraiment d’adjectif à apposer, comme brumeux, …
Vincent – Ensoleillé, sableux ? (…) Solaire, carrément lunaire… (Gros rires)
Julien – Mis à part Vincent, on est attaché aux années 90, à ce qui est organique au niveau de la prod’, notamment Étienne, et à mettre sur ce disque des choses assez aventureuses. Je sais que Thomas (premier chanteur de la formation, parti en 2012, NDLR) était plutôt punk dans l’esprit. Si tu mettais un effet sur sa voix, c’était comme la travestir et ça il n’en avait pas envie. A contrario, Vincent a joué le jeu et ça sublime ce qu’il projette.
Charlotte – Pour l’album Hérésie (2008), j’ai le souvenir de personnes me disant que sur scène ça envoyait du bois mais qu’à l’écoute de l’album c’était très différent, moins percutant. On s’en est rendu compte aussi: en concert on jouait les titres plus rapidement que sur le disque. Pourquoi ne pas composer dans ce sens là ? Voilà ce que l’on fait pour AqME.
Vincent – Pour conclure, on est très inspiré par le son scandinave, entre autre à cause des racines d’Étienne (quand on parle du loup, il fait son apparition dans la loge ; salutations). Bien sûr je chante en Français, mais avec la production apportée à la voix sur cet album, on propose quelque chose de différent.
SR – Au-delà de cet anniversaire, quels sont les projets à court et moyen termes pour le groupe?
Vincent – On compose gentiment pour le prochain disque, mais on y va pépère. On a fait un bel album, on en est fier, on veut en profiter et surtout pas se lancer dans un nouveau fait à la va-vite. On se donne le temps d’être en phase tous les quatre.
SR – À l’instar de Klone (Unplugged, 2017), Lofofora (Simple appareil, 2018), l’aventure en territoire unplugged/acoustique ne vous titille-t-elle pas ? Vous aviez tenté l’expérience avec Tout le monde est malheureux à la fin des années 2000.
Vincent – On y a pensé… On a même commencé à le travailler et puis on a arrêté.
Julien – Comme évoqué tout à l’heure, on est sur l’instant présent. Pourquoi pas s’essayer sur un titre ou deux mais cela n’aura d’intérêt que si les morceaux en acoustique offrent une véritable valeur ajoutée.
SR – Vous êtes acteurs de la scène rock hexagonale. Quels regards avez-vous sur les autres formations françaises ?
Vincent – C’est une belle scène, riche en formations. La plupart des (jeunes) groupes qui sortent du lot, comme Smash Hit Combo, se donne les moyens de faire beaucoup de choses et c’est cool (plus tôt et en off, nous évoquions le passage de SHC à l’Impetus Festival cette année), mais on est en France et là c’est plus compliqué. Les gens préfèrent acheter des billets à 70 balles pour voir un gros groupe, plutôt que de faire 10 concerts à 7 euros…
Julien – C’est frustrant car il y a beaucoup d’artistes et cela au-delà de la France et de la question du talent. Des groupes innovants même mais c’est très divisé et ça se ressent dans les concerts : beaucoup de spectacles se remplissent bien moins qu’avant. Dans les années 2000, la majorité des concerts étaient complets. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus disparate. Tu retrouveras la majorité des gens dans des gros festivals. Comme Vincent l’a dit, ils sont prêts à mettre 400 euros dans un weekend pour tout voir en même temps, plutôt que de se faire chaque mois un nouvel artiste ou groupe à découvrir. Pourtant il y a beaucoup d’envies, de personnes qui se bougent. La nouvelle génération a compris aussi qu’il fallait utiliser les nouveaux outils pour communiquer. Mais dans le metal le public paraît parfois très frileux. A part le Hellfest, on peine à voir de vrais rassemblements. Avec le nu metal, la Team Nowhere, il y avait cet aspect rassembleur, quelque chose de fort avec le public, entre les groupes. Aujourd’hui, il n’y a plus cette effervescence. Chacun prêche pour sa paroisse : moi je fais du stoner, moi j’aime pas les chemises à carreaux (sourires), etc. C’est à l’image de la société en quelque sorte.
SR – Avez-vous des coups de cœur dans le paysage musical français?
Vincent – Il y a trois ans, j’ai rencontré un groupe nommé Noise Emission Control et j’ai énormément adoré. J’étais à Lorient avec Butcher’s (The Butcher’s Rodeo, autre formation de Vincent, NDLR) et ensuite on a joué plein de fois avec eux.
Charlotte – Pogo Car Crash Control. Gros coup de cœur.
(Pogo Car Crash Control, Crève)
Julien – J’avoue que j’ai eu aussi un petit faible pour eux. J’aime beaucoup la scène belge. Amenra, Oathbreaker, c’est mes deux groupes préférés.
Charlotte – Mais c’est pas français ; tu sors ! Il veut faire son intéressant.
Julien – C’est européen, c’est pareil.
Etienne – Des mecs qui existent depuis 25 ans, bref des petits jeunes qui démarrent… (Rires)
Julien – Sinon il y a Diapsiquir mais personne n’a envie d’écouter.
Charlotte – T’écoute Led Zeppelin aussi…
Julien – Plus maintenant. (Rires)
Vincent – Il y a aussi un groupe du coin, Keys and Promises. Ils assument leur musique et ça j’aime beaucoup.
SR – Est-ce que de nouveaux featurings, comme pour le titre Rien ne nous arrêta avec Reuno de Lofofora, sont à venir?
Vincent – On l’a fait parce qu’on avait la possibilité et ce fut un moment excellent. Sinon comme dit précédemment, on tâtonne gentiment et on profite du moment présent.
(AqME & Reuno, Rien ne nous arrêtera)
SR – Un dernier mot pour les lecteurs de SR.
Julien – Bougez-vous, venez en concert ! Ne restez pas devant vos télés et vos téléphones portables.
Vincent – C’est vrai, il faut venir dans les clubs voir des concerts. Avec AqME on se donne à fond chaque soir. Même après plus de 5h de route et une longue balance – parfois faite à l’arrache – quand on monte sur scène on est au taquet durant plus d’une heure et demie. Cet instant de communion avec la foule, c’est exceptionnel. Que je sache, il n’y a pas grand-chose de comparable niveau intensité émotionnelle.
Sur ce Etienne rameute le reste de la bande, direction le catering.
L’heure du concert se rapproche à grands pas.
Merci au groupe pour l’interview ainsi qu’au label AT(h)OME!
-Crédit photos et propos recueillis puis retranscris: Benoît GILBERT.
Pour voir AqME en concert, nous vous renvoyons vers leur site officiel et leur page Facebook