Alors que la tournée fleuve, débutée en octobre 2016, n’en a pas fini avec la célébration des 20 ans de la naissance du groupe, Placebo était à Nîmes le 18 juillet dernier.
Jouer aux arènes de Nîmes le lendemain des Scorpions, la veille de Christophe Maé, après avoir écumé les plus grandes salles d’Europe relève déjà du travail de force. Si l’on ajoute les grands festivals d’été puis le changement de continent prévu (le groupe se produira en Australie tout le mois de septembre) même avec un break de 2 mois et demi, c’est une tournée gigantesque qui s’est mise en place.
On en vient à se demander en arrivant pour la balance et en entendant la boucle de Pure Morning retentir au travers des gradins de pierres millénaires si ce déluge de dates (jusqu’à une vingtaine certains mois), ne va pas nous faire assister à une sorte de produit bien usiné, un show si huilé qu’il glisse sur tout et tous…
Pour l’heure, la boucle de Pure Morning tourne non-stop pour un premier « check-sound » pendant que les roadies, les assistants et les ingé sons finissent l’installation d’une montagne de racks, pédaliers, machines en tout genre, de guitares en veux-tu en voilà, de claviers cachés ou pas, d’un violon… Une débauche de matériel et d’humains bien loin des premiers concerts « à la punk » des années Ashtray Heart (premier projet des sieurs Molko et Olsdal) ou du premier Nancy boys du fraîchement créé Placebo en 1995…
En toute fin d’après-midi, étonnamment, ce n’est pas la cohue attendue devant l’entrée du public. Les quelques aficionados du « je suis collé à la barrière de la fosse » sont une poignée et auront sans difficulté la place convoitée. Un peu plus tard dans les arènes, alors que Talisco arrive sur scène en ouverture avec ses 2 musiciens, le public est encore très clairsemé.
Ce public justement que d’aucun ont trouvé trop statique ou même froid pendant la soirée, nous a plutôt semblé concentré, heureux de retrouver des sensations de jeunesse. Car oui, vingt ans sont passés depuis les premiers émois sur les mots acidulés à l’instar de la voix de Brian Molko. Le public qui s’installe se situe plus sûrement entre quadras et quinquas, au plaisir non dissimulé mais discret que dans la jeunesse fofolle et trépidante d’antan. C’est aussi bien comme cela d’ailleurs. Petit à petit, avec la descente du soleil et la joyeuse fougue du trio sur scène, les arènes finissent par être bien remplies.
Le changement de plateau est assez rapide après la sortie de Talisco qui n’a pas démérité et réussi à embarquer une bonne partie du public avec son électro folk enlevé et enjoué.
Le plateau prêt, Placebo tarde un peu mais le public est stoïque et ne bronche pas. En revanche, il fait entendre sa joie lorsque démarre l’intro du concert qui, comme dans la plupart de cette tournée sera la version « early cuts » du vidéo-clip d’Every you Every me. Il permet au public de se mettre dans l’ambiance et d’accueillir comme il se doit ceux qui vont investir la scène.
C’est presque en catimini que le groupe s’installe hormis les deux rescapés de la bande initiale, Stefan Olsdal et Brian Molko qui entrent les derniers sous les acclamations du public heureux de les retrouver. Le public attend surtout les morceaux phares promis par la com du groupe pour cette tournée retraçant sa double décennie : aux tubes incontournables pour les fans de la première heure comme ceux de la deuxième et celles d’après d’ailleurs… Le teaser alléchant du concert anniversaire a fait le job et tenu les spectateurs en haleine.
Sur scène justement, les premières notes de Pure Morning résonnent. On l’avait déjà entendu pour la balance car c’est le crash test son de cette tournée et son opening depuis octobre. Il se dit pourtant qu’il a été choisi comme message d’amitié pour les fans… Quoiqu’il en soit, on retrouve les 4 musiciens additionnels en plus d’Olsdal et Molko qui forment le groupe sur scène depuis la tournée de Battle for the sun.
A part Matt Lunn qui n’est derrière la batterie que depuis 2015, c’est William Lloyd (ami fidèle et ancien homme à tout faire de Placebo depuis les années 90) et Nick Gavrilovic à la basse, aux guitares et claviers additionnels. Aux chœurs, claviers et violon électrique : Fiona Brice qui était déjà créditée des arrangements de cordes sur l’album de 2009.
Dès la fin de ce premier morceau, Brian Molko s’adresse au public, lui souhaitant la bienvenue et le remerciant d’avoir eu envie de partager ce moment absolument unique dans ce lieu d’exception. Ce seront les seules phrases dites pendant tout le concert si ce ne sont celles d’ « au revoir et merci » ou, moins prévues, celles congratulant le public pour sa patience pendant l’attente lors d’un incident technique.
Alors que déjà les morceaux s’enchaînent, Loud like Love, Jesus’s son, on ne peut qu’être satisfait de la qualité sonore qui nous est proposée. Très fort mais très bon. Le matos est lourd mais il n’est pas là pour rien. Les fourmis derrière le groupe non plus… Depuis de nombreuses années, les bruits circulent que le groupe fait jouer des musiciens additionnels cachés derrière la scène… Cela faisait partie des critiques et des jugements négatifs d’une certaine presse et d’une partie du public rock d’ailleurs. En regardant bien la scène cette fois, on découvre relégués dans les extrémités de celle-ci, d’autres protagonistes, qui derrière un clavier ou des machines, qui avec une guitare… Pas nommés, comme aucune des personnes sur scène ou aux manettes d’ailleurs, mais pas complètement planqués.
Tant de monde qui joue et qui bosse pour faire avancer le bouzin, forcément, dans les façades, ça envoie du lourd et du bon.
Un big up donc pour les musiciens et les ingés son car il faut une sacré dextérité pour ne pas faire de cette tempête sonore une bouillie immonde…. Un big up aussi aux 3 ou 4 personnes derrière Molko dont un qui lui tend une guitare prête et réaccordée entre chaque morceau, celui qui désemmêle le fil du jack à chaque mouvement, celui qui répare le matos en live, celui qui se rue dans la foule lorsqu’un laser vient chatouiller son nez, qui plaque rudement une fille encore surement jeune pour avoir l’idée saugrenue de tenter de passer la barrière de sécurité entre le public et le groupe… Même chose d’ailleurs derrière chaque musicien… au moins un assistant personnel qui permet à cette grosse machine de bien rouler… de rock’n’roller même.
D’ailleurs la set list s’égrène et la communion opère…
Emmené par son désormais duo géniteur, Placebo devient un paquebot qui tangue et fait balancer ses passagers latéralement, d’abord doucement, en eaux calmes, Soulmates, Special needs, Lazarus puis de manière plus viscérale : I know, Space Monkeys, petit à petit les cœurs se serrent, la gorge aussi et l’émotion arrive. Accrochés au bastingage certains sont submergés, d’autres résistent mais les yeux fermés ou les mains levées montrent qu’ils ont été attrapés eux aussi. Le point d’orgue de cette partie sera le magistral Without you I’m nothing, hommage appuyé à David Bowie, qui avait chanté ce titre au côté de Molko et avait été un des premiers à donner sa chance au groupe en les embarquant en première partie d’une de ses tournées. Sur l’écran géant derrière le groupe, des images de ce génie trop tôt disparu et la voix poignante d’émotion de Brian Molko. Un moment rare, beau et douloureux qui finira pourtant en queue de poisson car une des pédales de Molko l’empêchera de jouer l’accord final. Amusé plus qu’agacé, il se tourne vers le groupe les bras en l’air pour lui signifier qu’il doit finir le morceau sans lui. En un regard c’est chose faite… Belle complicité et réaction immédiate et parfaite des musiciens avec qui sait, peut-être bien un petit clin d’œil de Bowie en live !
Rien de tel qu’un vieux 36 degrees remis au goût du jour pour repartir sur des chemins moins sensibles même si Lady of flowers nous ramènera un peu du côté du romantisme bigarré façon Placebo. For what it’s worth, Special K, Song to say goodbye et l’incontournable The Bitter end finiront ce set de 21 morceaux. Tous les musiciens sur scène disparaissent en deux secondes.
« Merci, bonsoir » dira laconiquement Brian Molko en donnant de gros coups de plat de la main sur sa guitare avant de la poser sur un stand devant un ampli afin que le larsen soutienne son départ. Bien sûr, personne n’est dupe, on sait bien qu’ils vont revenir… « Hein ? Ils vont bien revenir ? » se demandent quelques spectateurs inquiets…
Mais oui, comme pour de nombreuses dates depuis le début de la tournée, ils font le même set, les mêmes rappels… Une routine que le groupe a bon ton de ne pas faire ressentir, une émotion à renouveler chaque soir pour la délivrer sur scène et donner au public le moyen de l’éprouver…
Les téléphones s’allument partout dans les arènes de Nîmes… La loi Evin est passée par là, la technologie portable aussi qui a remplacée les briquets d’antan… D’une pluie de feu on passe à une pluie d’étoiles électriques… C’est beau aussi…
Le groupe revient et entame Teenage angst, premier des 3 morceaux du premier rappel.
Pour Nancy boys, Stefan Olsdal récupère sa vieille basse aux couleurs arc-en-ciel et la porte au-dessus de sa tête comme une bannière… Infra red suit. Les musiciens, Olsdal en tête feront taper dans les mains les spectateurs pendant le break qui finira en apothéose sur l’image d’un paquet de Marlboro sur lequel est incrusté l’image de la tête du président Trump au-dessus de l’avertissement «Seriously harms you and other around you » (nuit gravement à votre santé ainsi qu’à celle de votre entourage).
Comme pour leur premier départ, Molko cette fois accompagné de son compère de toujours laisseront tourner en écho infini un accord de leurs guitares avant de partir. C’est sur cette boucle improvisée que le public va commencer à taper dans les mains et à appeler le groupe à revenir une nouvelle fois.
Tout à fait en rythme, les mains claquent pour le retour de Placebo… Impressionnant. Stefan Olsdal revient le premier et se mêle à la foule en claquant des mains en rythme lui aussi. Brian Molko suit de peu muni d’une caméra, filmant le public des arènes pour sa plus grande joie comprenant illico que cet intérêt non dissimulé du frontliner est une vraie rareté. Il apprécie à sa juste valeur.
Le public se rassoit aux premières notes de la fameuse reprise de Kate Bush : Running up that hill, dans un recueillement quasi transcendantal, conscient que la fin est proche, il se rend. A la fin du morceau, K.O, il ne réagit plus au départ définitif de ses idoles, cette dernière banderille l’a achevé. Il reste seul au milieu des arènes. Le combat qui a duré plus de 2 heures 15 l’a vidé jusqu’à le rendre exsangue. Il n’a pas mal, il est allé au bout. Le son du dernier cri résonne encore dans ses oreilles… La dernière corde grattée tourne toujours… Soudain la lumière l’inonde. C’est vraiment fini. Il est sorti des arènes respectueusement mais sûrement. Pour l’accompagner une petite merveille dans la sono : un cover de Pure Morning (encore lui) par Benjamin Francis Leftwitch introuvable en France pour le moment… Il apprécie dans un dernier soupir.
Quelle belle soirée d’été et quelle maestria. Les six visibles et la dizaine au moins derrière ont bien bossé. Certes les puristes pour ne pas dire culs serrés cracheront sur le fait que le punk et le « do it yourself » (fais le toi-même) sont loin et que la musique de Placebo a besoin d’une grosse machine pour exister sur scène… Mais 20 ans sont passés et ni les moyens du groupe, ni la technologie ne sont les mêmes. Les sales gosses d’autrefois ont le mérite d’avoir su continuer à enchanter de nouvelles générations sans (trop) se pervertir aux grés des cachets de plus en plus astronomiques et de l’âge avançant.
Ce qui aurait été plus embêtant c’est que la débandade de la tournée de Meds et le désintérêt du groupe sur scène pour ce qu’il était en train de faire ait encore été de mise, mais en ce 18 juillet aux arènes de Nîmes, le public a pu repartir heureux de sa bonne soirée espérant surement en revivre d’autres aussi bonnes.
- Bérénice