“Je parlais à Lou Reed l’autre jour et il me disait que le premier album des Velvet Underground n’a été vendu qu’à 30 000 exemplaires dans ses cinq premières années. Je pense que chacun de ceux qui ont acheté une de ces 30 000 copies a fondé un groupe !” Ce propos de Brian Eno rapporté par le magazine Musician en octobre 1982 semble toujours pertinent aujourd’hui. 50 ans après la sortie du veau d’or qu’est le « Banana album » (The Velvet Underground and Nico), The Black Angels intitulent leur 6e opus Death song, référence explicite au titre The black angel’s death song. La boucle semble désormais bouclée. Et pourtant, ces idolâtres de Lou Reed et consorts proposent une galette bien plus digeste, équilibrée et plus rythmée de ses prédécesseresses. Moins hallucinatoire également, mais bien loin d’être un chant du cygne.
Sous une peau de rock et de pop…
Ce qui marque dès la première écoute, c’est la distance avec les albums passés. Ce n’est pas la tabula rasa discographique, mais Death song est nettement en rupture avec Indigo meadow (2013), opuscule ancré dans un revival 60’s. Des titres comme Currency, Comanche moon ou Hunt me down sont davantage enracinés dans le rock nerveux (tels Wolfmother ou BRMC) que certaines élucubrations interminables des précédents disques. Pêchus, brutaux et présentant un format résolument plus court (le titre le plus long demeure la ballade finale Life song avec ses 6 minutes 30 secondes), ces morceaux retentissent tels des marteaux pilons, grâce à des riffs massues portés par des distorsions hargneuses et la batterie explosive tenue de Stephanie Bailey (le final diluvien de Comanche moon). La bande d’Alex Maas semble emprunter le virage amorcé par les Dandy Warhols en leur temps : composer des titres plus « main stream », plus audibles, voire dansants. Preuve en est, I’d kill for her ou l’excellent Medicine sonnent vraiment comme le quatuor bohème de Portland. C’est Anton Newcombe qui va encore faire grise mise !
Côté subtilité, le groupe distille également une pop sombre. Ainsi sur Half believing, le refrain gagne en émotion et en solennité grâce à une mélodie léchée. Cette option est reprise ici et là et connaît un point d’orgue avec la triste Life song. Cette lente ballade propose un caractère fragile, quasi-déstructuré, garanti avec l’arrivée d’un clavier reproduisant des chœurs essoufflés et fait étonnement penser à Air (oui oui, le groupe qui a pondu Sexy boy). Finesse toujours : les deux derniers morceaux sont à la fois antinomiques (Death march et Life song) et porteurs des deux termes formant le titre du disque ; agilité stylistique quand tu nous tient…
A noter par ailleurs que sur cet album le primat de la guitare planante n’est plus. Torrentielle aux endroits précités, elle devient tantôt élégante, tantôt désespérée (Life song), indéfiniment résonnante et aigue (thème principal d’Estimate), voire triturée (Grab as much (as you can), I dreamt), mais elle cède à plus d’un titre sa place au profit du couple basse-batterie. Ouvrant Hunt me down, Grab as much (as you can) ou encore Death march, cette section rythmique fait mouche notamment grâce à sa mise en valeur lors du mixage. Du bel ouvrage.
… se découvre un fruit psychédélique élaboré.
Que seraient The Black Angels sans le psyché et tout son barnum ? No comment. Cette empreinte sonore reste inhérente à la formation d’Austin et parcourt cet album remuant. Ainsi, les nappes de claviers ou d’orgues répondent toujours présentes à l’appel (Half believing, Estimate, Life song) tout comme la drone machine bourdonnante et affolée qui plane au-dessus de ce LP, sans jamais vraiment être trop visible (Comanche moon, I dreamt). Les échos en direction de formations enclines au genre sont nombreux. BJM transpire à travers l’arpège délicat d’Half believing ou plus encore avec la western Estimate et son thème musical obstiné, capable d’illustrer un duel au suspens entier sous un soleil accablant.
L’influence de Pink Floyd – déjà saisissable sur Mission district, in Direction to see a ghost, 2008 ou Sunday afternoon, in Phosphene Dream, 2010 – est aussi indéniable. Ici, au moins 3 titres tiennent du Floyd, période Syd Barrett (Grab as much (as you can), Estimate) ou plus tardif, avec la dissonante I Dreamt qui rejoue brièvement les dispensables simulacres de corbeaux d’Echoes (1971).
Enfin, le caractère planant de la musique des Texans est aussi conditionné par le chant tout en relief d’Alex Maas. Au-delà des nombreuses vocalises (Hunt me down), des chœurs chiadés (Medicine), sa voix aigue apparaît comme un d’entre-deux masculin aux accents féminins – on pense à Nico pour certaines intonations notamment sur I dreamt ou Estimate – parfois fragile et claire (le refrain d’Half believing, Life song) et souvent trafiquée (Comanche moon).
Jusqu’alors enferrés dans un rock psychédélique quasi-originel, The Black Angels ont su dépasser un cap. A travers cet album agrégatif, le quintet ajoute du sang neuf dans sa discographie aux titres de bonne facture, mais aux contours consanguins. Ici, des mélodies variées, efficaces au cœur de chansons au format plus court sont révélatrices d’une mue artistique plus précoce et moins brouillonne que celle de leurs grands frères du Brian Jonestown Massacre, autre groupe toujours pas sevré du cocktail expérimental produit par les protégés d’Andy Warhol en 1967.
- Benoît GILBERT
Artiste : THE BLACK ANGELS
Album : Death song
Label/distribution : Partisan Records
Date de sortie : 21/04/2017
Genre : rock psychédélique
Catégorie : Album rock