Nous retrouvons dans les loges le trio infernal des Triggerfinger, affublés comme dans leur dernier clip de tenues décontractées. Ils sont calmes, posés. Rien ne laisse présager l’incroyable déferlante de solos qu’ils offriront, quelques minutes plus tard, au public de la Rodia.
SR : Vous êtes en pleine tournée européenne, comment ça se passe pour vous ?
Paul Van Bruystegem : Super ! Pour le moment, nous n’avons fait que la France. Environ dix-sept concerts. Un d’eux a été annulé à Strasbourg, car la salle menaçait de s’effondrer (La Laiterie ndrl). Mais pour le reste, tout va vraiment bien.
SR : Un concert préféré peut-être ?
T : Chaque soir ! Les salles sont très différentes les unes des autres, mais chacune à son cachet. Nous ne saurions pas choisir. Cet été nous avons joué dans de grands festivals, mais nous aimons beaucoup jouer dans des petites salles. C’est plutôt notre biotope naturel. Il y a un vrai partage avec le public.
SR : Triggerfinger signifie « le doigt sur la gâchette », c’est quoi l’histoire du nom de votre groupe ?
Ruben Block : J’aimais le mot. « Triggerfinger », c’est aussi le doigt qui impulse quelque chose. J’aimais cette idée de commencer, de s’engager dans quelque chose. J’ai un petit carnet où j’écris les mots et les phrases que j’aime que j’entends et que je lis dans les livres ou les magazines. Et le mot était dedans.
SR : Qu’est-ce qui a fait qu’ après votre premier album, vous avez choisi de travailler avec Greg Gordon ?
PB : C’est une drôle d’histoire : on aimait un groupe qui s’appelle Bark Market. On est vraiment tombé amoureux de ce groupe. À ce moment-là, Mario produisait un groupe belge, Black Box Revelation et il avait besoin d’un mixeur. Alors il a contacté Greg Gordon qui était le mixeur de Bark Market. Lorsque Mario est revenu on a écouté, et mon Dieu, ça sonnait si bien ! On devait travailler avec lui ! On a donc décidé de le faire et depuis le début ça a marché entre nous. Au second album qu’on enregistrait avec lui, Greg était devenu un ami.
Ça fonctionne très bien : on a le même sens de l’humour, il a une très grande connaissance musicale, c’est un très bon technicien et il a travaillé avec tous les plus grands groupes du monde. En même temps, il est simple et humble. Pas la grosse tête du tout. Et c’est bien parce que, parfois, c’est dur de travailler avec quelqu’un d’autre. Tu dois lui faire confiance. Tu es « nu » en face de lui parfois. Et tous les musiciens sont très sensibles à l’apport des morceaux, des mots. Quand les textes deviennent profonds, il est important d’avoir une personne de confiance à tes côtés.
SR : Triggerfinger Off The Rack est votre dernier clip en date. Ça peut faire penser à une version peu plus virile du clip de Queen, I Want to Break Free. Est-ce que c’était voulu ?
T : [Rires]. Non. On n’y avait pas pensé. Mais c’est très drôle !
SR : Par ailleurs dans ce clip, on est totalement immergé dans la vie privée du groupe puisque vous êtes tous en caleçons. Ruben est sur les toilettes, Mario se contorsionne pour se couper les ongles de pied… Est-ce que finalement vous êtes en train de dire au public que vous êtes des gens comme les autres ?
T : On dirait que nous sommes des gens comme les autres. De temps en temps un petit peu oui. Mais de temps en temps, pas du tout. Quand tu es en tournée toute l’année, c’est presque impossible d’être comme les autres. Les autres gens nous regardent avec des yeux comme ça. Tu devrais demander à quelqu’un qui nous connaît bien, mais je pense que nous restons très simples.
SR : By Absence Of The Sun disque d’or, il y a quelque chose de très lumineux là-dedans. Vos textes aussi font appel aux ombres et à la lumière, mais comme dans Absence Of The Sun, rien n’est jamais manichéen. C’était ça l’idée, rester ouvert à l’interprétation ?
RB : C’est un peu comme la vie, tantôt joyeuse, tantôt triste. J’avais envie que certaines chansons restent ouvertes à l’interprétation. Pour que chacun puisse faire appel à son imagination. Et tu as raison, dans nos textes il y a parfois des ombres et parfois de la lumière. En parlant avec Greg on s’est rendu compte que parfois, changer un moment faisait une différence énorme.
SR : Une de mes chansons préférées de l’album c’est Perfect Match qui est un titre érotique. Il est question de femmes comme souvent dans vos textes. Est-ce une femme en particulier qui vous l’a inspirée ou est-ce que c’est pour décrire un sentiment général ?
RB : Les deux… [Rires].
SR : Vous avez joué en première partie de ZZ Top ou encore des Red Hot. Ça apporte des choses dans la carrière d’un groupe ?
TB : Oui, c’est très cool de pouvoir jouer avec des groupes comme ceux-là. Spécialement avec ZZ Top, qui nous a beaucoup influencés. On a joué avec Deep Purple, les Stones. C’était lors d’un festival. Mais les gens sont venus pour nous, pas pour les Rolling Stones bien sûr ! [Rires].
SR : Comment expliquez que les groupes flamants rencontrent plus de succès que les Wallons ?
PB : Il faut dire qu’il y a beaucoup plus de petits groupes en Wallonie. Dans chaque village il y a un petit groupe qui est pas mal connu nationalement. Il a environ deux cent cinquante festivals d’été sur la seule Wallonie, c’est bien, mais c’est aussi négatif, car il y en a trop. En fait il y a trop de bons groupes. Alors que la Flandre est si petite. Quand tu joues sur cinq grands festivals, toute la Flandre t’a vu. Une autre explication c’est que la Flandre est beaucoup plus inspirée par le rock anglo-saxon. Alors que la Wallonie est beaucoup plus influencée par la France.
SR : Vous avez enregistré un de vos albums précédents à Sound City, qu’est-ce que ça vous a fait ?
PB : En fait nous avons enregistré le dernier à Sunset Sound qui est encore plus légendaire. Sound City aujourd’hui n’existe plus. Sinon on aurait sûrement été là-bas. La dernière fois que les Beatles ont joué ensemble, c’était au Sunset. Led Zeppelin, les Rolling Stones, The Who. Je ne dirais pas que le studio est mieux, mais il est mythique. Ça fait quand même cinquante ans qu’il ne fait que du rock’n’roll.
RB : Pour nous c’était très important de travailler avec Greg. Et on lui a demandé de trouver un studio qui lui convienne. Quand nous avons mixé le dernier live album, c’était avant By Absence Of The Sun, nous étions à Los Angeles. On savait que Sound City avait été vendu. Et Greg nous a dit « On peut aller visiter d’autres studios ». Nous sommes donc allés visiter le Sunset Studio et on l’a aimé immédiatement. Car pour nous c’est important d’être dans un endroit où on se sent à l’aise. Avec une bonne acoustique pour nous. Et on savait qu’ici Greg aurait le bon matériel.
Il faut dire que nous enregistrons sur bandes analogiques. Ce qui est assez rare aujourd’hui parce que ça demande beaucoup plus de travail et que ça coûte plus cher. Maintenant ça va beaucoup plus vite. Et il y a de moins en moins de studios où tu peux le faire. Mais au Sunset ils ont ce qu’il faut. Aujourd’hui le mp3 est là, mais pour les audiophiles, les vrais fans, on aime bien avoir quelque chose de qualité à offrir.
SR : Est-ce que le fait d’avoir enregistré là-bas a apporté quelque chose à votre son ?
T : Oui. Après il ne faut pas croire que, si tu ne sais pas jouer c’est en allant là-bas que tu vas avoir un son génial. Mais il y a tout un tas de petits détails qui font que. Pour commencer, quand tu es client chez Sunset Sound, tu es très bien soigné. Tout est en ordre. Et tous les appareils fonctionnent, ils sont vérifiés très souvent. Il y a un technicien, un assistant… Tout est fait pour plaire au client. Sur le plan humain aussi. Si par exemple tu es malade, tu n’as qu’à le dire et immédiatement quelqu’un va te chercher ce qu’il faut. Et ça fait beaucoup, car tu n’as pas à te soucier de tout ça, tu peux te concentrer vraiment sur ta musique.
SR : Avant de se quitter, pouvez-vous partager avec nous votre playlist du moment ?
T : On commence chaque jour avec Jeff Bridges. [Rires]. C’est devenu une tradition. En plus c’est toujours le même morceau ! Sinon ça va de Hot Chocolate à Rage Against The Machine en passant par Miles Davis, de la variété française, variété flamande. On n’écoute pas beaucoup de rock’n’roll, on aime le jouer, mais on ne l’écoute presque jamais. Mais on aime bien le nouveau Julian Casablancas + The Voidz.
Interview réalisée par Bob et Justine L’habitant.
Photographie de Guillaume Canva.
Un grand merci à toute l’équipe de la Rodia et aux membres de Triggerfinger.