Les hasards de la vie. Il y a une dizaine d’années lors d’un marché aux puces, je fis l’acquisition d’une caisse pleine de disques importés pour la rondelette somme de 5€, enfin 3 et un Banco gagnant d’une valeur de 2€ (véridique). Dans ce lot d’une trentaine de vinyles, deux albums aux pochettes résolument barrées et peu engageantes à l’écoute : Flying teapot et Gazeuse ! de Gong. Il faut dire que dans les années 2000 le nu metal et SOAD sont les rois. Bref, trop bizarres pour trôner sur le tourne-disque, ils n’en étaient pas moins fascinants; je décide de les ranger entre un J.-J. Goldman (…) et Grateful Dead. Fin de l’histoire. Jusqu’à ce que la Laiterie décide de sonner le Gong le 18 octobre! Et même si le line-up originel n’est plus, l’événement se devait d’être vécu.
Alors que la veille, Kadavar and Co. ont secoué la Grande Salle strasbourgeoise, ce soir les vétérans ont droit au Club et sont précédés par The Mihalis Experience, une jeune formation française qui foule les planches à partir de 20h30. Le quartet, comprenant deux grattes, un bassiste crêté et un batteur, offre un show carré et tourné vers le rock progressif. La proximité avec l’œuvre des Pink Floyd est patente, notamment sur Horse and pigeon. On pense un temps à Meddle, à One of these days et l’on croirait entendre la batterie tenue par Nick Mason. Les longues plages instrumentales permettent des montées en tension, entrecoupées de phases marquées par des boucles d’arpèges subtiles, s’appuyant sur une basse groovy. Le final est plus hargneux que les titres passés (notamment dans le chant), mais cette dernière charge est toutefois sujette à un buzz envahissant qui surprend même le bassiste. Ceci étant dit, le concert fut appréciable et la formation de Sarreguemines prometteuse. A suivre.
Le changement de plateau est assuré par Gong himself. Et les choses vont plutôt vite. Les deux vidéo-projecteurs placés aux extrémités de la scène sont enfin allumés et délivrent des films symétriques. Un homme luminescent tournoie sur lui-même dans une galaxie d’étoiles qui se cessent de converger. La sono est elle aussi très travaillée : l’introduction du groupe se fait sur fond de stéréophonie, comme à la grande époque du son spatial et autres efforts de quadriphonie. Le voyage démarre avec You can’t kill me, extrait du cultissime album Camembert électrique. Toute wah wah et saxophone dehors, le groupe envoie plus de 6 minutes de musique oscillant entre free jazz et guitares rock.
Etonnement, le band entame son set avec des titres au format relativement court pour du prog (You can’t kill me, I’ve been stoned before et Kapital). Il faut attendre Rejoice ! (2016) pour voir Gong partir dans des expérimentations de plus de 10 minutes. Alors que Tavus Torabi, nouveau frontman de la formation – ressemblant à un Syd Barrett enjoué, aux yeux écarquillés et aux bottines argentées – se fait plus discret, Fabio Golfetti et son t-shirt marqué de spirales sans fin, commence à frotter inlassablement sa 6-cordes avec une tige de vibrato. La batterie se lance au même instant dans une folle cavalcade, suivie par la basse fretless du cyclopien Dave Sturt. Le titre mêle soli de guitare et de saxo que l’assistance accueille religieusement. Des motifs hindous, bouddhistes ainsi que des temples précolombiens viennent se percuter au cœur des films, notamment sur l’incantatoire Om riff. Visiblement le voyage hallucinatoire se poursuit vers des contrées toujours plus psychédéliques. Puis ce sont des lutins qui parcourent et envahissent l’image grâce à leurs hélicoptères-théières (I Never glid before, You never blow yr trip forever)…
Les jams hypnotiques s’enchaînent dès lors. Les riffs aigus entêtants tutoient les motifs du saxophoniste alors que les tempos se cessent de varier (Visions, The unspeakable stands revealed). Le quintet termine le concert sur Tropical fish/Selene. Ce dernier assaut s’étire dans une longue litanie, durant laquelle le chanteur, baigné par un puissant projecteur, semble en pleine salutation au soleil. Le retrait du groupe est de courte durée. Il revient afin d’interpréter 4/3/4/2/4/2/6/2/6+2 et Insert yr own prophecy (issu de l’album paru l’an passé), un morceau marqué par de nombreuses ruptures et roulements, sur fond de stroboscopes déjantés.
Montre en main, la formation, enfantée à la fin des années 60 par l’ex-Soft Machine, feu David Allen, a proposé un concert de plus de 2h. Les quelques setlists jonchant la scène s’arrachent. Les fans psychécore étaient là, en nombre compté certes, mais heureux de communier avec ce groupe mythique. Pour ma part, c’est décidé : Flying teapot et Gazeuse ! ont leur place sur la platine vinyle.
Setlist de Gong
You can’t kill me
I’ve been stoned before
Kapital
Rejoice !
Om riff
I Never glid before
Visions
The unspeakable stands revealed
You never blow yr trip forever
Tropical fish
Selene
Rappels
4/3/4/2/4/2/6/2/6+2
Insert yr own prophecy
-Benoît GILBERT