Mardi soir, Strasbourg. Une nouvelle fois, de nombreux Allemands ont traversé le Rhin afin de se décrasser les oreilles dans la capitale alsacienne. Sur le chemin qui mène à la Laiterie, l’un d’entre eux me salue et nous commençons à tailler la bavette. Visiblement, c’est un aficionado des artistes à l’affiche. Honte à moi, je ne les connais pas encore. Mea culpa ultima. Nous nous quittons à l’entrée du hall. Première impression : ambiance bon enfant et barbe fournie exigées dans le Club.
Quelques minutes me séparent du début de la première partie, Scorpion Child. J’en profite donc pour me renseigner sur le groupe. Les programmateurs de la salle ont titré « Ceux qui arriveront tard auront tort ». Oui messieurs-dames les retardataires, vous avez raté quelque chose de sensationnel, car ces 5 Américains ont sorti le grand jeu pendant 40 minutes.
Prenant place modestement, la formation d’Austin attaque bille en tête : un organe hurle avant le déluge de sons féroces. Les riffs des guitares sont bruts et gorgés de fuzz. Mais, que vois-je derrière AJ Vincent, l’organiste … une cabine Leslie ! Je comprends pourquoi le son tournoie autant dans cette petite salle. Ces Texans ont vampirisé le meilleur du heavy : une anthologie nous cure les tympans, allant de Led Zeppelin, avec des vitamines en sus, à Deep Purple, en passant par du Pentagram pour les passages les plus lourd. Plus proche, l’urgence des chansons fait également écho à At The Drive-In. D’ailleurs, bon nombre d’intonations du chanteur Aryn Jonathan Black flirtent avec les chanteurs des précédentes formations citées (la sensualité d’un Plant ou l’explosivité de Cedric Bixler-Zavala à titre d’exemple)
Cette première partie ne manque pas de panache, ni d’allure d’ailleurs. Des instrus vintage, des vêtements semblables (boots usées jusqu’à la corde et une veste à frange pour le frontman) auxquels s’ajoutent des lancers de micro et des déhanchés à subjuguer une spectatrice du premier rang.
Côté setlist, Scorpion Child a réussi le tour de force de communier avec un public captivé grâce à des chansons taillées pour la scène. Défendant le dernier opus avec des titres tels que She sings, I kill ou Blind man’s shine (dont le riff principal sonne terriblement comme Young Lust de Pink Floyd), c’est avec Polygon of eyes que l’ambiance est devenue électrique : une cavalcade impressionnante impulsée par le robuste couple basse-batterie (respectivement Alec Caballero Padron et Jon « the Charn » Rice) renforcée par une guitare planante alignant les notes à la chaîne.
Le show se termine avec I might be your man, final au cours duquel le groupe se fend d’un gros délire pysché et instrumental. Les coups de batterie pleuvent ; la guitare tenue de main de maître par Christopher Jay Cowart s’envole. Le clavier est martelé de façon aléatoire. Le chanteur est alors à genoux, le pied de micro dans la fosse. La transe a traversé la salle. Bref, beaucoup de fougue et de générosité. Amateurs de sons heavy metal façon 70’s, allez voir Scorpion Child. Grosse claque garantie !
Après ce show mené tambour battant, je profite du changement de plateau pour discuter avec le chanteur, pendant qu’il fait la promo du dernier né, Acid Roulette (2016). Très avenant, il enquille de suite la conversation. « T’as aimé le concert ? T’as pu prendre des photos ? etc. » Nous évoquons la Leslie, le riff très gilmourien de Blind man’s shine. Grand sourire de sa part. (…) Je finis par céder ma place à un autre, direction la salle. Uncle Acid ne devrait plus tarder.
Changement de décor. Passée la musique grandiloquente introduisant les 5 Britanniques sur scène, les spots s’éteignent, laissant place à des ambiances fluo et à une lumière noire inquiétante. Caché derrière ses longs cheveux raides, Uncle Acid !
Mt Abraxas ouvre le set avec des sons familiers. Uncle Acid & the Deadbeats ne fait pas dans la dentelle mais plutôt dans le monolithique, façon Black Sabbath. La sonorisation diffuse un son très fort et résolument cradingue. Les deux petites figurines sur l’arceau de la grosse caisse ont la bougeotte au gré des changements de rythme de cette première salve de 7 minutes !
La sensation d’être ramené plus de 40 ans en arrière est réelle : l’assistance est en pleine contemplation devant cette prestation épique. Sur l’ensemble des titres, les deux guitaristes (Kevin Starrs, le fameux Uncle Acid, et Yotam Rubinger) chantent à l’unisson. Le mélange de ces voix rappelle étrangement le timbre nasillard de Lennon. Quant à la déclamation souvent incantatoire et malsaine, on penche pour Alice Cooper.
Le groupe de Cambridge projette un mur de son, tapissé de fuzz old school et abrasive pour les oreilles. Les soli harmonisés font vaciller la fosse ; un ange passe. Non, il est barbu et porte un t-shirt de hard rock. Erreur sur la personne.
Le set oscille entre du heavy à la Black Sabbath (Mt Abraxas, Over & over again, Death door ; Tommy Iommi sort de ce corps !), du stoner hypnotique (Pusher man, Desert ceremony) et du doom (Waiting for blood). La puissance est le maître mot de la soirée : volume sonore excessif, batteur (Itamar Rubinger) martelant sans ménagement ses cymbales, soli majestueux, … Les morceaux s’étirent sur fond de paroles angoissantes.
Avant les rappels, la dernière chanson tranche radicalement avec le reste de la setlist. Slow death est lente, les delays sont à l’honneur, l’ambiance est feutrée, presque sensuelle. Même la batterie opère tout en douceur. Le chant est dépouillé, le solo lorgne progressivement vers le psychédélisme. La bande à Ozzy est à nouveau dans les têtes. Le morceau s’allonge, la tension monte jusqu’à son paroxysme.
La transe a atteint la Laiterie pour la seconde fois ce soir. Le bassiste des Scorpion Child est également dans la fosse, savourant le moment comme monsieur-tout-le-monde, une bière à la main.
Après 3 minutes de pause syndicale, les Britanniques réapparaissent et offrent un rappel de la même facture. Melody lane ravit le public. Le son gratte et résonne longuement, un savant mélange de heavy et de stoner. L’harmonie des voix et des guitares rappelle le thème musical d’un film noir. Le refrain est entêtant et m’accompagnera en voiture sur le chemin du retour ! Le stoner est à nouveau à l’honneur avec Desert ceremony ; la fosse secoue la tête comme un seul homme. Le show se termine avec Withered hand of evil. Jusqu’au bout Uncle Acid a distillé un son agressif et des riffs lourds.
Fin du concert, tout le monde semble conquis, les setlists sont chèrement obtenues. Les spectateurs s’attardent dans le corridor et échangent avec Scorpion Child. Photos, t-shirts, dédicaces, etc. Tout y passe. Un remarquable début de semaine !
Uncle Acid and the Deadbeats, la setlist :
Mt Abraxas
Waiting for blood
Mind crawler
Over & over again
Dead eyes of London
Deaths door
13 candles
Pusher man
I’ll cut you down
Slow death
Rappels
Melody lane
Desert ceremony
Withered hand of evil
- Benoît GILBERT
Crédits photos : Benoît GILBERT