Vendredi 14 juillet, jour de fête nationale. Mais en 2017, c’est également le début des festivités dans la Vallée de Villé : pour sa 24e édition, le Festival Décibulles résonne au cœur des Vosges. Bon élève, j’arrive bien avant le premier concert annoncé à 16h30, histoire de prendre mes repères. Je constate d’emblée que faire les Décibulles, ça se mérite. L’entrée se situe sur une pâture, baptisée « Le Chena », en haut d’une penche redoutable. Bref, le soleil alsacien étant bien au rendez-vous, le premier passage du seuil se fait avec une certaine peine. Ça commence fort.
A l’heure dite, les Strasbourgeois de Freez ouvrent le festival avec Look around. C’est là un trio qui se présente à un public encore diffus, mais prompt à assister à un maximum de spectacles. Le groupe offre un set de très bonne facture, trempé dans un univers mêlant jazz et hip hop, avec des notes parfois orientales, à travers la trompette d’Octave Moritz. A ses côtés et en marge de boucles musicales, Arthur Vonfelt propose un jeu très polyvalent derrière ses fûts, tandis que le chant est assuré par MC Mr. E, dont le flow généreux et efficace – comme sur l’excellent titre Iceberg – tend parfois vers des déclamations poétiques. Le show se termine avec The day the laughter died, un morceau très rythmé qui séduit une foule balançant ses bras au rythme imposé par le frontman d’origine étatsunienne. Bref, le festival démarre sous les meilleurs auspices.
Sis sous une tonnelle dévolue aux « Arts de Rue & Impromptus musicaux », Ropoporose reprend la main. Mais quid de cette formation? Ni plus ni moins qu’une fratrie réunissant à la batterie un frère et à la gratte ainsi qu’au chant sa sœur. Et ça dépote. À l’ombre des arbres, ce duo balance ses mélodies estampillées « bubble rock » à un parterre plutôt réceptif. La prestation est courte ( 20 minutes concédées ) mais je ne m’attarde pas : annoncé également en soirée, je prendrai le temps de l’apprécier cette fois-ci. En effet, durant le changement de plateaux afin d’accueillir Vald – autre personnalité, autre ambiance, autre politesse et finesse des mots (!) – je retrouve Freez afin de les interviewer. Alors que ledit rappeur déboule sur scène avec son armada, nous sommes contraints à un repli en direction des loges. Voilà voilà. Au-delà de cette gêne sonore et langagière – et ce n’est rien de le dire – l’entrevue se déroule tout de même dans la bonne humeur. Quant à l’artiste qui tient le haut de la pâture – et qui a longuement regardé ses pieds (il a peut-être marché dans une bouse ? Nous sommes effectivement à la campagne, de surcroît sur « le plancher des vaches »), beaucoup de signes lui ont déjà été consacrés… penchons-nous sur la suite du festival.
À 20H20, et face à un public au complet, la scène est envahie par la multitude d’Un Air Deux Familles, à savoir la détonante réunion des Ogres de Barback et Des Hurlements d’Léo. À un rythme effréné, cette véritable fanfare, comptant accordéon, violons, cuivres, guitares et batterie et emmenée par Fredo, interprète des titres ultra festifs sur des airs populaires, de java mais également des morceaux plus punks, voire empruntés à la Mano Negra (La ventura), à Mano Solo (C’est pas du gâteau) ou le final avec Salut à toi des Béru.
La nuit est désormais tombée sur les Vosges et Ropoporose est de nouveau en place. Soutenus par une batterie dynamique, les riffs proposés par cette doublette, sont souvent dissonants et renvoient aussi à des thèmes ludiques, de jeux vidéo, voire japonisants. L’excellent et jubilatoire titre B 55 frôle la frénésie. Bref, ces deux-là tiennent vraiment une recette remarquable qui justifie leur présence ici (et de souvenir, au Festival Génériq en février dernier). Ce que je ne sais pas encore, c’est qu’ils seront encore là demain, mais dans une autre configuration. To be continued …
Alors que la température redescend progressivement, Naâman, le « petit prodigue du reggae » comme certains le nomment, vient réchauffer Neuve-Église. Et étonnamment, ce génie est un jeune blondin français, dépourvu de dreadlocks ouvrant son set avec la dynamique Resistance. Un iconoclaste ? Peut être pas tant que ça. Il faut rendre à César ce qui appartient à César et à Naâman son flow bluffant et sa capacité de chanter dans un patois jamaïcain, une gageure de premier choix pour les rastafaris pur sucre. Ce spectacle séduit une foule plutôt jeune, qui apprécie les chansons des deux albums avant de se pâmer lorsque résonnent les premières notes de Skanking shoes, le titre phare de l’artiste.
Une demi-heure nous sépare de Wax Tailor. Un rafraîchissement en main, je fais une halte à la petite scène. On m’avait vendu du rêve sur le programme du festival à cette heure-ci : « pop délurée ». Holy Chips doit donc être à la hauteur de cette étiquette aguicheuse. Il y a là trois hommes pourvu de barbe, de chemise canadienne (pour le côté déluré, je repasserai…) qui s’affairent sous la tonnelle. Basse, guitare et clavier/machines sont les mamelles de la formation qui évolue avec de sympathiques sons electro pop acidulés.
Vient ensuite le tour de Wax Tailor. Le DJ français offre un spectacle qui secoue les festivaliers durant plus d’une heure, alternant hip hop survolté avec l’aide de rappeurs et de scratchs, mais aussi beaucoup de sensualité grâce aux voix de Charlotte Savary ou d’IDIL lors des titres downtempo. Ce soir à Décibulles, il s’agit d’un live et non d’un simple set. Afin d’agrémenter sa musique electro marquée par des samples et des beats nombreux, l’homme au petit chapeau vissé sur la tête est très bien entouré de musiciens (à ses côtés, il y a un guitariste, un batteur, un violoncelliste et même une flûtiste visiblement enceinte, … ) qui donnent davantage d’âme et de chaleur à la prestation servie. Jusqu’au terme, le producteur est bien décidé à remuer le public réuni ici, notamment grâce à des titres imparables comme Que sera.
Hilgege prend d’assaut la mini-scène du festival. Il ne s’agit pas là de l’extraterrestre autrichienne de Salut les Musclés, mais côté barré on s’en rapproche fortement. Avec les moyens du bord (des machines, des pads et une frêle batterie), ce trio peinturluré bouscule les festivaliers avec son « Gabber house hardcore », c’est-à-dire une sauvagerie électronique, saturée et dépourvue de toute mélodie. Eloignés de la tonnelle afin d’être totalement encerclés par la foule convertie en d’explosifs headbangers, il est difficile de les approcher. Afin de distinguer quelque chose, voir(e) quelqu’un, je monte sur la modeste estrade de la scène. Le son est tellement fort qu’ici tout tremble. Heureusement que les enceintes de la sonorisation sont sanglées, sans quoi …
Ce vendredi se referme avec Jacques, autre artiste alsacien. Pendant une heure, il frotte, tape, gratte tous les objets du quotidien qui l’entourent (opercule, scotch, brosse, … ), entame un frêle motif à la guitare, susurre, etc. Bref, l’homme à la coupe de cheveu improbable expérimente et crée progressivement des boucles qui jalonnent son set. Autour de son installation, flottent au gré du vent qui s’est clairement levé des étendards revisités. Je m’éclipse avant la fin en redescendant cette côte mémorable. Demain, il faut à nouveau la « gravir », et sous le cagnard s’il vous plaît !
-Benoît GILBERT
-Crédit photo : Benoît GILBERT