16 mars 2018. « Il pleuvait sans cesse sur Lyon ce jour-là ». Dire qu’un temps de pluie, sombre et froid est en adéquation avec les trois concerts programmés à l’Epicerie Moderne ce soir serait quelque peu cliché. Pourtant, les guitares saturées, la reverb et la Cold wave sont à l’honneur, avec les prestations froides et radicales de Helm, Jessica 93 et Soft Moon. A son glaçial, ambiance de feu au cœur de la petite commune de Feyzin, en proche banlieue Lyonnaise.
La soirée s’ouvre sur l’anglais Helm, incarné par Luke Younger, seul sur scène face à ses machines. Son son atmosphérique envahit la salle encore vide de l’Epicerie, avec ses nappes synthétiques vrombissantes, faisant trembler littéralement les murs et le sol de l’auditoire. Luke Younger délivre une prestation hors des clous, véritable œuvre vivante. Ses morceaux sont longs, sinueux, planants. A mi-chemin entre musique expérimentale et ambient, Helm nous embarque dans son vaisseau spatial, direction le cosmos.
La création auditive de Helm n’est pas destinée à faire danser : elle se ressent et se contemple. Le public est convié à vivre une expérience extra-sensorielle électronique, forte et puissante.
Jessica 93 ne tarde pas à monter sur scène. Geoffroy Laporte officie désormais avec trois musiciens, membres de Bitpart, Marietta et Trotsky Nautique. Le 4ème album du natif de région parisienne est une pépite grunge, marquée par une boîte à rythme forte, qui lui insuffle une dimension cold wave prenante.
Jessica 93 nous fait transplaner vers les années 90.
Face à l’allure négligée de Geoffroy Laporte et à l’omniprésence de la basse sur des titres tristes et mélodiques comme Bed Bugs, nous ne pouvons affirmer qu’une chose : Nirvana is not dead. La ressemblance en est troublante. Le leader de Jessica 93 a déclaré plusieurs fois en interview avoir été nourri toute sa jeunesse par la musique du groupe d’Aberdeen. Sa reprise de Something in a way sortie en 2014 vaut le détour – et pourtant on sait à quel point toucher à du Nirvana peut s’avérer fastidieux.
A mi-concert, Geoffroy Laporte interpelle la foule ironiquement: «Vous venez juste pour Soft Moon hein, pas besoin de mentir». Eh bien non, Jessica 93 est tout à fait à la hauteur et partage la tête d’affiche de la soirée avec brio.
Soft Moon arrive enfin sur scène, avec trois musiciens, dernier concert de la soirée. Le bal noir s’ouvre sur The Pain, l’un des titres les plus dansants de Criminal, album sorti il y a tout juste un mois. Luis Vasquez, originaire de Californie, conte ses pensées les plus sombres, ses douleurs les plus intenses, sur des morceaux oscillant entre post-punk, shoegazing, indus, electronique, cold wave… Tant de cases musicales dans lesquelles il est difficile de faire rentrer le projet obscur et primitif de la tête pensante du groupe.
Le jeu de lumière est aveuglant, violent, rapide et saccadé. Soft Moon jouent ensuite Dead Love et ses synthés qui ressemblent à un cri de douleur, puis Burn, Choke, Total Decay… Luis Vasquez se saisit d’un gros bidon sur Choke et, à l’aide de deux baguettes, s’emploie à un solo rythmé et précis. Puis viennent Give Something ; la litanie Far si addictive de l’album Deeper et son refrain dur et beau, « Take me far away / To escape myself / I was born to suffer / And it kills my mind / It kills me inside », puis Young, Wrong. Des titres qui relatent la noirceur du chanteur et qui font, paradoxalement, irrémédiablement danser les foules.
Soft Moon est un projet musical où Luis Vasquez cherche les réponses à ses questions, la source de son mal-être. Quand il les aura trouvées, le projet cessera. C’est tout ce qu’on lui souhaite, même si Soft Moon est l’une des formation les plus excitantes de ces dix dernières années.
- Léopoldine Deriot
Crédits Photo : Léopoldine Deriot