Le temps d’une soirée, le Noumatrouff se détourne de son Alsace chérie afin d’arpenter le bayou. Oui, Mulhouse prend pendant quelques heures des allures de Louisiane et d’autres contrées sudistes étatsuniennes. Nous sommes le samedi 18 novembre, au programme Heymoonshaker et Dirty Deep.
Les premiers à aiguiser leurs cordes sont les Strasbourgeois de Dirty Deep. Le décor est sommaire mais réfléchi. Alors que les amplis basse s’accumulent verticalement comme un totem, l’espace réservé à Victor Sbrovazzo est un agrégat composé d’une caisse de whiskey Jameson et d’une planche de skate en guise de pedal board. Bref, lorsque la formation démarre elle transporte en deux temps trois mouvements l’assistance loin par-delà les Vosges. Le blues rock coexiste avec les rythmes punk déversés par le batteur Geoffroy Sourp. Les motifs joués au bottleneck (ici en l’occurrence un morceau de bouteille, comme les vrais bluesmen d’antan) se lient avec malice aux instants où l’harmonica électrisé vient gratter nos oreilles. Dynamique et enjoué, le groupe envoie des titres jubilatoires comme Muddy Water, John the revelator ou Howlin’ to the moon servi par une ligne de basse d’Adam Lanfrey invitant à un semblant de rite vaudou. Bref, quand le show doit se conclure, car il fait bien laisser la lumière à la tête d’affiche du soir, Victor finit par se lever de sa caisse pour un instant de transe à la guitare, puis à l’harmonica qu’il semble dévorer.
Une demi-heure plus tard, Heymoonshaker entre en piste. Dans un épais brouillard de fumée, deux silhouettes se détachent lentement. Si le décor était sommaire avec les Alsaciens, que dire avec cette doublette? Deux praticables, un pied de micro, un ampli et En Avant Guingamp ! Et ça suffit finalement pour créer un petit miracle sonore. Ici les genres et les étiquettes musicales dégagent : le blues porté par la guitare et la voix rocailleuse d’Andrew Balcon croise le fer avec Dave Crowe, un escogriffe aux facultés vocales démentielles. Dès les premiers instants avec Find myself a home, le Grand Blond avec un micro noir cale son flow sur la 6-cordes de son pote et sert des percussions vocales remarquables. Oui le human beat box peut côtoyer le blues. Mieux encore, le hip hop ou le dubstep peuvent aussi sillonner dans ce marigot rugueux (Heavy grip). A ce petit jeu-là, les Anglais sont des pointures qui ont su créer des titres capables de transporter au cœur des forêts fantomatiques de palétuviers, jonchées de crocodiles sournois et tapis dans d’épaisses brumes (Take the reins). Bref, le dépaysement est total et les morceaux des pépites géniales que le public, essentiellement constitué de fans du duo, reprend avec un soupçon de vibrato dans la voix.
En marge des titres, le groupe est aussi très loquace. Echangeant à de nombreuses reprises avec son auditoire – et dans la langue de Molière s’il vous plaît ! –, le percussionniste vocal est un amateur de private jokes, de propos connotés faisant naître de larges sourires sur le visage de personnes ou de jeux avec les premiers rangs, avant de jeter en pâture son dernier album, Noir.
Après 2 minutes de Led Zeppelin revisité (Whole lotta love), Heymoonshaker termine le concert avec l’excellent et groovy Feel love. Insatiable, la foule exige son dû. Les Anglais reviennent donc afin d’interpréter Totem puis Lazy eye. Une fois encore, la magie opère à merveille. La figure longiligne danse comme une liane balayée par le vent, tandis que son alter ego égraine les notes délicates sur sa guitare, avant d’envoyer des refrains déchirants. L’ apothéose !
Fin du spectacle, la lumière envahit à nouveau la salle. Le vaporeux bayou a disparu mais son âme perdure dans la mémoire des spectateurs de ce soir de novembre 2017…
Setlist de Heymoonshaker
Find myself a home
Heavy grip
Best of my love
Wheels in motion
Andy solo
Take the reins
Stoned
Crowe solo
Devil in mind
MF 45
Feel love
Rappels
Totem
Lazy eye
-Benoît GILBERT
crédit photos: Benoît GILBERT