Après une année chargée de concerts suite à Deeper, troisième album en forme de plaie noire suintant de douleur de vivre sorti chez Captured Tracks en mars 2015, le projet The Soft Moon est passé par Besançon. Luis Vasquez a accordé un entretien à cette occasion.
Au lieu de commencer par parler de musique, nous pourrions parler d’image, puisque cette dimension a une forte importance dans ton univers. Connais-tu le peintre Pierre Soulages ? Son travail serait parfait pour illustrer Black. Qu’apprécies-tu en peinture ?
Oui, je connais Pierre Soulages et son noir intégral ! Mes peintres favoris … Cela a commencé lorsque j’étais enfant. Je crois que c’était Salvador Dali. Avec le temps, l’art qui me parle le plus est bien sûr devenu la musique. Mais Dali a ce côté très traditionnel, historique. Et Bosch aussi.
Quel peintre, vivant ou décédé, aurait été parfait pour illustrer Deeper ?
Jackson Pollock. Je préfère l’abstraction, la métaphore, les oeuvres dans lesquelles on peut créer sa propre signification derrière, plus que les oeuvres au sens littéral. J’aime quand les artistes permettent de re-créer sa propre histoire.
Tu as dit que la musique est une forme de thérapie. Seulement la musique ? Les autres médiums (les artworks, les clips…) ne le sont pas ?
Je crois que beaucoup de choses peuvent être une thérapie, ne serait-ce que des choses très simples comme cuisiner. Tout ce qui me permet d’échapper à mon esprit est thérapeutique car lorsque je ne fais rien je ressasse et ça devient chaotique.
Si je te donne le titre de certains de tes derniers morceaux, pourrais-tu les associer à une représentation ?
–Black ? Mon insécurité, la conscience de soi. Et l’anxiété.
–Far ? L’anxiété aussi… Je crois que tous les morceaux s’y réfèrent. Mais Far… La fuite.
–Try ? Le suicide.
–Desertion ? La solitude.
–Feel ? L’existence.
Et si tu devais associer un sentiment avec chacun de tes albums ?
Le premier (The Soft Moon) : chercher. Se sentir perdu et chercher. Le deuxième (Zeros) : la colère. Le troisième (Deeper) : la confiance.
Être sur scène, c’est un moyen de s’oublier ou de s’accepter ?
De s’accepter, c’est le seul moment où j’accepte entièrement ce que je suis, où je suis véritablement moi-même. Seulement sur scène.
Est-ce que The Soft Moon est un personnage, le masque d’un personnage sombre pour te cacher ?
Le masque, c’est ce que je suis lorsque je ne fais pas de musique. La performance musicale est ce que je suis vraiment.
Tu parles énormément de mort, de suicide. Ma question est étrange mais, si tu pouvais choisir, où et quand voudrais-tu mourir ?
Le plus vite et le mieux. Je vis sur le fil du rasoir. Mais en même temps, je n’ai pas envie de mourir si vite car j’ai des choses à accomplir, à exprimer.
Quelles sont tes lectures ?
Je reviens souvent à Jorge Luis Borges, un auteur argentin, ses nouvelles dans Labyrinthe. C’est très cosmique, métaphysique, spirituel, et poétique. Une mise en perspective de l’existence.
On peut parler de la musique à proprement dit. Quels sont les effets que tu préfères ?
Le chorus pour la fluidité ; la reverb pour créer de la distance, une sorte de paysage ; le delay pour l’écho, une sorte de psalmodie. Et la distorsion !
Avec quels instruments travailles-tu pour créer ce son typique à The Soft Moon ?
Avec plusieurs, à chaque fois différents pour chaque album ; un Moog Phatty pour le premier, un Prodigy pour le second et un Voyager pour Deeper, que Moog m’a offert !
Comment utilises-tu ta voix ? Quelle intensité préfères-tu lui donner ?
Je murmurais beaucoup sur le premier album parce que mes voisins n’avaient de cesse de se plaindre ! J’ai donc dû me mettre à murmurer, ce qui donne un côté effrayant. Mais j’aime aussi hurler. Avoir une voix qui couvre toute la gamme des possibles est primordial.
Quelle serait la collaboration idéale -même avec un artiste qui n’est plus vivant ?
Patrick Miller. Personne d’autre n’a été aussi sombre et aussi profond que lui.
Comment choisis-tu la setlist que tu joues ? Conserves-tu la même sur toute la tournée ?
C’est différent à chaque concert. On ne l’imprime pas, on l’écrit chaque jour. J’aime bien “lire” le public chaque nuit, aller vers l’énergie si le public suit.
Tes paroles parlent souvent de miroir. Que vois-tu lorsque tu te regardes dans un miroir ? Es tu fier de ce que tu accomplis ?
Je n’aime pas ce que je vois dans le miroir. Je voudrais chaque fois faire plus, je ne suis pas satisfait de moi-même.
Quel serait le lieu idéal pour enregistrer ton prochain album ?
J’adorerais enregistrer à Détroit. J’habite à Berlin, une ville avec laquelle on peut trouver des similitudes mais en moins violente. J’irai peut être à Détroit pour un Ep, un side-project…
Tu souhaiterais te lancer dans un side-project ?
Je travaille sur quelque chose, mais il est trop tôt pour en parler, c’est encore en développement.
Questions et traduction : Clémence Mesnier
Crédits photo : Eric
Merci à Captured Tracks, à Marion Seury de Differ-Ant pour avoir rendu possible cette interview et à Luis Vasquez.