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PEDRO PEÑAS ROBLES

A l’occasion de la sortie du dernier album, Chirurgie Plastique, de son projet Adan & Ilse, nous en avons profité pour interviewer Pedro Peñas Robles, activiste musical multitache également à la tête du label Unknown Pleasures Records.

*L’actualité*

Chirurgie Plastique. Ce titre engage à de multiples lectures, concernant le thème du post-humain, de l’éternelle jeunesse, des body-modifications… Mais cela sonne aussi très « new-wave » avec ce terme, « plastique ». Peux-tu nous parler de cette expression, de son choix dans ce projet précis ? La chirurgie, on peut également l’entendre comme chirurgie du son… Est-ce ainsi que tu te perçois, chirurgien sonore ?

Bonjour Clémence, à vrai dire je me considère pas du tout comme un « chirurgien du son », bon ok à la limite je veux bien qu’on me prenne pour une sorte de shaman chef d’orchestre un peu chelou qui essaye d’interagir chimiquement avec d’autres cerveaux humains (rires). Ceci dit et même si nous vivons une époque ou le trans-humanisme commence à faire des émules autant dans les Sciences que dans la Sociologie ou la Philosophie notre titre se réfère avant tout à cette étrange obsession de certains de nos contemporains de vouloir garder le plus longtemps possible l’apparence de la jeunesse et de la beauté (toute relative quand on voit le résultat sur certaines célébrités qui ont abusé du bistouri) avec comme but non avoué un fort désir d’immortalité. Comme tu l’évoques dans ta question le titre de notre album porte en lui une forte consonance « New Wave 80 » du fait que beaucoup de musiciens de cette époque utilisaient le mot « plastique » dans leurs chansons. C’est aussi une façon de définir mon registre vocal que je peux aussi bien faire monter dans les aigus façon Bronski Beat que descendre dans les graves façon Front 242. Mais je me réfère aussi aux « Arts Plastiques » car j’ai toujours considéré le matériau musical comme quelque chose de très malléable que l’ont pouvait modeler, transformer, moduler et sculpter, selon nos désirs et nos aspirations. Et pour finir n’oublions pas que la matière « plastique », ce composant issu du pétrole, a pris le pas depuis le vingtième siècle sur des matières plus nobles et il a fini par recouvrir la planète entière puisqu’on le trouve dans nos machines, nos voitures, nos mobiliers, nos maisons, sur notre corps et à l’intérieur de celui ci avec les prothèses etc.. Le plastique est finalement partout. Depuis une cinquantaine d’années nous sommes entrés dans « l’age de plastique » et nous finirons submergés par cette matière envahissante et ultra polluante.

Cet album signe l’arrêt du projet. La chirurgie va te permettre de renaître symboliquement vers d’autres horizons ?

Oui nous mettons Adan & Ilse en stand by pour une durée indéterminée, ce disque sera notre dernier album. J’avoue qu’ Usher et moi nous nous sommes épuisés ces quatre dernières années à tenter de donner du sens et de redéfinir un genre musical, la pop électronique (et toutes ses variantes Synth Pop, Electro Clash, Synth Wave ou Minimal Wave), qui a été sévèrement exploité, caricaturé et galvaudé depuis une vingtaine d’années: l’electro pop est devenu une étiquette fourre tout pour toutes sortes de producteurs relativement médiocres qui ont usé et abusé des clichés inhérents à ce genre nés dans les années 80 pour essayer de refourguer leur camelote dance fm à des auditeurs peu soucieux de profondeur ou d’authenticité.

Bref nous pensons aujourd’hui avoir dit ce que nous avions à dire avec Adan & Ilse, et il était temps pour nous de mettre ce duo en stand by et de continuer chacun de notre coté dans notre autre projets. Usher refonde Norma Loy avec Chelsea et tous les deux reviennent en forme cette année avec un album impressionnant intitulé Baphomet.

https://www.youtube.com/watch?v=T5PrTQDAFDI

De mon coté je viens de monter A★I (Artificial Intelligence) qui sonnera pour les fans comme une sorte de suite d’Adan & Ilse mais avec un son plus moderne et futuriste produit par mon nouvel acolyte Phllox. Le premier album le champ du cygne noir de ce nouveau projet A★I est d’ailleurs prévu pour juin avec une chouette reprise de ashes to ashes de Bowie avec en guest vocal le chanteur du groupe new wave suédois culte Twice A Man.

https://soundcloud.com/unknownpleasuresrecords/ai-ashes-to-ashes-feat-dan-soderqvist

Quel bilan fais-tu d’Adan & Ilse ?

Un bilan sans illusions mais ce fut une superbe aventure avec Usher. Artistiquement c’est mon projet le plus abouti et celui qui m’aura permis de me révéler à moi même en tant que vrai chanteur, chose dont je me saurais cru encore incapable il y a 5 ou 6 ans car dans le passé j’utilisais beaucoup de distorsions ou je scandais des vocaux assez rudes sans me soucier de la mélodie. Sur ce coup là ce groupe aura fonctionné comme un révélateur de ce que je suis capable de faire avec un simple micro, et je serai éternellement reconnaissant à Usher pour m’avoir encouragé, conseillé et poussé à ne me donner aucune limite vocale.

Les voix ont joué un rôle primordial dans notre duo, et même sans aucune espèce de technique je fonctionne à l’intuition et j’expérimente ce qui me vient la plupart du temps en une seule prise de chant. C’est à travers ce travail sur la mélodie que j’arrive à exprimer des sentiments et émotions vraiment personnelles. J’ai réussi avec le chant à évacuer toute sorte de souffrances personnelles, de frustrations qui résultent d’un trop plein d’injustices, réelles ou imaginaires. Bref avec le chant tout s’en va aahahhaah, en tout cas ça m’aura servi de thérapie pour me régénérer artistiquement. Je suis très sensible à la vibration de la voix quand j’écoute d’autres artistes, la force des mots, l’intention, la vérité qui s’en dégage parfois. Je ne supporte pas les personnes qui chantent de manière convenue, plate, sans émotion, sans profondeur.

Écoutez l’album Chirurgie Plastique.

Comment as tu choisi l’image qui illustre ce nouvel album ? C’est étrange, entre l’organique et le digital, un corps qui part en fumée…

C’est un membre de ma famille, l’illustrateur/graphiste Sebastien Lopez aka LoLoops qui a eu l’idée de ces corps de mannequins plastique qu’il a lui même dessiné. Il s’occupe des pochettes d’Adan & Ilse depuis notre album cold diamonds, j’aime beaucoup son univers visuel très design.

https://vimeo.com/138534593

D’ailleurs, pourquoi avoir choisi un corps d’homme, alors que dans les mœurs la chirurgie plastique est plutôt associée aux femmes ? (Est-ce à cause de la fiction dont Adan & Ilse est originaire ?)

Exactement, comme je t’ai dit plus haut notre graphiste a fait ce choix pour respecter la fiction sur laquelle nous avions basé la construction de ce groupe, à savoir un « faux duo d’homosexuels berlinois » qui nous aura tout de même permis de trouver un premier label pour notre EP From The Wave sorti sur Space Factory en 2013. J’ai voulu continuer dans cet optique hédoniste car notre musique est autant appréciée dans les clubs dark ou electro que dans le milieu gay qui comme on le sait a toujours été prescripteur de tendances dans les modes et mouvement musicaux. Ceci dit, les hommes aussi font de plus en plus recours à la chirurgie plastique, notamment pour se faire rallonger la taille de leur sexe pour tenter de satisfaire des partenaires qu’ils s’imaginent intéress(é)es par des membres de 27 cm. De mon coté je trouve plus appréciable de s’intéresser à la taille des âmes qu’à celle d’autres parties du corps mais chacun fait comme bon lui semble (rires).

https://vimeo.com/150113541

Adan & Ilse, c’est donc aussi une fiction musicale, tu racontes que pendant « L’été 2012, j’ai eu l’idée de faire passer mon nouveau groupe pour un duo d’homosexuels berlinois, au départ, et j’ai envoyé nos premiers morceaux d’Adan & Ilse à Space Factory, entre autres, en leur disant que nous étions gay, moi, chanteur DJ d’origine bolivienne, et mon comparse Usher (de Norma Loy), l’amant berlinois épris de vieux synthés, puis Peter, le troisième membre du groupe, est arrivé et il a fallut faire ménage à trois. »

Oui tout à fait c’est comme ça que j’ai imaginé le groupe au départ pour tenter de signer sur un label à une époque ou trop de gens font de la musique et peu en écoutent de manière attentionné. Avec le recul Usher pense que nous aurions dû garder notre identité secrète mais je suis quelqu’un d’impatient et c’est probablement par vanité que j’ai dévoilé le secret trop tôt dès le premier album car j’étais fier de ce que nous avions accompli avec « sadisco ». Mais nous avons été bien reçus par la critique et des célébrités comme Etienne Daho ou Dominik Nicolas mais aussi Dave Clarke ou David Carretta nous ont soutenu assez rapidement.

Qu’est-ce que cela signifie pour toi de créer des personnages ? Penses-tu que ce soit essentiel dans un projet artistique ?
Dans ma conception de la musique oui ça l’est. Dans les années 80 j’étais fasciné par ces musiciens qui créent des alter ego quasi immortels. On voit bien par exemple à quel point la mort de David Bowie a marqué l’histoire de la musique et quelle forte empreinte il a laissé dans l’inconscient collectif du fait de ses multiples personnages et incarnations. Inventer un personnage permet parfois d’user et d’abuser de ce qu’on appelle communément la « licence poétique » pour exprimer des choses très personnelles qu’on n’oserait pas dire ou faire sous sa propre identité. C’est aussi le principe du bouffon du roi et les bouffons c’est pas ce qui manque dans le milieu musical.

Comment avez-vous travaillé sur ce projet en trio (ndlr : Pedro Peñas y Robles – Adan / Peter Rainman – & / Usher – Ilse). Composez-vous à distance, en vous envoyant des pistes ? Comment les rôles sont-ils répartis ?

Peter Rainman (qui a été notre co-producteur de Sadisco jusqu’à Cold Diamonds) ne faisant plus parti du groupe depuis que je l’ai remercié en mai 2015 je ne pense pas que ça vaille la peine de s’étendre dessus … mais si tu veux je peux te raconter comment nous fonctionnions au départ.

ADAN & ILSE c’est avant tout une rencontre artistique prolifique, entre un des grands compositeurs de la scène Post Punk/New Wave française des années 80, Michel Lecamp aka Usher, et mes propres visions/aspirations musicales et esthétiques à l’orée des années 2010. Usher est un artiste pour lequel j’ai toujours eu une profonde estime et que je connais musicalement depuis ses premiers maxis de NORMA LOY Romance et Psychic Altercation publiés au début des années 80.

Comme on nous l’a déjà dit à maintes reprises c’est manifestement la somme de nos deux personnalités qui constitue l’âme de ce duo ADAN & ILSE. Poussés par l’envie de l’exploration d’une pop synthétique un peu trop engoncée dans des poncifs consensuels nous avons formé ce groupe pour nous faire plaisir avant tout et pour explorer des univers plus lumineux que dans nos autres projets plus obscurs et industriels. Adan & Ilse n’a jamais eu vraiment vocation à perdurer au delà des quatre albums officiels (et celui de remixes) que nous avons sortis entre 2012 et aujourd’hui. Pour la petite histoire nos premiers travaux communs datent de mai 2012 et furent deux reprises de Suicide (I Remember et Cheree) sur lesquelles il m’avait proposé de poser ma voix à l’occasion d’une première partie que je devais faire pour un concert de Martin Rev (membre du mythique duo newyorkais SUICIDE) à Marseille il y a 4 ans. Notre formation s’est ensuite enrichie, selon les besoins, de divers intervenants extérieurs avec lesquels nous avons travaillé sur les aspects plus prosaïquement techniques de la post-production, du mixage ou de l’ajout d’instruments acoustiques comme la basse ou la guitare sur un ou deux titres par album.

La plupart des grands chanteurs que j’aime sont des écorchés, des personnes marquées par la vie, des gens qui ont des brisures, et si dans le rock on en trouve pas mal il y a des styles musicaux, notamment dans la musique électronique, ou ce genre de fulgurance et de sincérité d’interprétation sont absentes car la technique ou l’infatuation du type derrière le micro ont pris le dessus sur la blessure ou l’accident. Du fait de mon background avant tout Post Punk dans les musiques électroniques sombres et industrielles, j’ai toujours revendiqué le fait de ne pas être un technicien ou un musicien dans le sens classique du terme. Conscient de mes limites j’ai toujours privilégié la spontanéité, l’improvisation et l’impulsion primale. C’est justement parce que je n’ai aucune base technique que j’ai pu jusqu’à ce jour me permettre d’expérimenter vocalement et de prendre la liberté de chanter dans des aigus plus que limites ou dans des graves davantage orientés Cold Wave selon nos titres.

Quoi qu’on en dise ça a très bien fonctionné nos albums seront toujours là pour en témoigner. Sur la totalité de notre discographie, mis à part deux ou trois chansons dont j’ai moi même posé les bases rythmiques et mélodiques, je me suis essentiellement cantonné aux paroles, au chant et à la direction artistique de l’ensemble, orientation musicale et pochettes inclues.

https://www.youtube.com/watch?v=kDbdnnLboEE

Usher est un fantastique songwriter et il a composé pas mal de maquettes en pensant justement à ma tessiture vocale, il m’a poussé à dépasser mes limites et à innover. Quand je chante je raconte une histoire, je vis un personnage et parfois j’y met des éléments de ma propre vie ou de mes propres sentiments. Usher chante reste le principal compositeur du groupe depuis le début, même s’il nous est arrivé de manière sporadique de permettre à d’autres collaborateurs, comme le remixeur Peter Rainman par exemple, de composer une paire de chansons sur chaque album (dont l’un de mes titres préférées Boys In Eyeliner qui a eu son petit succès et que nous avons sorti en CD mais également en maxi vinyle et en 45 tours pour satisfaire la demande).

Usher et moi avons des racines musicales communes ainsi qu’une culture artistique et littéraire assez proche et cela amène forcément à une certaine complicité qui a semble t-il parfois dérouté les quelques personnes extérieures qui ont bossé pour nous. Nous savons très clairement ce que nous voulons mais surtout ce que nous ne voulons pas en terme de sonorités! De ce fait toute forme de collaboration avec un élément extérieur à notre scène n’a pas toujours été une sinécure et on nous a parfois traités d’intégristes ou de tyrans. Entre Usher et moi par exemple il n’y a jamais eu de conflit d’ego pendant ces quatre années d’existence d’Adan & Ilse nous n’avons joué qu’une seule fois en concert à ce jour (Nuba Paris, Cité de La Mode, 2013) ce fut une belle expérience et chacun de nous se respecte mutuellement et fonctionne en totale osmose.

On ne construit pas une œuvre comme la notre sans intransigeance et sans sincérité. Il aura fallut jongler avec notre fort degré d’exigence musicale et une vision assumée de comment cela devait sonner en évitant les clichés inhérents à une scène Synth Pop contemporaine que je trouve personnellement putassière, mièvre, voire artistiquement indigente et dont Peter a continué à faire partie malgré mes requêtes concernant le besoin de cohérence entre l’image de notre label et l’univers extrêmement commercial qui est le sien lorsqu’il exécute des centaines de remixes officiels ou non officiels pour des groupes bien plus connus que lui. A un moment donné malgré un dialogue explicite de ma part ce n’était plus possible de bosser avec un individu qui s’approprie la créativité des autres en remixant leurs pistes juste pour avoir des likes sur les réseaux sociaux. Ce manque de loyauté et de vision artistique m’est assez vite devenu insupportable. En Mai 2015 j’ai décidé à contre cœur de le remercier définitivement ce co-producteur dès la sortie de Cold Diamonds en raison justement de trop fortes divergences musicales.

Après cette première éviction nous nous sommes rapidement remis au travail Usher et moi, dés l’été 2015, avec à la post-prod un nouvel intervenant dénommé Phllox, une connaissance de longue date qui est devenu un ami avec le temps et qui a de bonnes connaissances techniques sur Live Ableton. Nous voulions donner un son à la fois plus mental et plus abstrait à nos compos. Cette association a assez bien fonctionné l’année dernière sur le single Sin Of Sin (qui annonçait l’album Chirurgie Plastique sorti début mars 2016). Mais la sauce n’a pas vraiment pris au niveau du mixage final du reste des compos qui sonnaient trop froides au goût d’Usher sachant que la plupart de nos sons proviennent d’instruments analogiques.

Comme j’étais aussi moi même assez déçu du mixage de Chirurgie Plastique je suis passé par une période de doute, partagée par Usher, durant laquelle nous avons presque failli tout mettre à la poubelle. Puis je me suis ressaisi à l’écoute des compos qui sont quand mêmes chouettes et j’ai pris la décision de tout refaire mixer et masteriser à Bruxelles dans le studio de Paul Fiction (No Tears,This Grey City) car j’ai beaucoup aimé le son organique qu’il nous a fait sur les albums de Love in Prague et Follow Me Not (jeunes artistes cold wave de notre label). Au final le résultat est vraiment épatant et nos fans semblent autant aimer ce disque que nos albums précédents.

Malgré notre goût pour le minimalisme j’ai également, tout comme Usher, une vision «psychédélique» de la musique qui vient de l’écoute intensive d’artistes officiant hors des sentiers battus et d’expériences de drogues poussées jusqu’à une sorte de catharsis spirituelle. C’est toujours très difficile, pour quelqu’un qui n’a pas vécu les mêmes expériences de conscience accrue que nous, de nous comprendre et de se plier à nos attentes car « minimalisme » ne signifie pas vide ou platitude. Je me rends compte avec les années que j’ai expérimenté les limites et caressé l’abîme sans jamais y tomber, le fruit de ce parcours parfois chaotique m’a permis d’avoir des choses à dire et d’exprimer une certaine forme de déréliction à travers les mots et ma voix. Il en résulte que notre musique est fortement imbibée de ces profonds voyages sonores, spirituels et lysergiques. Et quoi qu’on fasse par la suite ça restera toujours en nous.

Après quatre albums officiels d’Adan & Ilse, un album de remixes ainsi qu’une dizaine de maxis, EP et singles nous estimons à ce jour avoir fait le tour de ce que nous voulions exprimer et laisser derrière nous. Il est donc temps de tirer notre révérence sur un bel album posthume avant de tomber dans la parodie ou la répétition. Mais Adan & Ilse restera comme le projet qui m’a le plus apporté humainement et musicalement, un pur épanouissement.

 

Vous avez fait pas mal de reprises par le passé, avec Adan & Ilse (Daho, Joy Division). Pourrais-tu déployer un aperçu de tes coups de cœur musicaux, que ce soit ceux qui te suivent depuis toujours ou ceux qui te font vibrer dans la scène actuelle ?

Effectivement ça nous a servi un peu de répétition pour nos propres morceaux.
Je suis à l’initiative de toutes nos reprises (Taxi Girl, Joy Division, Etienne Daho, Depeche Mode, DAF, Die Puppe et même Daft Punk) car c’est un exercice de style que j’aime beaucoup et qui nous aura permis en tant que membres du groupe de mieux nous connaître et de nous caler en tant que collaborateurs de studio.

https://www.youtube.com/watch?v=uLDABd6faCk

*Le label*

Peux-tu retracer rapidement l’historique de ton label, Unknown Pleasures Records ? Quand et comment l’as tu mis en place, quelles ont été tes premières signatures, comment t’es-tu fait une place dans ce milieu aux dents longues ?

J’ai monté le label en décembre 2013 parce que je ne trouvais aucune structure pour sortir notre compilation hommage à Daniel Darc de Taxi Girl. Ma première vraie signature, en dehors de mon propre projet industriel Fluxus, fut Hausfrau une jeune artiste cold wave écossaise qui a une voix proche de Nico ou de la Siouxsie des débuts, ensuite ce fut Neon Electronics le projet dark electro parallèle de Dirk Da Davo (Neon Judgement) et puis les groupes plutôt post punks comme Japan Suicide ou Zarkoff, davantage shoegaze comme Love In Prague ou Follow Me Not ou technoides comme David Carretta, Alek Drive, Maman Küsters, et bien entendu Black Egg dont je suis indubitablement le premier fan.

Tu parles d’uchronie musicale pour définir la vision du catalogue de ton label. Peux tu nous en dire plus ?

Il s’agit d’une théorie personnelle sur le fait qu’aucune musique et aucun mouvement ne meurt jamais et qu’il persiste dans l’underground une fois que les médias ne s’y intéressent plus et que les projecteurs finissent par se braquer ailleurs. Une fois éloignés des lumières des médias et de la mode chaque uchronie musicale perdure de manière clandestine parallèlement à des genres plus mainstream, jusqu’au jour ou son influence se fera à nouveau sentir et influencera ces revivals constants qui nourrissent l’industrie du disque pour remplir les poches des connards qui n’en ont rien à foutre intrinsèquement de la musique qui n’est qu’un simple produit jetable pour les multinationales. A ce propos je conseille à vos lecteurs de regarder cette intervention de Roger Waters des Pink Floyd, tout est dit ici à propos de ce qu’est devenu l’industrie musicale aujourd’hui :

https://www.youtube.com/watch?v=RADUo7UUBxo

Tu n’as jamais eu la tentation d’aller t’installer à Berlin ? Que penses-tu d’ailleurs de ce raccourci que l’on fait entre Berlin/scène electro-dark ? (qui pourrait aussi fonctionner pour la Belgique, même si celle-ci semble avoir une affiliation plus historique qu’actuelle)

Si j’avais eu 25 ans aujourd’hui ce n’est pas à Berlin que je me serais installé mais à Barcelone ! Je sais que Berlin est une ville très créative, vivante, débordante de clubs, de salles de concerts et de galeries, d’artistes et de wanabees, mais je t’avoue que la capitale allemande ne signifie pas grand chose pour moi même si j’adore certains producteurs techno actuels comme Ancient Methods par exemple ou que je suis stupéfait par la fascination que peuvent avoir les gens pour un club techno aussi élitiste que le Berghaim qui traite tout de même les gens comme de la merde à l’entrée parce que le business de la techno/défonce a totalement pris le dessus sur l’expérience humaine et le partage.

Quels liens entretiens-tu avec les autres labels qui couvrent des genres auxquels tu t’attaches ? (Stellar Kinematics, Anywave…)… Est-il arrivé que vous vous intéressiez aux mêmes artistes ?

Mis à part le fait que j’ai directement acheté le dernier album de La Main chez Stellar Kinematics je n’ai aucun lien avec ce petit label ni d’autres que tu me cites. J’ai quelques relations entretenues depuis un certain temps avec des labels spécialisés comme Str8line, Manic Depression, Kernkrach, Treue m Treu, Rotor, Infrastition, Wool E Shop, M-Tronic, OPN etc parce que je fais parfois du trade avec eux mais dans l’ensemble je marche plutôt seul. Non pas que je ne veuille pas créer une communauté d’esprit puisque nous travaillons dans des sphères quasi similaires, mais nous savons très bien que chacun voudra garder ses poulains pour lui et puis dans les dernières sorties des labels français actuels il n’y en pas beaucoup qui me touchent sincèrement. Je suis un peu sauvage il faut dire.

Comment contribues-tu à faire émerger les groupes de ton label ? Quelle aide leur apportes-tu ? Par quel biais les découvres-tu d’ailleurs, de manière générale ?

La plupart du temps les groupes me contactent, mais il m’arrive parfois de démarcher quelques artistes que j’apprécie mais notamment quand je lance des projets de compilations ou de reprises. Je donne à chaque artiste l’opportunité de s’exprimer via les magazines comme Obsküre avec qui je collabore parce qu’ils nous ont toujours soutenu, mais malgré ça j’ai pu constater combien il est difficile de faire connaître un jeune musicien à la marge qui ne soit pas du sérail parisien (enfin bon jeune ou vétéran dans le milieu le problème est le même) et de lui apporter une petite visibilité dans la presse musicale qui promotionne systématiquement les mêmes opportunistes, intéressés par le fric et la célébrité, qui construisent leurs carrières en prenant des pages de pubs dans tous les magazines ou en soudoyant des rédactions parisiennes sans scrupules. Des magazines electro hypes comme Tsugi ou Trax tirent autour de 14.000 exemplaires mensuels et essayent de pallier à la chute de leurs ventes en se focalisant surtout sur ce qui est bankable et font comme s’il ne se passait rien dans l’underground ou en province ! Alors que dans des tas de villes françaises paumées se produisent d’excellents groupes rock, pop, cold, electro qui ne dépasseront jamais le succès d’estime faute du soutien des milieux autorisés qui pourraient au moins faire l’effort de laisser une petite place dans leurs pages à l’attention des artistes hexagonaux qui émergent. On retrouve la même problématique avec les magazines New Noise, Magic, Rock N Folk ou les Inrocks qui font très souvent dans le publi-rédactionnel (une publicité achetée = une interview ou article dans le magazine), le copinage, le consensus (toujours les mêmes tronches invitées à chaque sortie d’album d’un groupe reconnu pour déballer la même rengaine promo chiante) ou le convenu (j’ai pu constater par intermittence qu’un même artiste pouvait se retrouver sur la couverture de plusieurs magazines de styles différents durant la même période). Malgré tout je reste lucide, la presse papier vit ses dernières années et va finir par disparaître d’ici la prochaine décennie car les jeunes se sont tournés massivement vers des médias internet plus ludiques, réactifs et irrévérencieux comme Noisey Vice, Kombini, Gonzai, Post Punk, Hartzine & cie.

Les musiques actuelles se réduisent de plus en plus en deux sphères à deux vitesses, avec d’un côté « l’underground » et de l’autre le « mainstream ». Mais j’en rajouterais aussi une troisième, que l’on pourrait qualifier de « pseudo-cool », sans grand intérêt mais qui fonctionne par la réputation qui précède certains labels, certains artistes survendus et « ça fait bien » de les apprécier, cela crée une image sociale.Tu n’hésites pas à critiquer le jeunisme, le parisianisme, tu houspilles la bien-pensance de certains labels. Comment te situes-tu dans ce marasme ? Parviens-tu à vivre des activités de ton label ?

Oui c’est vrai que ça me rend dingue de voir cette forme de consensualité qui fait qu’à notre époque, y compris dans les sphères underground, quasiment tout le monde écoute les mêmes groupes à la mode sur les réseaux sociaux alors qu’il existe des centaines d’autres artistes bien plus pertinents que personne n’écoutera jamais par manque de curiosité, de visibilité ou de temps. C’est à que j’interviens car nous sommes justement là pour pallier à ce manque, et permettre à un public de qualité de découvrir autre chose que ce que les réseaux sociaux ou les médias alternatifs veulent nous refourguer à longueur de journée avec l’étiquette « c’est ça qu’il faut écouter si tu veux paraître un rebelle cool en société » (rires).

Bon en même temps ça fait des années que je me bât contre des moulins à vent et j’ai fini par me dire que le public français n’avais que ce qu’il méritait, … puis merde j’en ai un peu marre de rabâcher la même rengaine anti-système, rien ne changera quoi que je dise (rires)! Je me contente juste avec mes petits moyens et ma ténacité de donner un aperçu de ce qui se fait de mieux en France ou en Europe dans des genres musicaux qui me touchent encore aujourd’hui, et puis basta. En réalité il y a de la place pour tout le monde, et de toutes façons chacun dépense son fric comme il a envie, même si c’est pour acheter les albums du très surestimé Jessica 93 avec une pochette hideuse (rires) ou ceux de Violence Conjugale avec des super pochettes mais une musique de merde.

En ce qui concerne notre label je produis essentiellement des artistes qui font du Post Punk, de la Cold Wave, de la Pop dépressive, du Neo Shoegaze mais aussi de l’Electro Body Music à l’ancienne loin des stupidités de ce genre appauvri par une vingtaine d’années de domination allemande qui a transformé l’EBM d’antan en musique de fête foraine entre Tiesto à la fête de la choucroute et un Mad Max de série Z. Nous publions aussi de l’excellent techno ou même du folk obscur avec un souci d’originalité et de qualité qu’on ne retrouve que trop rarement dans les divers revivals mercantiles de ces dernières années. Notre réseau de distribution et de fans s’est agrandi et consolidé en l’espace de deux ans et nous avons atteint le millier de fidèles nécessaires pour la pérennité de notre label. Chaque sortie finance la suivante.

Bien entendu tous nos groupes n’ont pas eu le même écho dans la presse musicale mais je soutiens tous nos groupes de la même façon, après c’est aussi à chacun de tourner et de défendre leur musique dans les clubs et salles de concert. Je ne peux pas faire de miracles non plus. Ceci dit, à trois exceptions près qui ont fait preuve d’une profonde ingratitude et qui ne font plus partie du label, je suis globalement satisfait de l’attitude de la plupart de nos groupes et certains d’entre eux ont produit de magnifiques clips originaux qui démontrent à la fois le talent qui les caractérise et la passion qui les anime pour m’aider à promouvoir leur musique.

https://vimeo.com/150113535

https://vimeo.com/149524667

https://vimeo.com/144151706

https://vimeo.com/148767287

Durant ces deux premières années d’existence du label j’ai beaucoup donné de ma personne que ce soit en terme de temps, d’implication ou de direction artistique et visuelle. L’idée c’était d’imposer une empreinte forte et sans concessions mais je reconnais que j’ai parfois usé et abusé de ma grande gueule pour qu’ Unknown Pleasures Records soit enfin reconnu comme une valeur sûre dans le flot incessant de micro labels ou ces milliers de productions undergrounds qui fleurissent chaque jour sur le net.

Évidemment le petit monde des musiques indépendantes (souvent des micro niches musicales qui ne touchent pas plus de 500 personnes) n’aime pas se faire rabrouer par un trublion dans mon genre qui met des coups de tatane dans la fourmilière depuis trois décennies. Mais comme toujours j’emmerde les cons et les opportunistes, il faut dire que de par le vrai métier que j’exerce pour vivre je suis confronté tous les jours a une réalité très dure et sans concessions, alors tu sais l’adversité sur les internets je m’en tamponne vraiment le coquillard. Ma passion est bien plus forte que les coups bas que j’ai pu subir ces dernières années parce j’ose revendiquer haut et fort une vision intègre de la création musicale.
Si vous voulez continuer à écouter de la bonne musique achetez nos disques, écoutez les, échangez les, piratez les, partagez les et faites vous une idée par vous mêmes de ce qui convient à vos oreilles et à votre psyché sans vous laisser influencer par les marchants de tapis, les modes et les arrivistes.

*Ton avis concernant les pratiques musicales*

Actuellement, les outils de création prolifèrent et sont de plus en plus accessibles : les médiums, les logiciels, les applications, les gammes de stations de travail sonore qui se déclinent à l’infini, le marché des instruments sur internet, relevant à la fois des collectionneurs qui accumulent tout instrument « ayant appartenu à » et des novices qui téléchargent gratuitement des plug- ins… Tout ceci laisse perplexe et donne un sentiment de perte. Tout est plus accessible, mais tout semble plus complexe. On dit pourtant souvent que la règle du “less is more” prévaut, qu’en penses-tu ?

Ta question est longue et complexe, en fait ces codes musicaux qui sont les nôtres existent depuis la fin des années 70, rien n’a été inventé depuis mais les évolutions technologiques ont permis de donner un son et un vernis différent aux vieilles recettes d’antan, c’est cette vision plus moderniste de styles issus du Post Punk ou de la New Wave que je défends. Malheureusement dans les sphères électroniques la course à la technologie et la pseudo «science» de geeks du home-studio a pris le dessus sur le talent de composition, l’innovation, l’originalité et sur une certaine vision «futuriste» de la musique électronique originelle, qui à mon sens tourne en rond depuis une bonne décennie.

Nous vivons dans un pays qui a perdu son lustre culturel d’antan, artistiquement parlant la France vit repliée sur elle même et ce n’est pas les centaines de millions dépensés en subventions pour faire bonne figure ou maintenir un semblant de niveau culturel décent ou de paix sociale qui changeront la donne. L’Art de l’inutile, la génération de l’esbroufe, le déni des petits talents du terroir, le jeunisme, le clientélisme et la collaboration des médias musicaux avec de grosses maisons de disques, tout cela amène à une surexposition médiatique de certains styles de musique dites « urbaines » qui squattent les ondes et la TV depuis 30 ans (dance music jetable, rock de stades, reggae FM, rap bling bling, slam pérave, R’n’B porno soft, techno house indigente, dubstep crétin …) aux dépends d’autres genres musicaux que je trouve personnellement plus nobles et culturellement liée à l’Europe à travers lesquels beaucoup de jeunes musiciens actuels s’expriment notamment dans la Cold Wave, la Pop minimaliste, le Rock, l’Electro ou la Synth Wave, pour citer seulement les courants qui me touchent le plus.

Quelles sont tes « règles » principales de création, que ce soit sur le plan technique, sur le plan chronologique ou sur le plan de l’inspiration ?

Il n’y a pas de règles, chacun crée comme il le sent, comme il peut ou comme il le veut, ma règle à moi c’est l’honnêteté, j’exprime les choses comme je les ressent même si ce n’est pas forcément ce que les gens attendent de moi en premier lieu. Être dans la franchise, être dans l’authenticité de sa propre perception du monde et des sentiments quitte à bousculer l’auditeur. La technique n’est là que pour permettre un musicien a mieux exposer sa vision mais elle ne doit en aucun cas être la condition ultime ou le but final d’une création.

Toi qui est, par tes choix liés au catalogue de ton label, le garde de la scène de demain, qu’est-ce qui fait l’étincelle, la plus-value d’un groupe émergent ?

Le talent, la passion, l’authenticité et surtout une vision originale de ce qu’un musicien peut apporter à des genres musicaux aussi balisés que les nôtres et leur apporter sa propre vision pour les faire évoluer vers autre chose. Je recherche avant tout des gens qui savent d’où ils viennent mais qui sauront se détacher de leurs influences pour écrire leur propre chapitre de ces mouvements musicaux obscurs que je défends depuis 30 ans.

Comment définirais-tu un bon groupe de cold-wave ? Quel serait le groupe cold-wave parfait ?

Le groupe de cold wave parfais a déjà existé, il s’appelait Joy Division. La vraie cold wave est morte avec Ian Curtis, tout ce qui est arrivé après le légendaire groupe mancunien a toujours été en dessous car Joy Division exprimait un univers sans issue ne pouvant être détaché du contexte spécifique dans lequel il a été crée, le Nord de l’Angleterre de l’ère Tatcherienne. Il aura fallut un producteur drogué et génialement inspiré comme Martin Hannett pour révéler au monde le jeu de basse fantastique d’un Peter Hook, la batterie minimaliste d’un Stephen Morris, la guitare post-punk d’un Bernard Sumner et la poésie sépulcrale qui hante la voix de Ian Curtis pour inscrire ce groupe dans l’Histoire de la musique et créer à partir de là un mouvement qui continue encore à se revendiquer de ces illustres pionniers que sont Joy Division, The Cure ou Siouxsie & The Banshees pour ne citer que ceux qui sont nés au Royaume Uni quand le punk entamait déjà sans lente agonie et que le genre gothique balbutiant commençait à peine à éclore avec Bauhaus, Virgin Prunes, Dead Can Dance ou The Sisters Of Mercy.

Pour finir, une question « piège ». Quelle est ta playlist idéale, disons d’une vingtaine de titres, une playlist qui serait comme un morceau d’Adan & Ilse, toute en ascension et en ménagement de ses effets ?

01 The Cure – three
02 New Order – mesh
03 Fad Gadget – under the flag I & II
04 Depeche Mode – get the balance right
05 Zarkoff – jet boy
06 Japan Suicide – a mood apart
07 The Sisters Of Mercy – marian
08 The Soft Moon – parallels
09 Hardfloor – acperience
10 Miss Kittin & The Hacker – 1982 (Vitalic remix)
11 Adan & Ilse – boys in eyeliner (Theremynt remix)
12 Position Parallèle – silence et grésillements
13 Maman Küsters – liebe hat keine pries (David Carretta remix)
14 Adriano Canzian – extasy (Millimetric remix)
15 The Hacker & HIV+ novo disko (Alek Drive remix)
16 Black Egg – back to the nature (neo romantix years version)
17 Suicide – wild in blue
18 Neon Electronics – road to freedom (Rawtary remix)
19 Alek Drive – Amour musique feat HIV+
20 Adan & Ilse – cherchez le garçon

 

Unknown pleasures Records :

soundcloud

Site

Un grand Merci à Pedro pour avoir répondu de façon détaillée et sans légèreté à ces nombreuses questions !

 

-Clémence Mesnier

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