Tu viens de sortir ton dernier album,From the Lowlands, sans label. Pourquoi ce choix de travailler seul ? Est-ce à cause d’un conflit ?
Non, j’ai été signé à des label majeurs pour la majorité de ma carrière, et il y a quelques années, en me séparant de mon dernier label, je voulais voir si je pouvais y arriver tout seul. Puisque le monde de la musique d’aujourd’hui évolue dans cette direction. Et ca aurait été assez facile pour moi d’aller vers un label et de leur laisser faire la publicité, mais tu n’auras jamais la garantie qu’il fera le plus pour toi. Je voulais donc tenter de sortir un album, mais cette fois-ci avec un label non-commercial. Mon album ne passera presque pas à la radio, il aura beaucoup moins de publicité. Je me suis dit « je commence petit et je vois comment ca progresse », j’apprendrai beaucoup pour le prochain album, et je verrai si je souhaite retourner vers un grand label, ou pas. Parce que c’est assez amusant de le faire seul, j’ai plus de contrôle.
Personnellement comment te sentais-tu une fois libéré du label ?
Ca a été très bien, je dois avouer que j’ai beaucoup apprécié de faire l’album sans inclure d’autres personnes à part moi et mon groupe : cette liberté est géniale. Le monde est en train de changer pour les musiciens si rapidement que c’est presque un désavantage d’être attaché à un label, puisqu’ils ne savent pas comment changer de direction à mi-chemin, ni d’avoir un plan B, C ou D. Ils n’ont qu’une idée en tête. Si tu peux survivre sans un label, je pense qu’il y a plus d’opportunités. Je peux, de sûr, en profiter beaucoup plus, autant du côté de l’enregistrement que du côté business. C’est beaucoup de travail mais, encore une fois, plus amusant.
Comment s’est passé l’enregistrement de cet album ?
Chaotique je dirais, comme tous mes albums. Puisque la technologie a tellement progressée. Aujourd’hui lorsque je commence à enregistrer je fais des démos, qui souvent terminent par être les albums finis. Alors je travaille sur Pro Tools dans mon propre studio, ensuite je vais dans un plus grand studio avec mon groupe et on s’éclate à essayer plusieurs versions, et à la fin je retourne et mixe le tout dans mon studio. Donc, je ne le justifierais pas d’un processus relaxant, mais plutôt quelque chose de cyclique où j’arrive à avoir le temps de considérer le produit fini en l’enregistrant, en le mixant… Je me sens maintenant moins sous la pression d’avoir le produit fini, à l’inverse de quand j’étais signé à un grand label et que j’avais quelqu’un qui me montrait l’heure et me disait « tu n’as plus de temps ». En commençant cet album je n’avais déjà plus d’argent, donc ça ne changeait rien, chaque chose est venue en son temps et c’était plus amusant. Chaotique, mais bien !
Tu sembles lancer un album assez régulièrement, est-ce devenu une habitude ?
Je crois que je sors un album lorsque j’ai quelque chose à dire, où d’essayer de me reprendre du dernier album. Alors à chaque fois que je sors un album, je me dis « oh j’ai fait ça de faux », donc j’essaye de me rectifier en faisant un autre album : c’est comme un remède du précédent. Heureusement ou malheureusement, chaque album que je fait ne semble pas me satisfaire ; au final ça me prend un an pour me pardonner, un an pour recommencer, ensuite quelques mois, et je retourne dans le studio.
Crois-tu qu’un jour tu seras guéri ?
Je ne sais pas, je suppose que chaque artiste, chanteur, musicien, pense que le mieux est encore à venir. Avec tout ce que Paul McCartney a fait, il doit se dire que sa prochaine chanson va être la bonne. A mon avis il faut penser comme ca, même si ce n’est pas juste. Mon meilleur travail sera toujours devant moi. Mon prochain album va être incroyable! [rires].
Tu devais lancer From the Lowlands avec ton dernier album Alphabet of the Hurricanes. Est-ce que cette version que tu as préparé il y a deux ans, a changé de celle que tu as lancé en 2012 ?
Oui, cette version a changé, j’ai écrit quelques chansons en plus, et j’ai changé de maison. Les mêmes types de thèmes étaient récurrents dans certains titres. J’avais seize, dix-sept chansons, pour ce que je pensais être un double album. Finalement, celles qui n’ont pas fait partie d’Alphabet of a hurricane sont maintenant dans From the Lowlands. Ensuite j’en ai rajouté quelques unes, et lorsque l’album commençait à prendre forme, et avoir une entité différente que l’album précédent ; j’ai commencé à regrouper le « feeling » de la production entière. Par exemple j’ai rajouté une reprise de Sloop John B de The Beach Boys, qu’on m’avait demandé de faire pour un magasine, et qui semblait aller avec l’album. Je ne suis jamais trop précieux, je veux toujours que l’album soit le mieux possible.
Cet album est très intime, il n’y a qu’un piano et une guitare, est-ce que tu voulais créer une rupture avec ton dernier album ?
Je ne l’ai pas fait exprès, non. Puisque je pensais, qu’en le mettant avec le dernier album il y aurait des contrastes, alors que le dernier album à lui seul n’en a pas. Donc avec un album très intime, il peut être soit rythmique, soit plutôt lent. En choisissant l’un ou l’autre, une certaine ambiance se créée et prend en charge les quarante minutes de l’album. Je trouve cette unité cool. Je ne pars jamais avec une certaine intention. Je n’essaie jamais d’en faire trop non plus, je fais les choses simplement come elles viennent.
Alors l’idée de faire une tournée tout seul pour renforcer cette intimité est survenue ?
Oui, depuis que j’ai commencé la promotion de mon premier album il y a quinze ans, je n’ai jamais tourné seul en Europe, seulement aux Etats-Unis. J’avais déjà fait à peu près chaque variété de tournée (duo, trio, groupe…). Cette fois je voulais me donner un challenge, c’est un vrai test de tourner en solo. Je me suis donc dit lorsque j’arrive à avoir un album qui conviendrait avec une tournée solo, je sauterais sur l’occasion.
Ta musique est qualifiée de folk, et en ce moment beaucoup de groupes de ce genre deviennent de plus en plus connus. Comment pourrais-tu expliquer cela ?
Je pense que cela arrive de manière cyclique, si tu aimes la musique et que tu ne suis pas la mode, tu te trouve assez isolé en tant que fan de musique. Lorsque des groupes apparaissent en utilisant de vrais instruments, avec de supers arrangements, composant des chansons fantastiques, mais avec de choses simples comme de bons refrains et de bonnes harmonies, les gens y répondent puisque c’est quelque chose d’organique, de naturel, qui n’est pas surfait. La musique laisse parler le chant et les instruments pour eux mêmes. Et si tu es un vrai fan de musique il y a un moment dans ta vie où cela te plait beaucoup, surtout lorsque les palmarès de la musiques, sont remplis de titres commerciaux, et qu’il y a X Factor et Pop Idol à la télé.
La musique tournera encore une foi, l’électro et le dance tiendront toujours une place aussi importante. Mais pour l’instant les gens apprécient de la bonne musique naturelle et simple. En plus de cela, l’industrie très fracturée de la musique, attire un public qui aime cette bonne musique. De nos jours, les gens achètent ce qui leur est dit d’écouter comme Dido ou autres… Lorsque les fans s’accrochent sur un groupe ils ne le lâchent pas. Par exemple, Mumford & Sons sont énormes, d’une taille dont je n’aurai jamais pensé qu’un groupe de leur genre aurait pu atteindre. De même que Ben Howard ; je suis super heureux qu’il se développe autant qu’il le fait ; il y a dix ans, cela n’aurait jamais pu se passer. Le succès inattendu d’un groupe est une des choses les plus positives dans la musique.
Est-ce que tu apprécies ces groupes ?
En effet oui. Par contre, Mumford & Sons, reçoivent beaucoup de mauvaises critiques de la part de la presse, spécialement en Angleterre, puisqu’ils sont de plus de plus connus, et que la presse anglaise déteste les gens connus. D’accord ils écrivent un certain type de chanson, pour avoir un tel impact en live, mais ce n’est pas mauvais, il y a des choses pires qui sont plus connues. Le mieux c’est qu’ils s’éclatent et en plus leurs chansons tiennent la route. Il y en a peut-être que trois d’entre elles qui sont connues, mais je trouve qu’il les font très bien ; et personnellement je n’ai que trois chansons de connue. Bien sûr Ben Howard est aussi un vrai talent. Ce genre de musique me plait, puisque l’instrumentation est a mon goût.
Ecoutes-tu des groupes Américains aussi ?
Oui, en effet beaucoup de mes groupes favoris sont du genre americana. J’aime beaucoup Jeff Tweedy, Gillian Welsh… Nombreux compositeurs n’arrivent sûrement pas à percer en Europe, mais aux Etats-Unis ce sont des superstars. Je trouve que je suis de plus en plus attiré vers la musique country, je fais un retour vers mon passé. Cette décennie voit plus de country et peut-être la prochaine ce sera blues, et après ça je ne sais pas ce que j’écouterai. Je crois que l’on a plus tendance à retourner sur ce qu’on écoutait en étant jeune lorsqu’on grandit.
Trouves tu que ta musique est reçue différemment selon où elle est jouée ?
Pas forcément par les publics. Quand les gens choisissent d’aller voire un concert, ils savent quelle musique ils veulent aller écouter. Mais à cause des médias, il y a des cycles de mode qui se mettent en place. Par exemple, en Angleterre, puisque c’est un pays tellement petit, les gens se lassent vite d’un groupe et passent à un autre rapidement. De plus, il y a trois journaux et cinq magazines différents qui peuvent se lasser de toi après deux semaines. A l’inverse, aux E-U, il y a des stations de radios indés, de campus, et ça peut te prendre deux ans pour traverser tout le pays, tellement il est vaste. Je trouve que dans certains pays je suis beaucoup plus écouté qu’en Angleterre où je semble être juste ce type qui fait de la musique depuis dix, quinze ans, mais qui est un peu ignoré. Ca ne me gène pas puisque je peux vite aller en France ou aux E-U, et c’est différent là-bas.
Tu as un lieu où tu aimes jouer le plus ?
Evidement Besançon est en premier sur ma liste [rires]. En général, j’aime jouer n’importe où je suis, et c’est trop facile de dire qu’un pays est mieux que l’autre , puisque je trouve toujours que les gens sont pareils, ca ne dépends pas du pays d’origine. Tu te sens bien bien lorsque tu es dans un pays qui ne t’es pas familier et que tu es bien accueilli. Lorsque tu y vas en temps que touriste, et que les gens t’accueillent dans leur ville, c’est super, mais quand tu te présentes dans une salle pour faire un concert et que tu es accueilli par des gens dont l’anglais n’est pas leur langue maternelle, qui ont du faire beaucoup de recherche pour trouver ta musique et ont surmonté de nombreux obstacles pour être dans la même salle que toi à t’écouter, cela m’honore, et me soulève le moral. Cela me donne envie de faire encore plus pour eux.
J’ai entendu que tu aimais Bashung, tu as même fais une reprise d’une de ses chansons, comment t’es tu sentis en apprenant de sa mort ?
Je devais probablement être la seule personne en Angleterre à avoir réalisé qu’il était décédé. Je l’avais rencontré quelques années auparavant en faisant sa première partie lors d’un concert à Toulouse. A cette époque là je ne le connaissais pas, même aujourd’hui je ne prétends pas l’avoir connu. Mais son implication dans la musique et la culture française a été très intéressante. On ne doit pas avoir beaucoup de personnes qui pourraient être l’équivalent de lui en Angleterre. Nous n’avons personne pouvant faire de la musique très commerciale, mais tout en ayant des paroles très symboliques. Pour moi il était doté d’un caractère intéressant, mais mieux que ça, ses chansons étaient superbes. Celle que j’ai choisi de reprendre est une dont les paroles sont très importantes, très politiques et très parlantes, mais sous forme de chanson pop à laquelle les gens peuvent chanter. Je trouve ça très intelligent. Il sera très manqué.
Propos recueillis par Bethany, Bob & -F.
Traduction Bethany.
© – copyright – 2012