Après une après-midi de discussion avec les trois groupes choisis pour disposer de l’accompagnement Engrenage, Florence Cabret (directrice pédagogique au Studio des Variétés, Paris), Tristan Nihouarn (auteur, compositeur, interprète et chanteur de Matmatah) et Vivien Gouery (directeur du label Yotanka) sont venus nous parler de leur rôle et des problématiques qui sont ressorties des entretiens personnalisés.
Quelle est votre contribution dans ce projet, quel rôle avez-vous ?
Florence Cabret : Notre tache est de comprendre à quel moment professionnel en sont les groupes afin qu’ils puissent parler de leur projet, voir comment ils en parlent, quelles sont leurs échéances ; puis dans un second temps nous pouvons voir comment les aider à structurer leur environnement. Nous leur posons justement des questions sur cet environnement, qu’il soit économique ou artistique, afin de réfléchir à la façon de le structurer. C’est un arrêt sur image de leur parcours.
Vivien Gouery : Le Bastion a convié une filière entière, avec les métiers du disque, de l’édition, du management, de la tournée, de la formation, ainsi qu’un artiste ; on a pu, durant l’échange de cet après-midi, évoquer différents points et répondre aux questions des groupes sur les métiers, les besoins qu’ils ont a un moment donné. On apporte, sans connaître vraiment les groupes qu’on a écoutés et choisis auparavant, un regard de notre profession pour creuser les manques qu’ils ont à combler afin de franchir un cap dans leur parcours professionnel.
Vous avez donc contribué à la sélection de ces groupes (Oli & Sam, Sorg, Horskh). Sur quels critères avez-vous établi vos choix ?
Tristan Nihouarn : En tant qu’artiste, c’était au coup de coeur.
VG : Au coup de coeur aussi. On a écouté huit groupes et trois ont été retenus, par choix de la majorité.
TN : On s’est retrouvé à dresser un organigramme de la musique aujourd’hui, ce qui est devenu nébuleux. Je me suis rendu compte que les jeunes groupes ne comprennent rien et on comprend qu’ils ne comprennent rien. Avant, il y avait des éditeurs, des producteurs, des manageurs ; maintenant tout se mélange. On a donc essayé de dissiper ce brouillard pour les aiguiller. Tout le monde a plusieurs casquettes, on ne sait plus qui est producteur, qui est éditeur…
FC : Les frontières sont beaucoup plus poreuses. Aujourd’hui, on ne demande plus à un artiste de n’être que créateur : il doit aussi être acteur de son développement, de son image.
On a l’impression qu’il y aurait la création comme élément central mais qu’autour ce serait le vide…
TN : Tout ça phagocyte leur temps de création. Un artiste a besoin de temps. Toutes les compétences annexes, on les acquiert normalement avec les années, on l’apprend. Le problème c’est qu’aujourd’hui tout va beaucoup plus vite, on doit être efficace sur tous les fronts tout de suite. On n’a plus le droit à l’erreur. Maintenant, le premier concert, même dans un bar, va se retrouver le lendemain sur le net ad vitam aeternam. Il y a une exigence de l’immédiateté.
VG : Il y a tellement de propositions artistiques, la musique est devenue un tel business que l’on ne peut plus se passer d’un producteur, d’un tourneur. Les groupes doivent se faire repérer par des structures qui prendront ensuite le relai. Une fois que l’artiste a passé un cap, il n’a plus besoin de s’occuper de ces relais. Il doit être conscient, s’occuper de ses droits. Actuellement, le plus dur pour un groupe est de passer un cap pour être pris en compte par des structures qui prendront le risque d’investir et de les accompagner. Il y énormément de demandes, le marché est réduit, il faut donc sortir du lot. Au lieu de passer du temps à trouver une date par soi-même, il faut peut être déja avoir un beau clip pour trouver un tourneur.
TN : Et on l’oublie, mais faire de la bonne musique ! Même le clip est secondaire, on est là pour faire des chansons. Les écrire.
FC : Internet a perturbé beaucoup de choses, il y a beaucoup de projets. Une chanson apparaît, on a l’impression qee ça crée de l’émergence et du propos artistique alors que ce n’en est pas. Mais j’ai l’impression qu’on en revient, de cela.
VG : J’ai l’impression que la sélection du Bastion est faite de personnes qui travaillent sur des carrières, et pas juste pour faire une étincelle.
TN : Tu commences aujourd’hui, tu n’as aucun droit à l’erreur. C’est cruel.
FC : Les émissions de télé-réalité ont flouté beaucoup de choses. Ça a participé à cette insconscience collective comme quoi tout un chacun, demain, deviendra une vedette. On est dans un moment de lutte entre les anciens schémas d’une vraie carrière et en parallèle, ces épiphénomènes artistiques d’un jour.
Quelles seraient donc les étapes de développement d’un artiste aujourd’hui ?
VG : La composition. Prendre le temps. Je vois trop de groupes qui veulent faire des photos de presse avant d’avoir fini des chansons. Aller tourner, apprendre à jouer, car on apprend beaucoup sur la route.
TN : Quand j’ai commencé, on a fait 180 concerts la première année. On a appris devant les gens. Appris aussi à leur répondre. Tout ça, c’est la scène, l’âme du groupe et de ses chansons. Mais on ne peut plus le faire maintenant ; les mecs arrivent sur scène, leurs chansons doivent être impeccables. Le changement a été radical. C’est très dur d’émerger.
VG : Mais c’est possible ! Composition, route, enregistrement. Ne pas se précipiter, réfléchir. Ne pas sortir de disque tout de suite après l’enregistrement, faire de l’image. Il ne faut pas forcément de l’argent pour ça, mais une bonne idée. Ensuite, voir les partenaires en place pour la tournée, la distribution, la promotion. Puis lancer l’album.
TN : Le premier partenaire c’est le public qu’on veut fidéliser.
Vis-vis des discussions de cet après-midi, quels sont les sujets qui sont revenus le plus fréquemment ?
VG : “Comment on trouve des dates ?”. On leur a répondu : “vous êtes-vous donné les moyens de trouver ces dates ?”. Est-ce qu’ils ont pensé à un plan à moyen terme, sur un an, un an et demi ; ont-ils l’actualité qu’il faut (un disque). Sans actualité, on ne remplit pas les salles et on ne tourne pas. Il y a aussi eu des questions sur les dispositifs d’accompagnement existants (printemps de Bourges…).
FC : Les partenaires aussi. SACEM, ADAMI, SCPP, SCPF, qui fait quoi. La structuration (association ou pas). A quoi sert un label, un éditeur.
VG : Et la biographie. Les supports de communication, comment parler de soi.
Vous avez trouvé, au niveau des biographies, que les projets étaient suffisamment développés ?
VG : Sur le premier groupe on n’a pas parlé de biographie, mais sur les deux autres, au moins, ils en avaient déjà une. C’est déjà une bonne base. On leur a donné des conseils ; il faut donner envie avec la biographie.
TN : C’est comme avec la pochette, il s’agit d’un des premiers contacts entre le groupe et le public. On invite les gens chez nous, il faut les accueillir. Certaines biographies étaient trop hermétiques, on avait l’impression que le groupe se barricadait derrière une biographie en ne disant rien. Invitez-nous, donnez-nous envie. La biographie a beau être un détail, elle est importante.
-Clémence Mesnier
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Merci à Florence Cabret, Vivien Gouery et Tristan Nihouarn pour leur patience à la suite de l’après-midi d’intervention qu’ils avaient passée ; merci aux membres du Bastion pour la coordination.
Le jury d’Engrenage au complet se compose de : Julien Soulié (directeur du Fair), Caroline Desgeorge (booking et export à Melodyn Production), Florence Cabret, Vivien Gouery et Tristan Nihouarn.
Membres du comité de pilotage régional : Claire Fridez (Moulin de Brainans), Yoann Bolle (Le Cri du Corbeau), Jean-Pierre Cote Colisson (La Rodia), Guillaume Dampenon (Le Moloco-La Poudrière), Hamid Asseila (NG Production), Anne-Cécile Chazal (Echosystem), Florian Dantan (Le Bastion).