C’est un programme éclectique qui nous attendait ce vendredi 26 février à Dijon pour ce troisième jour de GeneriQ. Quatre groupes aux genres très variés se produisaient ce soir-là, avec une forte attente envers le dernier, Savages, en pleine tournée de leur second opus au titre de réquisitoire. Adore Life ne bénéficie en effet que de quatre dates en France.
C’est le montréalais Jesse Mac Cormack qui ouvrait, dans une ambiance tamisée. Auteur, compositeur et interprète, il a déjà tourné en compagnie de Lou Douillon ou de Sophie Hunger. Il s’est fait connaître en deux opus, les EPs Music For The Soul et Crush, ce dernier ayant notamment tourné sur le net via le clip de Too Far Into qui fut relayé massivement. Jesse Mac Cormack est signé sur Secret City Records, le label de Suuns, ce qui lui laisse présager de beaux lendemains.
La Vapeur se remplit de monde, le public est varié, issu de tous âges, venant en connaissance de cause ou pour faire des découvertes. Bonne idée, car c’est ensuite Bantam Lyons qui enchaîne, une excellente surprise dont on entend alors de l’extérieur les ronronnements d’une basse répétitive. Le début du set est très doux, la montée est progressive, appuyée par des jeux de lumière qui nimbent constamment la scène de deux couleurs se renouvelant à chaque nouvelle chanson. Leurs morceaux si froids à l’écoute se révèlent solaires en live, réservant à chaque reprise une structure qui monte en puissance pour exploser. Les riffs sont obssédants (When Lips Turn Purple) et la voix réserve beaucoup d’émotions. Elle semble incertaine par moment, moyen de mettre à jour des fêlures qui sont par ailleurs cachées sous un chant nerveux. Energie et délicatesse se cotoîent dans un post-punk lyrique.
Il faut attendre un peu avant qu’Other Lives ne prenne place avec un arsenal de matériel et des éclairages par ampoules incandescentes sur scène. Ce détail nous rappelle Ghost Culture, passé également par GeneriQ en 2015, sous un entourage d’éclairage par ampoules. Machinerie instrumentale, le groupe autrefois nommé Kunek s’installe via des plateaux roulant : synthé, xylophone, guitares, basses, batteries, toms de diverses tailles, trompette, violons… Les outils sont nombreux. Ce choix de l’analogique à l’heure ou tout instrument peut être trouvé dans des banques de sons donne de l’intensité au ballet que les cinq musiciens orchestrent en se passant leurs outils mélodiques. Dark folk, rock indie, folk psychée… En quête de raffinement, le quintet égrène des chansons aux alures de berceuses. Other Lives rappelle Alt-J, autant par ses musiques que par la voix de Jesse Tabish. On entend le tube Reconfiguration, accrocheur et rêveur. On constate la popularité du groupe en entendant, à chaque début de morceau, le public entonner les couplets. Vers la fin, le groupe fait une reprise de Nirvana (Something in the Way).
Après ces trois premiers concerts aux textures plutôt douces, c’est une inversion d’ambiance qui va s’effectuer avec le passage de Savages. Elles sont quatre, dans une configuration des plus simples par rapport au foisonnement d’Other Lives. Tout est minimal mais ultra-précis. Du noir, un projecteur qui illumine en contre-plongée. Jenny Beth sur scène, émaciée de cet éclairage, en posture de combat. Attitude prédatrice dont la gestuelles relève de la boxe ; un combat perché sur une cambrure de talons qui semble s’apprêter à nous écraser. Tout est éclipsé. Crépitements, frissons. Dès les premières notes on présage de ce qui va arriver : une claque continue pendant une heure trente. Une trente et demie sans relâche, de tension absolue, de regards noirs, de machoires serrées et de lignes mélodiques asserrée. Le résultat est incroyable, chaque musicienne apporte sa touche personnelle, que ce soit la guitariste Gemma Thompson, dans sa retenue ; la batteuse Fay Milton dans sa rigueur méticuleuse ou la bassiste Ayse Hassan, omniprésente et structurante.
Si le charisme devait être incarné, il prendrait les traits de Jenny Beth. Elle exerce un pouvoir de fascination qui attire les regards, les capte et les empêche de décrocher. Tatouages rouges en filigrane de ses bras (des coeurs, un poignard, “I am Here”), bagues tranchantes armées sur les phalanges. Savages, c’est aussi une performance de l’instant et de l’intensité, qui bannit les photos faites yeux rivés sur les portables et qui crée une connivence avec son public, que ce soit en serrant des mains ou en lui posant des questions auxquelles les paroles apportent des réponses (I Need Something New). C’est le pouvoir de l’improvisation, lorsque la guitare dysfonctionne et que basse et batterie continuent de courir de façon rectiligne et tiennent sans perdre haleine, comme si tout était prévu. Leur second album, Adore Life, est presque méconnaissable une fois transformé en live. Chacune adopte à sa façon une attitude martiale qui reconfigure les morceaux, les implose, fait grimper le baromètre et la rapidité pour en faire des blocs de tension et de nervosité. On retrouve également des morceaux issus du premier album, dont Shut Up, impressionnant dans sa déclamation expressionniste. Le quatuor fixe un point définitif sur ce que peut être un groupe de rock à l’heure actuelle.
Cette soirée de GeneriQ réservait donc un programme étonnant avec des groupes dissemblables mais réservant une montée en puissance dont l’explosion fut générée par Savages. Un concert rare en forme d’affirmation : les Savages sont des nietzschéennes, des surhommes à la puissance de vie dionysiaque.
-Clémence Mesnier
Crédits photos :
© Zelie Noreda (Jesse Mac Cormack, Bantam Lyons et Other Lives)
© Vincent Arbelet (Savages)