Le festival Décibulles est sis dans un lieu calme, champêtre. Alors que nous nous apprêtons à une interview croisée de Freez avec le webzine Jaime Les Festivals, nous sommes contraints de quitter l’espace presse afin de nous replier dans un endroit isolé et susceptible d’effectuer une prise de son correcte. Sans tambour ni trompette, Vald, alias Maître ès Politesse et Morale, déverse ses kilowatts sur tout le site… Trouvant enfin un « havre » excentré, nous commençons l’entrevue avec le trio strasbourgeois. Un entretien rappelant qu’il y a hip hop et hip hop.
Sensation Rock – Bonjour à vous trois. Pouvez-vous vous présenter respectivement?
Mr. E – Mr. E, MC.
Arthur Vonfelt – Arthur, je joue de la batterie et je fais les prod.
Octave Moritz – Moi c’est Octave et je suis trompettiste.
Jaimelesfestivals – Vous êtes déjà venus à Décibulles comme artistes. Quels sont vos souvenirs ?
Arthur – Je suis venu à Décibulles avec Adam and the Madams. On avait gagné le tremplin il y a deux/trois ans, et l’année d’avant avec The Fat Badgers ; deux groupes strasbourgeois.
Mr. E – Oui avec Art District et Lyre le Temps pour un clip. Ça fait très plaisir de jouer ici, d’être sur scène. C’est un chouette festival dans un super endroit, j’adore cette vallée. C’est cool d’être là car Freez est en stade de développement, c’est intéressant de faire une grande scène, voir comment ça réagit. Ce fut un plaisir ; le public a été réceptif. Que du bonheur!
(Lyre le Temps ft. Art District, Swing machine)
Sensation Rock – Comment définissez-vous le son de Freez ? Quelles sont vos influences ?
Mr. E – On le qualifie parfois de Cosmic groove poetry.
Arthur – Il y a effectivement pas mal d’influences, notamment de l’abstract hip hop, comme le fait de sampler des choses un peu bizarres. Octave et moi, nous avons aussi beaucoup d’influences qui viennent de notre formation jazz et nous essayons d’amener des polyrythmies, qui sont d’habitude réservées à une sorte d’élite. Nous voulons rendre ça accessible et dansant.
Octave – Tout en gardant une part d’improvisation aussi.
Sensation Rock – Vous êtes très occupés avec vos multiples side projects. Comment faites-vous pour conjuguer tant de choses menées de front ?
Mr. E – Il faut caler les moments pour être ensemble et pour travailler (…). Là, on est en période de création, c’est un moment important. Et en même temps, on tourne cet été. En juillet, on a pas mal de dates.
Arthur – En général, ça se passe en deux temps. Au moment de la compo, ça va plus se passer à distance. Habitant à Paris, je vais leur envoyer des idées et ils vont me répondre depuis chez eux. Pour ce qui est de la scène, on va se retrouver quatre/cinq jours et vraiment bosser à fond. On n’aura pas une répét toutes les semaines, mais on essaie de prévoir à l’avance, de trouver des moments pour travailler. A côté de ça, on fait aussi d’autres projets ; on jongle un peu. On se débrouille comme on peut.
Jaimelesfestivals – Mr. E, comment un natif du pays où a vu le jour le hip hop perçoit-il des rappeurs français comme Lorenzo, Nekfeu ou Vald que l’on entend actuellement sur la Grande Scène ?
Mr. E – J’ai commencé par écouter Public Enemy et plein d’autres choses à cette époque. J’aime bien le rap vénère mais pour moi, il faut vraiment une motivation pour l’être : si quelqu’un n’a pas dit bonjour, c’est pas une raison pour être aussi vénère. (Rires). Je peux apprécier le rap français toutefois, il me gave à être tout le temps trop en colère. Cela ne te fait pas aller plus loin. (…) Casey, elle est vénère mais elle est crédible. J’aime bien des trucs recherchés, comme Oxmo, … mais ce n’est pas ce que je préfère.
(Casey, Apprends à t’taire)
Jaimelesfestivals – Tu vas pas forcément aller vers des Booba, …
Mr. E – Tout cela m’intéresse assez peu. Je cite Booba parfois, il s’appelle Élie comme moi. « J’arrive sur la piste… » … C’est pas ce que j’apprécie dans le rap français, ou dans le rap tout court. Auto Tune me gave. (…) Je pense qu’il y a des vraies raisons d’être vénères : les Syriens, ils sont vénères. Les Cubains sont vénères. Les Coréens du Nord peuvent être vénères, mais ne peuvent pas le montrer. Mais un blanc-bec français si vénère, … je ne sais pas. (…)
Sensation Rock – Plutôt le rap politisé?
Mr. E – J’adore ça. Après, si ce n’est pas politisé, c’est pas un problème. On peut s’amuser avec la musique, avec le rap. Mais soit on parle de quelque chose de très personnelle, soit on cherche des trucs universels. C’est comme ça que je conçois mon boulot d’écrivain, de MC.
Sensation Rock – Et tu écoutes aussi du rock à côté du rap ?
Mr. E – Absolument. J’écoute plus d’autres styles que du hip hop: du rock, du jazz, des musiques d’ailleurs, d’ailleurs.
Sensation Rock – Vous êtes issus de la scène artistique de Strasbourg. Quels sont ses atouts ?
Mr. E – Tout le monde se connaît. Il y a du lien, des échanges.
Arthur – Strasbourg c’est une sorte d’émulsion qui se crée, parce qu’il y a un noyau de musiciens avec plein de projets consanguins. Je pense que l’on a la chance pour une ville de cette taille, pas forcément énorme, d’avoir pas mal d’endroits pour présenter ce que l’on fait musicalement. Des jams sessions, des petits clubs, …il y a toujours eu des endroits pour jouer, ce qui est indispensable quand tu montes un projet et que tu as envie de le montrer au public.
Mr. E – Et dans tous les styles. De l’électro qui défonce à Strasbourg, du rock, du jazz, du hip hop, des musiques du monde. (…)
Arthur – Par exemple, il y a Jacques (qui clôturera cette première soirée, NDLR). On avait un groupe ensemble qui s’appelait The Rural Serial Killers, un mélange de rock et de funk. C’était des chansons avec des thèmes assez politiques : Sex, Rockstar de Woodstock, … On s’amusait bien ; on a grandi un peu ensemble.
Sensation Rock – Du coup, tu vas assister à son concert ce soir ?
Arthur – Ouais, je vais le retrouver un peu plus tard. Vu qu’il est occupé, je ne le vois plus trop. On va en profiter.
Sensation Rock – Hormis vos side projects respectifs, de quelles formations strasbourgeoises vous sentez-vous proches ?
Mr. E – Dirty Deep.
(Dirty Deep, How I ride)
Arthur – J’ai un réel coup de cœur pour le groupe d’un copain qui a monté son projet, qui s’appelle T/O, c’est vraiment génial. Le meilleur truc qui soit sorti de Strasbourg depuis un moment. Je conseille à tout le monde d’aller écouter. Il sort bientôt un album. On a étudié ensemble le jazz au conservatoire et c’est un projet que je trouve vraiment incroyable. (Mr. E. note sur mon calepin le nom du groupe).
https://www.youtube.com/watch?v=pQCk4pTJ7GA&feature=youtu.be
(T/O, White eyes, Black signs; Ccollectivee, U first)
Mr. E – Même s’ils ne jouent plus trop, les Electrik GEM (Grand Ensemble de la Méditerranée). Ils sont 13 et chantent dans toutes les langues, ça envoie du pâté.
(Electrik GEM, Alla mia Nazione)
Jaimelesfestivals – Arthur et Octave, vous qui avez eu une formation jazz, quel est votre regard sur un rap à la Vald, PNL et Lorenzo, remplissant des scènes de 20 à 25 000 personnes, chanté en français et où l’on comprend toutes les paroles ?
Mr. E – Il faudrait peut-être mieux ne pas tout comprendre. (rires)
Arthur – Entre le jazz, le hip hop et les musiques afro américaines, il y avait toujours en commun une revendication et une attitude. Pour moi, le hip hop c’est un mélange d’attitude et de contenu, de jeu sur les mots dans les textes. Maintenant, je perds parfois un peu le contenu. Il y a beaucoup d’attitudes, c’est bien parce que c’est très communicatif, mais il manque l’audace dans les jeux de mots, dans les thèmes, … C’est surtout des gimmicks, je respecte ça à fond : trouver le gimmick, la phrase qui te reste dans la tête. Je retrouve davantage tout cela chez des Américains, comme Kendrick Lamar: une putain d’attitude et derrière il y a du sens, voire trois/quatre autres sens, comme des couches différentes.
(Kendrick Lamar, A.D.H.D. )
Octave – Par rapport au son, je trouve que c’est toujours un peu pareil et je pense que c’est un problème. Je suis assez attentif à la musique des groupes. Avec Miles Davis ou les formations de jazz de l’époque, t’écoutes cinq secondes, tu as tout de suite un son. Maintenant dans le hip hop, et surtout en France, pour moi qui ne suis pas fan de ça, tous les groupes sonnent pratiquement pareil. Ça pourrait être n’importe quel mec qui fait n’importe quel truc. Ça m’intéresse de faire du hip hop tout de même, tout en gardant une signature. Du coup, on ne fait pas des scènes de 20 000 personnes pour l’instant…
Sensation Rock – Sur deux titres visibles sur le net (Keep tickin’ et Flamin’ goes), vous êtes dans une configuration élargie avec une flûte traversière, une basse, un trombone. Est-ce que Freez est voué à s’agrandir ?
Mr. E – On essaie d’expérimenter pas mal de trucs, on voulait chercher des sons, inclure des musiciens que l’on kiffe. On n’a pas vocation à s’agrandir tout de suite.
Arthur – On aime bien avoir des invités, pouvoir élargir avec d’autres instruments et en même temps aujourd’hui, quand tu es un groupe en développement, plus il y a de musiciens, plus le coût de plateau est cher et moins de gens vont accepter. Un de nos arguments à la base : on est trois, on peut facilement se déplacer avec notre matos, … Si les moyens arrivent, que des gens veulent poser un peu d’argent, je serai heureux d’avoir un bassiste, une section de cuivres, etc. Je ne ferme aucune porte de ce côté-là.
https://www.youtube.com/watch?v=-vVIUDyRZ2k
(Freez, Flamin’ goes)
Sensation Rock – Après Décibulles et au-delà des dates estivales, quelle est la suite pour Freez?
Arthur – Un premier EP à la fin de l’automne et un album au printemps.
Octave – Un clip aussi.
Mr. E – Toute l’actu est sur freeztheband.com.
Sensation Rock – Vous avez participé au Prix Ricard Live Music 2017. Pourquoi et quelles étaient vos attentes ?
Arthur – Pourquoi pas ? Nous sommes entourés par une équipe, nous ne sommes pas que trois. Il y a des gens qui nous soutiennent et aujourd’hui c’est stupide d’ignorer tous les moyens qu’il y a pour développer un projet, quelque soient les dispositifs qui permettent d’obtenir des aides. Nous avons pu faire une super vidéo avec une équipe de pros et d’avoir de la visibilité en faisant entendre notre projet à un jury.
Mr. E – L’accompagnement est très important : l’équipe des gens cachés, tous les soutiens que l’on a, que ce soit dans la pépinière de Django (Espace Django Reinhardt à Strasbourg, NDLR) ou ailleurs, …
(Freez, Iceberg)
Sensation Rock – Comme tu chantes en anglais, y a-t-il des envies d’exporter Freez à l’étranger ?
Mr. E – C’est clair. En étant basé à Strasbourg, jouer Outre-Rhin semble très logique. Et je rêve de jouer aux States.
Arthur – C’est un peu à double tranchant. Quand tu fais de la musique en France et que tu chantes en anglais, tu es tout de suite comparé à ce qui vient des Etats-Unis. On aimerait bien jouer là-bas, mais du coup il faut que l’on puisse rivaliser avec des grosses pointures.
Sensation Rock – Merci pour votre temps. Vous avez le mot de la fin.
Mr. E – C’est un plaisir de faire ce que l’on fait. (…) Quand les gens kiffent ce que tu fais, c’est du bonheur.
Arthur – Merci.
Octave – Freez !
Merci beaucoup à Freez pour le temps accordé et belle continuation !
-Retranscription : Benoît GILBERT
Crédit photo : Benoît GILBERT