L’obscurité est tombé sur la Rodia qui entame sa deuxième soirée en l’honneur des 20 ans de RadioCampus. En ce jour de solidarité mondiale pour la sauvegarde de la planète, même la citadelle qui domine la vieille ville a cessé d’être un phare dans la nuit pour les bisontins. Eteindre les lumières pour préserver la nature et se laisser aller à un alanguissement bienfaisant. On pourrait presque savourer ce moment suspendu entre veille et sommeil où plus rien n’a de sens et pourtant tout se comprend.
Voici une ambiance parfaite pour le groupe belge Girls in Hawaii qui achève la première partie de leur tournée Nocturne dans la capitale franc-comtoise. Dans la salle, d’ailleurs tout est calme. Est-ce l’effet apaisant d’une fin de journée printanière ou la lumière bleue et douce déclinant progressivement comme une nuit tombante? Quoiqu’il en soit, le charme opère et nous nous offrons à une veille onirique.
Ce sont presque vingt titres qui se succèdent pendant un temps que je n’ai pas su déterminer. Non pas en raison d’un changement d’heure embrouilleur d’esprit mais parce que dans un rêve, le temps a sa propre logique.
Piochant dans leurs quatre opus, les Girls in Hawaii passent avec une aisance déconcertante d’un album à un autre alternant le registre électro très eighties de leur dernier album Nocturne, l’indie pop ensoleillée de From here to there ou les superbes titres teintés d’un spleen endeuillé d’Everest. On devrait se sentir perdus ou tout du moins un peu ballotés mais le rêve a ce pouvoir de nous faire passer de la solitude du désert à la ville la plus surpeuplée le plus naturellement du monde et sans que cela nous affecte en rien.
On ne sent ni conflit ni heurt dans l’enchaînement d’un Time to forgive the winter et d’un Walk en dépit d’univers musicaux très différents. Si cela fonctionne si bien c’est qu’un fil d’Ariane nous guide dans cette extravagante aventure. Réconfortantes, stimulantes quand il le faut, les voix harmoniques d’Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberghe, soutenues par guitares et claviers, se coulent à la perfection dans chaque mélodie. L’alchimie se fait aussi entre son et lumière. Le show visuel est, comme tout le reste, soigneusement réfléchi et travaillé. Il souligne de façon délicate la thématique annoncée.
Ce sont tantôt des projections de plans holographiques qui intimisent l’espace tantôt un bandeau de leds qui plonge les musiciens entre chien et loup, dans l’invisibilité d’un contre-jour mauve. Des boules à facettes solaires font danser des lucioles et un fond étoilé nous invite à des voyages impossibles. D’ailleurs chaque nouveau morceau est en soi un tableau, une excursion noctambule inédite déclenchant inopinément douce joie ou mélancolie sereine.
Il faudrait encore parler de la perfection du son auquel on ne pense pas tant il est ajusté, de la précision de l’interprétation proposée par Brice (guitare), François (claviers), Daniel (basse) et Boris (batterie), ou encore de la justesse du rythme impulsé tout au long du set.
Et que dire de ces six musiciens prêts à rencontrer leur public y compris en dehors de la scène, à le charmer même, avec des plaisanteries parfois douteuses mais aussi quelques flatteries. Les bisontins peuvent d’ailleurs se vanter d’avoir offert aux Girls In Hawaii la plus belle après-midi de leur tournée. Ils se décrivent comme des flamands (roses bien entendu!) sur la terrasse de la Rodia devenue pendant quelques heures le pont d’un grand trois mâts. Preuve à l’appui, Antoine Wielemans reparaît lors du rappel affublé d’une casquette de capitaine sur la tête et autant vous dire que le rôle comme le costume lui siéent à merveille.
La gentillesse et la simplicité de ces six garçons provoquent naturellement une complicité, nourrie de clins d’œil bien choisis comme cette improvisation trop vite avortée sur le titre d’un de nos monuments nationaux (un certain JJ…). Il suffira d’un signe ou de ce seul concert pour qu’on se prenne à voir dans ces belges talentueux les dignes héritiers de leur modèles Radiohead ou Grandaddy. C’est d’ailleurs ce dernier qui clôt le concert avec une reprise réjouissante du titre AM180.
Antoine et Lionel s’offrent un dernier tour de piste en acoustique avec guitare et xylophone pour une ultime berceuse…vous pouvez fermer les yeux… le rêve commence.
- Caroline